« Je suis le méchant garde-chiourme
qui des braves gens est honni
je suis gourmand, je suis gourmet
de la douleur des prisonniers.
-Je suis l’indulgent garde-chiourme
ces garçons-là… des assassins ?
Non ! des jeunes qui jettent leur gourme
ou des tempéraments malsains! »
Mais toi, que je tiens en volière
ma juge, amante et vraie geôlière
m’aimes-tu blanc, m’aimes-tu vert ?
(Oeil, avant-garde de l’enfer,
m’aimes-tu pour son goût pervers ?
Ou seulement pour te distraire ?
(Max Jacob)
Recueil: Actualités éternelles
Traduction:
Editions: De la Différence
Sur sa butte que le vent gifle,
Il tourne et fauche et ronfle et siffle,
Le vieux moulin des péchés vieux
Et des forfaits astucieux.
Il geint des pieds jusqu’à la tête,
Sur fond d’orage et de tempête,
Lorsque l’automne et les nuages
Frôlent son toit de leurs voyages.
Sur la campagne abandonnée
Il apparaît une araignée
Colossale, tissant ses toiles
Jusqu’aux étoiles.
C’est le moulin des vieux péchés.
Qui l’écoute, parmi les routes,
Entend battre le coeur du diable,
Des sa carcasse insatiable.
Du travail d’ombre et de ténèbres
S’y fait, pendant les nuits funèbres
Quand la lune fendue
Gît 1à, sur le carreau de l’eau,
Comme une hostie atrocement mordue.
C’est
le moulin de la ruine
Qui moud le mal et le répand aux champs
Infini, comme une bruine.
Ceux qui sournoisement écornent
Le champ voisin en déplaçant les bornes ;
Ceux qui valets d’autrui, sèment l’ivraie
Au lieu de l’orge vraie ;
Ceux qui jettent les poisons verts dans l’eau
Où l’on amène le troupeau ;
Ceux qui, par les nuits seules,
En brasiers d’or font éclater les meules,
Tous passèrent par le moulin.
Encore :
Les vieux jeteurs de sorts et les sorcières
Que vont trouver les filles-mères ;
Ceux qui cachent dans les fourrés
Leurs ruts sinistrement vociférés ;
Ceux qui n’aiment la chair que si le sang
Gicle aux yeux, frais et luisant ;
Ceux qui s’entr’égorgent, à couteaux rouges,
Volets fermés, au fond des bouges ;
Ceux qui scrutent l’espace
Avec, au bout du poing, la mort pour tel qui passe,
Tous passèrent par le moulin.
Aussi :
Les vagabonds qui habitent des fosses
Avec leurs filles qu’ils engrossent ;
Les fous qui choisissent des bêtes
Pour assouvir leur rage et ses tempêtes ;
Les mendiants qui déterrent les mortes
Atrocement et les emportent ;
Les couples noirs, pervers et vieux,
Qui instruisent l’enfant à coucher entre eux deux ;
Tous passèrent par le moulin.
Tous sont venus, sournoisement,
Choisissant l’heure et le moment,
Avec leurs chiens et leurs brouettes,
Et leurs ânes et leurs charrettes ;
Tous sont venus, jeunes et vieux,
Pour emporter jusque chez eux
Le mauvais grain, coûte que coûte ;
Et quand ils sont redescendus
Par les sentes du haut talus,
Les grand’routes charriaient toutes
Infiniment, comme des veines,
Le sang du mal, parmi les plaines.
Et le moulin tournait au fond des soirs
La croix grande de ses bras noirs,
Avec des feux, comme des yeux,
Dans l’orbite de ses lucarnes
Dont les rayons gagnaient les loins.
Parfois, s’illuminaient des coins,
Là-bas, dans la campagne morne,
Et l’on voyait les porteurs gourds,
Ployant au faix des péchés lourds,
Hagards et las, buter de borne en borne.
1
À Séville,
Belle ville,
Plus tranquille
Qu’à Bell’ ville
L’ beau Dédé fait travailler sa belle.
Aux «Señors» amoureux qui l’appellent
Elle vend
Pour de l’argent
Son beau corps ardent;
Plus félin’ qu’une Espagnole
Ell’ les affole,
Si bien qu’un jour,
Pâmé d’amour,
Don Pedro creva comme un tambour!
Refrain
Paméla, poupée d’amour
Née dans nos faubourgs,
Tu es le plus beau bijou
De l’Andalou,
Et tes soeurs
Dans leurs ardeurs
Les plus grisantes
A leurs possesseurs
Paraissent languissantes;
2
Paméla, tes yeux vainqueurs
Percent tous les coeurs
Paméla, ton corps pervers
Est comme un enfer!
Paméla, poupée d’amour
Née dans nos faubourgs,
Tu es le plus beau bijou
De l’Andalou
Un Alcade
De Grenade
En balade,
Par bravade,
Voulut voir la fameuse hétaïre
Se vantant qu’ell’ ne pourrait l’ séduire,
Mais devant
Ce corps troublant
Il tomba dément,
Et depuis ce jour fatal
D’vint radical
Si bien qu’un jour,
Grisé d’amour,
Il creva Alphons’ comme un tambour!
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier
Toutes les fois, miroir, que tu lui serviras
À se mettre du noir aux yeux ou sur sa joue
La poudre parfumée, ou bien dans une moue
Charmante, son carmin aux lèvres, tu diras :
« Je dormais reflétant les vers, que sur l’ivoire
Il écrivit… Pourquoi de vos yeux de velours,
De votre chair, de vos lèvres, par ces atours,
Rendre plus éclatante encore la victoire ? »
Alors, si tu surprends quelque regard pervers,
Si de l’amour présent elle est distraite ou lasse,
Brise-toi, mais ne lui sers pas, petite glace,
À s’orner pour un autre, en riant de mes vers.
Ô lune, fais surgir, lune aux odeurs suaves,
Des marais langoureux où traîne ta clarté,
Des écluses filtrant une écumeuse bave,
Des ruisseaux étalant leur blême nudité,
Lune, fais s’élever, langage intelligible,
Ces parfums sensuels dont j’aime à m’enivrer,
Révélateurs lointains d’un monde inaccessible
Où nous pouvons par eux un instant pénétrer.
O lune qui promets des délices perverses,
Répands tes lents reflets sur les genêts fumeux;
Leurs groupes inccertains que ta pâleur traverse
Ont des enlacements de couples amoureux:
Corps blancs, corps enivrés! – O lune aromatique,
Tels les rameaux des houx, mon coeur est saturé
De ton baume fluide et, prêtresse extatique
Que sourdement possède un délire sacré,
Je me tiens dans la nuit où coule ton haleine,
Pressentant épuisée au souffle qui m’atteint
Et qui monte vers toi des prés et des fontaines,
Les voluptés sans borne et dont mon âme a faim.
Dans les jardins mouillés, parmi les vertes branches,
Scintille la splendeur des belles roses blanches.
La chenille striée et les noirs moucherons
Insultent vainement la neige de leurs fronts :
Car, lorsque vient la nuit traînant de larges voiles,
Que s’allument au ciel les premières étoiles,
Dans les berceaux fleuris, les larmes des lutins
Lavent toute souillure, et l’éclat des matins
Fait miroiter encor parmi les vertes branches
Le peplum virginal des belles roses blanches.
Ainsi, ma belle, bien qu’entre tes bras mutins
Je sente s’éveiller des désirs clandestins,
Bien que vienne parfois la sorcière hystérie
Me verser les poisons de sa bouche flétrie,
Quand j’ai lavé mes sens en tes yeux obsesseurs,
J’aime mieux de tes yeux les mystiques douceurs
Que l’irritant contour de tes fringantes hanches,
Et mon amour, absous de ses désirs pervers,
En moi s’épanouit comme les roses blanches
Qui s’ouvrent au matin parmi les arbres verts.
Jusques aux pervers nonchaloirs
De ces yeux noirs,
Jusque, depuis ces flemmes blanches
De larges hanches
Et d’un ventre et de deux beaux seins
Aux fiers dessins,
Tout pervertit, tout convertit tous mes desseins,
Jusques à votre menterie,
Bouche fleurie,
Jusques aux pièges mal tendus
Tant attendus,
De tant d’appas, de tant de charmes,
De tant d’alarmes,
Tout pervertit, tout avertit mes tristes larmes,
Et, Chère, ah ! dis : Flûtes et zons
À mes chansons
Qui vont bramant, tels des cerfs prestes
Aux gestes lestes,
Ah ! dis donc, Chère : Flûte et zon !
À ma chanson,