Dans la pénombre des océans
Où finit la terre
Loin de toi ma geôlière
J’écoutais Haendel
Son Tremblement de terre de Rome
Comme granit dans la démesure de la fissure
L’île de Groix en face
Où Bourguiba faisait surface
Barbe généreuse et yeux perçants
Où le phare balayait la mer
Ses signaux verts battaient la nuit plaintive
Je ne savais si les airs du hautbois
Suppliaient l’océan d’être plus clément
Ou si les vagues frappant les rochers
Libéraient la falaise des bunkers de brume
d’un geste furtif, avant de se coucher
et d’éteindre la lumière,
la grand-mère enlevait son oeil de verre
et le posait dans la transparence du gobelet
sur la table de nuit…
Des persiennes filtrait un fil de lune poussiéreuse
que l’oeil attirait tout à lui…
Dans l’angle du lit, l’enfant impressionné
fixait cette rencontre mystérieuse…
incapable de s’en détacher …
jusqu’au sommeil…
et dans le rêve agité
il sentait cet oeil se loger entre les siens,
comme un phare incandescent…
Dans ce temps,
il put voir toute la terre qu’il imaginait
et plus encore …
en toi
se loge ma paresse
mon grand pays paresseux
comme un serpent
dans un tronc évidé
en toi
roule le cerceau crispé du passé
tu fixes d’un regard égal
le lointain et l’immédiat
et les phares relèvent leur jupe d’écume
pour s’éteindre dans les faveurs de la mer
dénués de gardiens
en toi
l’irréfléchi fait parler les voiles
en toi
rebondit le long exil d’un baiser
Est-ce la terre, est-ce la mer qu’on cherche avec de la lumière?
Ils sont là cent avec des torches, sur les plages noires, sur les plages d’or.
Ils sont là cent, ils sont là mille, qui font le tour de l’Océan.
On les voit de la pleine mer, on les voit du fin fond des terres.
Ils sont là mille ou des millions avec des torches sur leur front…
Et ce n’est qu’un collier, un collier d’amulettes, les phares, autour de l’Océan,
Tous coiffés d’un rubis, comme des allumettes, sur les plages de l’Océan.
Dans l’océan du ciel d’avril, gonflant leurs voiles,
Les nuages, pareils à de légers bateaux,
Naviguent, éclatants, vers des îles d’étoiles,
Avec la majesté des cygnes sur les eaux.
Ils voguent, sans troubler d’un remous l’onde bleue ;
Leur marche est paresseuse et leur but est lointain.
Depuis une heure, ils n’ont pas fait plus d’une lieue ;
Pour leur voyage, ils sont partis dès le matin.
Ce soir, pour les guider resplendira la lune,
Comme un phare dressant sa clarté sur la mer ;
Ils glisseront alors sur l’onde calme et brune,
Et dans l’ombre le port leur apparaîtra clair.
Atteindront-ils jamais les îles fortunées,
Les blancs petits bateaux de l’océan divin ?…
Hélas ! rêves déçus de toutes nos journées,
Bonheur, archipel d’or cherché toujours en vain !
Par-delà l’escalier des roides Cordillères,
Par-delà les brouillards hantés des aigles noirs,
Plus haut que les sommets creusés en entonnoirs
Où bout le flux sanglant des laves familières,
L’envergure pendante et rouge par endroits,
Le vaste Oiseau, tout plein d’une morne indolence,
Regarde l’Amérique et l’espace en silence,
Et le sombre soleil qui meurt dans ses yeux froids.
La nuit roule de l’est, où les pampas sauvages
Sous les monts étagés s’élargissent sans fin ;
Elle endort le Chili, les villes, les rivages,
Et la mer Pacifique, et l’horizon divin ;
Du continent muet elle s’est emparée :
Des sables aux coteaux, des gorges aux versants,
De cime en cime, elle enfle, en tourbillons croissants,
Le lourd débordement de sa haute marée.
Lui, comme un spectre, seul, au front du pic altier,
Baigné d’une lueur qui saigne sur la neige,
Il attend cette mer sinistre qui l’assiège :
Elle arrive, déferle, et le couvre en entier
Dans l’abîme sans fond la Croix australe allume
Sur les côtes du ciel son phare constellé.
Il râle de plaisir, il agite sa plume,
Il érige son cou musculeux et pelé,
Il s’enlève en fouettant l’âpre neige des Andes,
Dans un cri rauque il monte où n’atteint pas le vent,
Et, loin du globe noir, loin de l’astre vivant,
Il dort dans l’air glacé, les ailes toutes grandes.
Je le sais maintenant :
inutile pour apercevoir l’infini
de dénuder le bleu du ciel car l’infini est
une tour
une forteresse apatride
un phare inassouvi
un silo cerclé d’oriflammes
Je le sais maintenant :
inutile pour apercevoir l’infini
d’apprivoiser la Voie lactée car l’infini est
un parcours austère
une géométrie sans pitié
une rectitude hantée d’absence
Peut-être est-il aussi un mirador
surveillant les coulées d’étoiles entre les barbelés des galaxies ?
Mais alors qui veille en son extrémité, juste au-dessous des oriflammes,
et quel souffle les fait battre immobiles sous une éternité d’orage ?
(Jacques Lacarrière)
Recueil: A l’orée du pays fertile
Traduction:
Editions: Seghers