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Posts Tagged ‘pitié’

S’il est vrai que les yeux soient le miroir de l’âme (Michel Ange)

Posted by arbrealettres sur 25 février 2023




    
S’il est vrai que les yeux soient le miroir de l’âme,
tu as déjà pu voir dans les miens le feu qui me consume;
et n’est-ce pas assez pour mériter ta pitié,
sans recourir aux prières?

Mais, peut-être plus touchée que je n’ose l’espérer
de cette chaste flamme à laquelle je dois mes vertus et ma gloire,
tu souris à mon amour, comme digne d’être exaucé
par la pureté de ses voeux.

Jour fortuné !
si mon coeur ne s’abuse,
que le temps s’arrête soudain ;
que le soleil cesse de poursuivre son antique carrière ;

Pour qu’après tant de souffrances,
je reçoive le prix si désiré de mon amour,
et que je jouisse à jamais
dans son ineffable possession.

(Michel Ange)

 

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Entre vos mains, ma gente dame (Dante)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2023



Illustration: Oleg Zhivetin 
    
Entre vos mains, ma gente dame,
je remets cet esprit qui se meurt :
il s’en va si dolent qu’Amour le regarde
avec pitié quand il le congédie.
Vous l’avez lié à sa domination
si bien qu’il n’a plus aucune force
pour l’invoquer sinon pour dire : « Seigneur,
tout ce que tu veux de moi, je le veux. »

Je sais que tout tort vous déplaît :
aussi la mort, que je n’ai pas méritée,
entre bien plus amère en mon coeur.
Ma douce dame, tant que je suis en vie,
afin que je meure en paix et consolé,
pour mes yeux daignez ne pas être avare.

***

Ne le man vostre, gentil donna mia,
raccomando lo spirito che more :
e’ se ne va si dolente ch’Amore
lo mira con pietà, che ‘l manda via.
Voi lo legaste a la sua signoria,
sí che non ebbe poi alcun valore
di poter lui chiamar se non : « Signore,
qualunque vuoi di me, quel vo’ che sia. »

Io so che a voi ogni torto dispiace :
però la morte, che non ho servita,
molto più m’entra ne lo core amara.
Gentil mia donna, mentre ho de la vita,
per tal ch’io mora consolato in pace,
vi piaccia agli occhi miei non esser cara.

(Dante)

 

Recueil: Rimes
Traduction: Jacqueline Risset
Editions: Flammarion

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Telle qu’une pluie de fleurs (Mâgha)

Posted by arbrealettres sur 25 janvier 2023




    
Telle qu’une pluie de fleurs,
il tombait une averse de perles
sur la poitrine d’un amant,
comme si le collier de la jeune maîtresse
avait dit en se rompant :
« Honneur à celle qui a vaillamment supporté
le choc de cette région des seins !

Des sons inarticulés, un murmure bas et doux,
des paroles sollicitant la pitié,
des expressions pleines d’amour,
des mots qui imposaient la défense,
les cris d’oiseau des parures, semblables à des rires :
tout s’élevait alors dans une jeune femme
à la puissance d’une incantation d’amour.

(Mâgha) (VIIe siècle)

Recueil: Un feu au coeur du vent Trésor de la poésie indienne Des Védas au XXIème siècle
Traduction:
Editions: Gallimard

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Au loin disparu (Su Wu)

Posted by arbrealettres sur 13 décembre 2022



Illustration: Shan Sa
    
Au loin disparu

Le cygne déploie ses ailes agiles et laisse le vent le porter au loin.
Un air vif le rappelle au souci et il tourne la tête, incertain.
Un cheval livre ses pas lourds à la steppe désertée — les siens sont partis.
Son coeur s’enlise dans des pensées interdites comme ses sabots dans la glaise meuble.
Le destin s’abat sans pitié sur deux dragons que leurs ailes opposent.
Il reste pourtant les chants qui savent révéler les amours secrets.
À l’ami qui s’en va, je joins les mots du ruisseau où coulent mes larmes.
L’écho des tambours exalte les vertus mâles et déchire les coeurs des compagnons vaincus.
La solitude des vers alimente le brasier du souvenir
Et plombe mon âme mon âme brisée dans l’horizon des peines.
J’aimerais pouvoir entonner encore les airs de l’enfance,
Ton pays est loin désormais — il t’ignore jusqu’au trépas.
Le mal me dévisage et il pleut sur les joues des filets d’amertume.
Les cygnes volent leur vie entière deux à deux
Mais pour nous, hommes, qui ne pouvons nous envoler ensemble
Il n’y a que routes mornes aux destins séparés.

(Su Wu)

(140-60)

 

Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel

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J’attends le printemps (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 29 novembre 2022



« Vous cherchez du côté du plus grand…
C’est tellement plus simple : J’attends le printemps.
Ce que j’appelle le printemps n’est pas affaire de climat ou de saison.
Cela peut surgir au plus noir de l’année.
C’est même une de ses caractéristiques :
Quelque chose qui peut venir à tout moment pour interrompre, briser
– et au bout du compte, délivrer.

Le printemps n’est rien de compréhensible
– c’est même ce qui lui permet de tenir dans trois fois rien
– un bruit, un silence, un rire.

Il se moque de conclure.
Il ouvre et ne termine jamais.
Il est dans sa nature d’être sans fin.

Ce que j’appelle le printemps ne va pas sans déchirure.
C’est une chose douce et brutale.
Nous ne devrions pas être surpris de ce mélange.
Si nous le sommes, c’est que la vie nous rend distraits.
Nous ne faisons pas assez attention.

Si nous regardions bien, si nous regardions calmement,
nous serions effrayés par la souveraineté de la moindre pâquerette :
elle est là, toute bête, toute jaune.
Pour être là, elle a dû traverser des morts et des déserts.
Pour être là, toute menue,
elle a dû livrer des guerres sans pitié.

Ce que j’appelle le printemps est une chose du même ordre…

Dans le printemps, rien de tranquille ni de gagné d’avance.
Lorsqu’il arrive, nous ne nous y retrouvons plus.
Presque rien n’a changé et ce presque rien change tout.

Nous nous accoutumons trop vite à ce que nous avons.

Dieu merci, le printemps vient remettre du désordre dans tout ça.
Nous découvrons que nous n’avons jamais rien eu à nous,
et cette découverte est la chose la plus joyeuse que je connaisse. »

(Christian Bobin)

 

 

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A la Santé (Guillaume Apollinaire)

Posted by arbrealettres sur 1 novembre 2022




Illustration: Vincent Van Gogh
    
A la Santé

I

Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu

Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu Adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles

II

Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième

Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres

Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte

III

Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène

Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec le clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à coté
On y fait couler la fontaine

IV

Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peint de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales

Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchainée

Et tour ces pauvres coeurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne

V

Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement

Tu pleureras l’heure ou tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures

VI

J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison

Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison

(Guillaume Apollinaire)

Recueil: La Liberté en poésie
Traduction:
Editions: Folio junior

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Neige (Béatrice Bastiani-Helbig)

Posted by arbrealettres sur 20 août 2022



 

Illustration
    

Neige

Maman venait nous réveiller,
Elle disait : « Il a neigé ! »
Et nous courions à la fenêtre
Mais le savions déjà peut-être

A cause des bruits étouffés
(Tout alentour était silence).
Notre bonheur était immense
Et nous sortions emmitouflés.

Nous nous lancions dans la bataille,
Nous défendant vaille que vaille,
Et nous poussions des cris de joie.
Nous n’avions que faire du froid.

Pour moi, la neige, c’est l’enfance,
La beauté, l’émerveillement.
Mais ce peut être la souffrance
De celui qui pleure en marchant.

Il a fui son pays en guerre,
A traversé bien des contrées,
Il a risqué sa vie en mer
Et parcourt la montagne à pied.

Il n’a jamais connu la neige,
Il n’a jamais connu le froid.
Il prie son dieu : « Allah, où vais-je ?
Allah, prends pitié, guide-moi ! »

Oh ! Qu’elle est loin, notre innocence !
Nous ignorions la cruauté
Et ne mesurions pas la chance
Que nous avions d’être choyés.

(Béatrice Bastiani-Helbig)

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Il est des moments dans la vie (Michel Houellebecq)

Posted by arbrealettres sur 21 juillet 2022



 

Il est des moments dans la vie où l’on a presque l’impression d’entendre
l’ironique froufrou du temps qui se dévide,
Et la mort marque des points sur nous.
On s’ennuie un peu, et on accepte de se détourner provisoirement de l’essentiel
pour consacrer quelques minutes à l’accomplissement d’une besogne ennuyeuse et sans joie
mais que l’on croyait rapide,
Et puis on se retourne, et l’on s’aperçoit avec écoeurement
que deux heures de plus ont glissé dans le vide,

Le temps n’a pas pitié de nous.

À la fin de certaines journées on a l’impression d’avoir vécu un quart d’heure
et naturellement on se met à penser à son âge,
Alors on essaie d’imaginer une ruse une sorte de coup de poker
qui nous ferait gagner six mois et le meilleur moyen est encore de noircir une page,
Car sauf à certains moments historiques précis
et pour certains individus dont les noms sont écrits dans nos livres,
Le meilleur moyen de gagner la partie contre le temps
est encore de renoncer dans une certaine mesure à y vivre.

Le lieu où nos gestes se déroulent et s’inscrivent harmonieusement dans l’espace
et suscitent leur propre chronologie,
Le lieu où tous nos êtres dispersés marchent de front et où tout décalage est aboli,
Le lieu magique de l’absolu et de la transcendance
Où la parole est chant, où la démarche est danse
N’existe pas sur Terre,

Mais nous marchons vers lui.

(Michel Houellebecq)

Illustration: Edward Hopper

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POUR UNE FEMME VIVE (Pierre Gamarra)

Posted by arbrealettres sur 23 mai 2022



Illustration: Freydoon Rassouli  
    
POUR UNE FEMME VIVE

Je ne saurai jamais quand tu m’as dit : je t’aime
je ne saurai jamais quand tu m’as dit : adieu
Si le fleuve et la mer effaçaient les poèmes,
mes mots seraient vaisseaux sur les lacs de tes yeux.

Je ne saurai jamais où commença la neige, où
revient le soleil pour les roses de mai, où ta voix
dit : je sais, quand je disais : que sais-je ? où
commença mon coeur, je ne saurai jamais.

Tu ne m’as rien donné, tu m’as donné le monde.
Lorsque tu me quittas, tu m’attendais toujours. Si
mon ciel était mort, j’aurais ta flamme blonde, et
si je revivais, je me mourrais d’amour.

Salut à toi, femme de l’aube, ma corolle,
princesse d’un hiver promise à l’églantier,
salut à toi, ma paix, mon pain, ma parabole,
salut mon indomptable et salut ma pitié.

Je te porte la palme et la farine pure,
je te livre l’orgueil avec l’humilité
Quand ces chants passeront, il restera l’été,
quand mon coeur se taira, je revivrai blessure.

Je te chante ce soir devant le monde lourd,
aux frontières d’un ciel labouré de promesses.
Je sais que je mourrai pour revivre sans cesse
et quand je revivrai, je me mourrai d’amour.

(Pierre Gamarra)

Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction:
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi

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LE LUNATIQUE (Marguerite Yourcenar)

Posted by arbrealettres sur 24 avril 2022



    

LE LUNATIQUE

Le soleil amorti s’absorbe dans la brume;
Ainsi qu’un astre mort mon amour s’est couché.
Le long des quais salis l’aveugle nuit s’allume;
Mon coeur est aussi vieux qu’Hérode et son péché.

Chaque vivant, moyeu d’un univers caché,
Bat, victime et bourreau, son malheur sur l’enclume;
Et les visages gris sont des flocons d’écume
Dans le noir flot humain sur l’asphalte épanché.

Amour, où sommes-nous? Est-il sûr que nous sommes? La
lune qui pâlit d’avoir pitié des hommes
Au bord des toits déserts verse un sanglot d’argent.

Et l’oeil fou des cités regarde sans envie,
Froidement lumineux et fixement changeant,
Cet astre déjà mort et plus pur que la vie.

(Marguerite Yourcenar)

 

Recueil: Les charités d’Alcippe
Traduction:
Editions: Gallimard

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