Je pars
Je ne pars pas pour un amant
Je pars pour moi-même
Ici
Je suis attachée
Je suis attachée
Je ne connais plus
Le goût de jouer
Le goût de plaire
Le goût d’aimer
Je ne connais plus
Le goût de rire
Le goût des bois
Le goût d’enfant
Pour manger du pain
Au chocolat
Je suis attachée
Alors je pars
Pas pour un amant
Pour moi-même
(Denise Jallais)
Recueil: Le livre d’or de la poésie française contemporaine
Traduction:
Editions: Marabout
Voyager sans but plaît à la jeunesse,
Mais l’âge en venant m’affadit ce goût
Et je ne pars plus sans savoir pour où,
Sans qu’un but précis, un désir me presse.
Hélas, pour celui qui suit un dessein,
Voyager n’a plus la douceur première
Dont étincelait forêt ou rivière
A chaque nouveau détour du chemin.
Pour rendre à l’instant la fraîche innocence
Que n’occulte plus quelque astre rêvé,
Voyager doit être un art retrouvé :
Du vaste univers partager la danse
Et vers un lointain longtemps cultivé,
Même sans bouger, rester en partance.
***
REISEKUNST
Wandern ohne Ziel ist Jugendlust,
Mit der Jugend ist sie mir erblichen ;
Seither bin ich nur vom Ort gewichen,
War ein Ziel und Wille mir bewußt.
Doch dem Blick, der nur das Ziel erfliegt,
Bleibt des Wanderns Süße ungenossen,
Wald und Strom und aller Glanz verschlossen,
Der an allen Wegen wartend liegt.
Weiter muß ich nun das Wandern lernen,
Daß des Augenblicks unschuldiger Schein
Nicht erblasse vor ersehnten Sternen.
Das ist Reisekunst : im Weltenreihn
Mitzufliehn und nach geliebten Fernen
Auch im Rasten unterwegs zu sein.
(Hermann Hesse)
Recueil: Poèmes choisis
Traduction: Jean Malaplate
Editions: José Corti
Souvent je reviens m’asseoir dans ces lieux
où mon coeur, pour la première fois , perdit sa liberté;
dans ces lieux que les chagrins,
autant que les plaisirs que j’y éprouvai,
m’ont rendus chers ;
J’y retrouve des souvenirs tantôt tristes, tantôt riants,
selon que tu te plais, amour,
à me rappeler les rigueurs ou les bontés de l’objet qui m’enflamme.
Il viendra, j’en suis sûr!
S’il a le pelage souris,
Je l’appellerai Gris-Gris.
S’il conduit un char,
Ce sera Ben Hur.
Si c’est un gros matou,
Une force de la nature,
Hercule lui conviendra.
Victor, Hector, Nestor ou Arthur
S’il porte noble minois.
S’il a une belle voix,
Léo me plaira.
j’en suis sûr, il viendra!
Un jour, le bonheur à ma porte a sonné.
j’ai ouvert, j’avais hâte.
— Nelson, enchanté !
A-t-il dit en me tendant sa patte.
(Patrick Bertrand)
Recueil: Silence la queue du chat balance
Traduction:
Editions: Actes Sud
L’avenir n’est plus en souffrance.
Le présent nous plaît indéfiniment.
Nous transhumons de l’un à l’autre
comme des montagnes
nos paroles nées solitaires.
(André Frénaud)
Recueil: Il n’y a pas de paradis
Traduction:
Editions: Gallimard
La vie qui bâclait en passant l’orage printanier et poursuivait,
la vie — le vent aux cent promesses tenues jamais — qui poursuivait,
aux cent prouesses et au désastre
et poursuivait la vie, le vent,
la vie si douce quand il lui plait.
(André Frénaud)
Recueil: Il n’y a pas de paradis
Traduction:
Editions: Gallimard
La boulangère a des écus
Qui ne lui coûtent guère.
La boulangère a des écus
Qui ne lui coûtent guère.
Elle en a, je les ai vus,
J’ai vu la boulangère aux écus
J’ai vu la boulangère.
Et d’où viennent tous ces écus,
Charmante boulangère?
Et d’où viennent tous ces écus,
Charmante boulangère?
Ils me viennent d’un gros Crésus
Dont je fais bien l’affaire, vois-tu,
Dont je fais bien l’affaire.
À mon four aussi sont venus
De galants militaires.
À mon four aussi sont venus
De galants militaires.
Moi je préfère les Crésus
À tous les gens de guerre, vois-tu,
À tous les gens de guerre.
Des petits maîtres sont venus
En me disant: Ma chère,
Des petits maîtres sont venus
En me disant: Ma chère
Vous êtes plus belle que Vénus.
Je n’les écoutai guère, vois-tu,
Je n’les écoutai guère.
Des abbés coquets sont venus
Ils m’offraient pour me plaire
Des abbés coquets sont venus
Ils m’offraient pour me plaire
Des fleurettes au lieu d’écus.
Je les envoyai faire, vois-tu
Je les envoyai faire.
Moi, je ne suis pas un Crésus,
Abbé ou militaire.
Moi, je ne suis pas un Crésus,
Abbé ou militaire.
Mais mes talents sont bien connus
Boulanger de Cythère, vois-tu
Boulanger de Cythère.
Je pétrirai le jour venu
Notre pâte légère.
Je pétrirai le jour venu
Notre pâte légère.
Et la nuit, au four, assidu
J’enfournerai, ma chère, vois-tu
J’enfournerai, ma chère
Eh bien! épouse ma vertu,
Travaille de bonne manière.
Eh bien! épouse ma vertu,
Travaille de bonne manière.
Et tu ne seras pas déçu
Avec moi boulangère, aux écus!
Avec moi boulangère.
La boulangère a des écus
Qui ne lui coûtent guère.
(Anonyme)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
Je ne sais pas ce qui se passe,
mais je ne me fais pas confiance
quand je commence à beaucoup aimer
une fille.
Ça me rend nerveux.
Je ne dis pas ce qu’il faut
ou peut-être que je commence
à examiner,
évaluer,
calculer
ce que je suis en train de dire.
Si je dis : « Tu crois qu’il va pleuvoir ? »
et qu’elle me dit : « Je ne sais pas », je me mets
à gamberger : je lui plais vraiment ?
Autrement dit
je deviens un peu lourd.
Un de mes amis a dit un jour :
« C’est vingt fois mieux d’être ami
avec quelqu’un
plutôt que d’en tomber amoureux. »
Il a raison, à mon avis, et à côté de ça
il pleut quelque part,
ça programme des fleurs
et ça rend les escargots heureux.
Tout ça, c’est réglé.
MAIS
Si une fille m’aime beaucoup
et commence à être vraiment nerveuse
et soudain se met à me poser de drôles de questions
et a l’air triste si je donne les mauvaises réponses
et me dit des trucs du style :
« Tu crois qu’il va pleuvoir ? »
et que je dis : « Je n’en sais rien »
et qu’elle dit : « Oh »,
et prend son petit air triste pour regarder
le ciel bleu clair de Californie,
je pense : Dieu merci, c’est toi, baby, cette fois-ci,
et non pas moi.
***
It’s Raining in Love
I don’t know what it is,
but I distrust myself
when I start to like a girl
a lot.
It makes me nervous.
I don’t say the right things
or perhaps I start
to examine,
evaluate,
compute
what I am saying.
If I say, « Do you think it’s going to rain? »
and she says, « I don’t know »,
I start thinking: Does she really like me?
In other words
I get a little creepy.
A friend of mine once said,
« It’s twenty times better to be friends
with someone
than it is to be in love with them. »
I think he’s right and besides,
it’s raining somewhere,
programming flowers
and keeping snails happy.
That’s all taken care of.
BUT
if a girl likes me a lot
and starts getting real nervous
and suddenly begins asking me funny questions
and looks sad if I give the wrong answers
and she says things like,
« Do you think it’s going to rain? »
and I say, « It beats me »,
and she says, « Oh »,
and looks a little sad
at the clear blue California sky
I think: Thank God, it’s you, baby, this time
instead of me.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
Je te cherche sous les racines de mon coeur
Comme un enfant à l’intelligence retardée qui a peur
D’entrer dans l’eau qui parle seul et fait bouger ses mains
« O mon Dieu permettez que cette eau ne me broie pas comme Votre Moulin
Je m’attarde résolument près des colchiques et des saules
Laissez-moi regarder par-dessus votre épaule
La route qui poudroie et l’herbe qui verdoie
Sans désirer jamais autre chose que cela
Mais Dieu qui n’entend pas l’amour de cette oreille
« Tu descendras au fond de toi et je surveille
Tes allées et venues Tu me dois de trouver
Dans l’eau de mes regards la noisette tombée »
Les yeux vagues ainsi qu’un veilleur de frontière
De songerie malade et de sens abîmés
Je plonge doucement mes mains dans la lumière
Sans penser un instant à les en retirer
Car il me plaît d’aider un corps qui s’aventure
Et cherche par-delà sa forme préférée
Le spectacle d’une âme aveugle qui murmure
Le long du mur en pierre de l’éternité.
(René Guy Cadou)
Recueil: René Guy Cadou Poésie la vie entière oeuvres poétiques complètes
Traduction:
Editions: Seghers