J’aime les gens qui doutent
Les gens qui trop écoutent
Leur cœur se balancer
J’aime les gens qui disent
Et qui se contredisent
Et sans se dénoncer
J’aime les gens qui tremblent
Que parfois ils nous semblent
Capables de juger
J’aime les gens qui passent
Moitié dans leurs godasses
Et moitié à côté
[Refrain]
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime ceux qui paniquent
Ceux qui sont pas logiques
Enfin, pas comme il faut
Ceux qui, avec leurs chaînes
Pour pas que ça nous gêne
Font un bruit de grelot
Ceux qui n’auront pas honte
De n’être au bout du compte
Que des ratés du cœur
Pour n’avoir pas su dire :
« Délivrez-nous du pire
Et gardez le meilleur »
[Refrain]
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime les gens qui n’osent
S’approprier les choses
Encore moins les gens
Ceux qui veulent bien être
Qu’une simple fenêtre
Pour les yeux des enfants
Ceux qui sans oriflamme
Et daltoniens de l’âme
Ignorent les couleurs
Ceux qui sont assez poires
Pour que jamais l’histoire
Leur rende les honneurs
[Refrain]
J’aime leur petite chanson
Même s’ils passent pour des cons
J’aime les gens qui doutent
Mais voudraient qu’on leur foute
La paix de temps en temps
Et qu’on ne les malmène
Jamais quand ils promènent
Leurs automnes au printemps
Qu’on leur dise que l’âme
Fait de plus belles flammes
Que tous ces tristes culs
Et qu’on les remercie
Qu’on leur dise, on leur crie :
« Merci d’avoir vécu
Merci pour la tendresse
Et tant pis pour vos fesses
Qui ont fait ce qu’elles ont pu »
L’enfant poussant un cercle de tonneau
qui lui sert de fruste cerceau
court seul avec des cris
mais à celui qui vient d’épeler
sous l’N et l’aigle de l’Empire
l’affiche de conscription
le vieillard seulement dit
dans l’embrasement du soleil
en buvant un poiré mousseux:
« le prochain siècle sera pire »
mais passent les amants qui chantent.
Pommes poires et tralalas merles renards flûtes à bec
Et les petites bottes bleues enfoncées dans la boue
Après la peine la joie revenait aussi sec
Au bois sifflaient les ziaux les loups les pâtres grecs
Beaucoup d’airs de toutes sortes faisaient gonfler nos joues
Pommes poires et tralalères merles renards flûtes à bec
Il n’y avait pas d’euros de dollars de kopecks
On pouvait chanter fort la gadoue la gadoue
Après la peine la joie revenait aussi sec
Dans le vent murmuraient le lièvre et le fennec
Tournaient les grues les elfes les roues
Pommes poires et tralalères merles renards flûtes à bec
(Valérie Rouzeau)
Recueil: Les poèmes ont des oreilles
Traduction:
Editions: Rue du Monde
Tu dis des mots, des mots pour être belle :
Pomme, poire, prune… et ta lèvre danse,
Et prend le goût des fruits qu’elle murmure.
Ta lèvre danse et tout ton corps la suit.
N’est-il merveille un corps épanoui,
Au bout de l’arbre une douceur d’enfant,
Un fruit savant qui fait danser les belles ?
Il n’est de mots, de formules magiques,
Que ceux qu’on déguste en les murmurant.
Nous ne dirons plus jamais je vous aime,
Nous nous dirons quelques fruits à l’oreille.
Ce sont trois chèvres un matin
qui travaillent dans leur jardin.
La première secoue le poirier.
La seconde ramasse les poires,
La troisième va au marché.
Elles ont travaillé tant et tant
et gagné tellement d’argent
qu’elles ont pris à leur service
trois demoiselles de Saint-Sulpice.
La première fait la cuisine,
la seconde fait le ménage,
et la troisième au pâturage
garde trois chèvres le matin
qui s’amusent dans leur jardin.
Trois chèvres qui ne font plus rien.
(Claude Roy)
Recueil: Le rire en poésie
Traduction:
Editions: Gallimard
Il est venu un jardin cette nuit
qui n’avait plus d’adresse
Un peu triste il tenait poliment
ses racines à la main
Pourriez-vous me donner
un jardin où j’aurais
le droit d’être jardin?
Il faudrait arroser mes laitues
et un mur ayant bu beaucoup de soleil
pour mûrir mes poires en espalier
Deux carrés pour mes asperges
et les plates-bandes de fraisiers
Si vous aviez la bonté
de mettre aussi un vieux figuier
pour donner de l’ombre
et beaucoup d’arbres fruitiers
pour les saisons de confitures
N’oubliez pas un puits profond
et un jet d’eau à volonté
C’est une vie qui n’est pas une vie
que d’être un jardin égaré
qui n’existe qu’en souvenir
et ne sait plus où fleurir
(Claude Roy)
Recueil: À la lisière du temps suivi de Le voyage d’automne
Traduction:
Editions: Gallimard
L’odeur du buis le fait penser aux poires mûres,
cette valse à son amour pour Hélène.
La mer, la mer le fait penser à l’infini,
ce lac si calme, à la longueur du temps.
Le ciel des nuits d’été, ça va de soi, le fait penser à Dieu.
Pourquoi les choses font-elles toujours penser à autre chose ?
Un parapluie, une poire sur la table.
Et le personnage ici présent doit être le silence.
Mais ce morceau de fromage veut encore confirmer ce silence.
Eh bien, c’est trop.
Quand il est question de silence,
il ne faut pas le crier si haut ni le répéter avec du fromage.