Mignonne, allons nous en dans un pays de songe,
Joli, capricieux, absurde, comme vous,
Azuré d’impossible et fleuri de mensonges,
Où les arbres, les eaux et les ciels seront fous.
Regardez ! Le soleil sort de chez sa maîtresse
En galant négligé du matin, pâli, las,
Tandis qu’à l’horizon traînant sa noire tresse
Elle lui jette au nez des bouquets de lilas.
Lilas de l’aube, blancs lilas semés de perles !
Mettez à votre front ce nimbe gracieux.
La diane déjà chante au gosier des merles.
Les feuilles au réveil s’ouvrent comme des yeux.
Le ruisseau qui gazouille a pour vous des cascades
De diamant ou bien des miroirs de cristal.
Les cailloux du sentier roulent des noix de muscades,
Et l’écorce du bois est un bois de santal.
Le vent luxurieux sur vos lèvres dérobe
L’arôme des baisers et le vol des chansons,
Et le désir troublant qui dort sous votre robe
Fait courir un frisson d’amour dans les buissons.
Et sous vos pieds, vos mains, vos regards, votre haleine,
Tout va fleurir dans la foręt d’enchantement.
De fleurs aux mille noms pour que l’herbe soit pleine,
Ô fée, il vous suffit de m’aimer un moment.
L’héliotrope sombre embaumant la vanille,
L’aspérule aux relents de musc, le romarin,
La marjolaine en blanc qu’on nomme la gentille,
La sauge qui dans l’air met un souffle marin,
L’encens du basilic, la myrrhe des glycines,
L’oeillet qui sent le poivre et l’anis plein de miel,
La gueule ouverte rouge et or des capucines,
Le bleu myosotis, gouttelette de ciel,
La mauve, le muguet, les lis, les violettes,
Le chèvrefeuille avec ses coraux blancs-rosés,
La lavande, l’iris, le thym, ces cassolettes,
Tous les pois de senteur, ces papillons posés,
La jacinthe, l’arum, l’ache, les amarantes,
Les clochetons ambrés des pâles liserons,
Les roses, firmament d’aurores odorantes,
Tout va s’épanouir quand nous nous baiserons.
Au printemps de nos coeurs tout se mêle et s’enivre.
Étreintes de parfums, de formes, de couleurs !
Notre baiser daveu, comme un clairon de cuivre,
Sonne la charge en rut aux batailles des fleurs.
Mignonne, nous voici noyés dans cette foule.
Tu n’y peux échapper, c’est en vain que tu cours.
Les fleurs aiment encor sous ton pied qui les foule.
Sous nos corps enlacés les fleurs aiment toujours.
Leur sang coule embaumé du coeur de leurs calices,
Bu par les vents pareils à des chiens maraudeurs,
Qui traînent dans l’air chaud saturé des délices
Des lambeaux de couleurs, de formes et d’odeurs.
Elles meurent d’aimer. Elles meurent, qu’importe ?
Mort d’amour, ô le plus savoureux des trépas !
Et leur dernier soupir est un souffle qui porte
L’âpre besoin d’aimer ŕ ceux qui n’aiment pas.
O mignonne, mourrons comme ces fleurs qui s’aiment.
Donnons tout notre sang de désirs parfumé,
Et que les vents, grisés par nos baisers qu’ils sèment,
Aillent dire partout que nous avons aimé.
Qu’ils le disent au bois, au champ, à la ravine,
Le disent à la nuit et le disent au jour,
Qu’ils disent par sanglots notre extase divine
Au monde fatigué qui ne sait plus l’amour !
Qu’ils le disent au ciel, à la nature entière,
Qu’ils racontent que nous nous sommes épousés
Et que l’éternité de toute la matière
A fleuri ce jour-là dans un de nos baisers !
L’amour,l’amour,l’amour
Dont on parle toujours
À l’amour, c’est un printemps craintif
Une lumière attendrie, ou souvent une ruine
L’amour, l’amour, c’est le poivre du temps
Une rafale de vent, une feuillée de lune
L’amour, l’amour, à l’amour
Dont on parle toujours
L’amour, met la nuit a un bonnet
Et le jour porte un masque
Qui veulent que l’on grimace
L’amour, l’amour
C’est parfois même aussi, que le visage d’un autre
Qui n’est ni lui ni l’autre
À l’amour, à l’amour, à l’amour
Dont on parle toujours
À l’amour, à l’amour c’est plus d’une fois
Un panier vide aux bras l’arc-en-ciel sur deux coeurs
À l’amour, à l’amour
À l’amour c’est quand je t’aime
À l’amour c’est quand tu m’aimes
Sans me le dire
Sans te le dire
À l’amour, à l’amour
L’amour c’est quand tu m’aimes
L’amour c’est quand je t’aime
Sans te le dire
Sans me le dire
Dans la ville étrangère au langage incompréhensible
tu marches par des rues inconnues;
tu ne connais même pas le nom de la rivière
dont l’eau coule sous la voûte en pierres
du pont.
Tu es là,
tout seul, dans ton ombre
qui chemine lentement sur l’asphalte
comme une mélodie venue de loin
d’un instrument désaccordé.
Mais tout à coup
un petit oiseau te découvre,
rencontre ton regard
de ses yeux couleur poivre,
avant de disparaître dans la pénombre.
***
Exil
I den främmande staden med det obegripliga språket
vandrar du längs de obekanta gatorna;
inte ens flodens vatten
som rinner in under brons stenvalv
vet du namnet på
Och du står där åter
alldeles ensam i din egen skugga
som sakta sipprar ut över asfalten
som en avlägsen melodi
ur ett ostämt instrument
Men så plötsligt
får en liten fågel syn på dig,
möter din blick
med sina pepparkornsfärgade ögon
innan den försvinner
in i skymningen
***
Exil
În orașul străin cu grai neînțeles
rătăcind pe necunoscutele-i străzi;
nici măcar apei din râul
ce curge sub arcul de piatră al punții
numele nu i-l cunoști.
Și iată-te, stând
singur cu tine, în umbra-ți stingheră
ce-ncet se prelinge pe-asfalt
ca un cântec venit de departe
emis de un fluier ce sună strident.
Dar brusc te zărește
o pasăre mică,
privirea ți-o-ntoarce
cu ochi de piper,
zburând mai apoi spre lumina din zori.
***
***
Exilio
En la ciudad extranjera, con un lenguaje incomprensible,
caminas por calles desconocidas;
ni siquiera del río cuyas aguas corren
bajo el arco de piedra del puente
conoces el nombre
Y allí estás, totalmente sólo
en tu propia sombra
que lentamente se desliza por el asfalto,
como la lejana melodía
de un instrumento desafinado.
Pero súbitamente
un pajarito te descubre,
y se encuentran con tu mirada
sus ojos color pimienta,
antes de desaparecer en el atardecer.
***
ΕΞΟΡΙΑ
Στην ξένη πόλη με την άγνωστη γλώσσα
περπατάς σ’ άγνωστους δρόμους
μήτε και το νερό του ποταμού
που ρέει κάτω απ’ την αψίδα της γέφυρας
που δεν γνωρίζεις τ’ όνομα της.
Kι εκεί στέκεσαι, ολομόναχη
στον ίσκιο σου δίπλα
που αργά κυλά στην άσφαλτο
σαν μακρινή μουσική
από ακούρδιστο όργανο.
Και ξάφνου σε βλέπει το πουλί
με τα πιπεράτα μάτια του
προτού πετάξει μέσα στην αυγή.
***
***
Exil
In de vreemde stad met een onbegrijpelijke taal
loop je langs onbekende straten;
je kent zelfs de naam van de rivier niet
waarvan onder het stenen gewelf van de brug
het water vloeit
En daar sta je dan
helemaal alleen, in je eigen schaduw
die langzaam op het asfalt sijpelt,
zoals een melodie in de verte
van een ontstemd instrument.
Maar plotseling
word je door een kleine vogel ontdekt,
ontmoet hij jouw blik
met zijn peperkleurige ogen,
alvorens hij in het deemster verdwijnt.
***
EXILE
In the foreign city with an incomprehensible language
you are walking along unfamiliar streets;
not even the water of the river
which flows under the stone arch of the bridge
you know not the name of
And there you are, standing
totally alone, in your own shadow
which slowly trickles out onto the asphalt
like a distant melody
from an instrument that is out of tune.
But suddenly
a little bird notices you,
meets your gaze
with its pepper-coloured eyes,
before it disappears into the dusk.
La roue en avait assez
De trimballer la charrette
Le poivre en avait assez
D’assaisonner la blanquette
Assez que l’eau chaude avait
De cuire à point les navets,
Le feu d’exciter l’eau chaude,
Le four d’enfler la farine
Et le poète ses odes.
La rose était écoeurée
De caresser les narines.
Un dormant raz de marée
Couvrit toute la machine.
Assez! assez, plus qu’assez
Geignaient mille pots cassés.
Le coeur lui-même était las,
Oh! las de voler si bas.
Tout dormait, dorma, dormut
Dans les vieux pays fourbus.
Et tout dormirait encore,
Tout dormirait à jamais,
Si, tout à coup dans l’aurore
D’un joli mai qui germait,
perlant, fusant à la ronde,
Le chant d’un merle jeunet
N’avait réveillé le monde.
Vers les docks où le poids et l’ennui
Me courbent le dos
Ils arrivent le ventre alourdi
De fruits des bateaux
Ils viennent du bout du monde
Apportant avec eux des idées vagabondes
Aux reflets de ciels bleus
De mirages
Traînant des senteurs poivrées
De pays inconnus
Et d’éternels étés où l’on vit presque nus
Sur les plages
Moi qui n’ai connu toute ma vie
Que le ciel du nord
J’aimerais débarbouiller ce gris
En virant de bord
[Refrain]
Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil
Dans les bars à la tombée du jour
Avec les marins
Quand on parle de filles et d’amour
Un verre à la main
Je perds la notion des choses
Et soudain ma pensée
M’enlève et me dépose
Un merveilleux été
Sur la grève
Où je vois tendant les bras
L’amour qui comme un fou
Court au devant de moi
Et je me pends au cou
De mon rêve
Quand les bars ferment, que les marins
Rejoignent leur bord
Moi je rêve encore jusqu’au matin
Debout sur le port
[Refrain]
Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil
Un beau jour sur un rafiot craquant
De la coque au pont
Pour partir je travaillerais dans
La soute à charbon
Prenant la route qui mène
À mes rêves d’enfant
Sur des îles lointaines
Où rien n’est important
Que de vivre
Où les filles alanguies
Vous ravissent le cœur
En tressant m’a t’on dit
De ces colliers de fleurs
Qui enivrent
Je fuirais laissant là mon passé
Sans aucun remords
Sans bagage et le cœur libéré
En chantant très fort
[Refrain]
Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil…
Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil…
Lalalalalalalalalalalalalalalala…
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil…
Lalalalalalalalalalalalalalalala…
Elle est en merisier ;
c’est l’armoire de ma grand-mère.
Le safran, la verveine, le poivre,
la noix de muscade et le clou de girofle y font bon ménage avec la riche cassonade.
Mais le thym, le laurier, le café, la cannelle sont les seigneurs de ce petit royaume ;
vassaux toutefois de la reine Vanille, la longue fée en robe noire
qui les domine tous par la taille, le parfum, la noblesse.
La roue en avait assez
De trimballer la charrette.
Le poivre en avait assez
D’assaisonner la blanquette.
Assez que l’eau chaude avait
De cuire à point les navets,
Le feu d’exciter l’eau chaude,
Le four d’enfler la farine
Et le poète ses odes.
La rose était écceurée
De caresser les narines.
Un dormant raz de marée
Couvrit toute la machine.
Assez ! assez, plus qu’assez
Geignaient mille pots cassés.
Le coeur lui-même était las,
Oh ! las de voler si bas.
Tout dormait, dorma, dormut
Dans les vieux pays fourbus.
Et tout dormirait encore,
Tout dormirait à jamais,
Si, tout â coup dans l’aurore
D’un joli mai qui germait,
Perlant, fusant i la ronde,
Le chant d’un merle jeunet
N’avait réveillé le monde.
Une fée s’est réveillée
dans le poivre gris de l’hiver.
Un papillon l’a précédée
au-dessus de la cheminée.
Une fête ! Une fête d’amour
autour des vivants et des morts !
le feu brille dans mes mots du soir :
chaque instant est un éclat de rire
qui fait battre la vie à se rompre !
voici la fée qui se déshabille
sur l’égarement de mes cinq sens.
Une odeur de brûlé s’élève
de sa justice de femme.
Sa chaude lune est
le songe d’un très vieux songe de poète.
Sa force tendrement animale
est un pollen de papillon
sur l’oreiller d’un pharaon d’Egypte !
que la nuit apporte sa tendresse
aux yeux de reine vigilante !
que la maison reste en fleur
dans la neige de son souvenir !
salut, ombre bien-aimée d’Hadriana !
tes semences sont à ma porte
ta joie saute dans mon lit
pour rendre soudain la vue
à l’aveuglement de mes années !
(René Depestre)
Recueil: Anthologie personnelle
Traduction:
Editions: Actes Sud