Il ne faut pas travailler tout le temps.
Il faut prendre des temps,
prendre son temps.
Il faut digérer. Oui.
C’est dans la digestion des connaissances
que réside le talent.
L’essentiel est de n’avoir pas de minutes vulgaires ou insignifiantes.
Ennuyez-vous.
Car ce jour-là vous prendrez un porte-plume et un papier
et vous ferez peut-être un chef-d’oeuvre.
Tout est dans la qualité de l’ennui.
Aimer les mots. Aimer un mot.
Le répéter, s’en gargariser.
Comme un peintre aime une ligne,
une forme, une couleur.
Autour d’un mot se coagule une phrase, un vers, une strophe, une idée.
Ah ! quel beau mode d’extériorisation !
Et extérioriser, c’est tout!
Sans doute par la quantité d’idées, de sentiments qui se sont incendiés pour la produire
ou bien parce qu’elle s’attache à un pivot qui n’est pas en vous.
Je crois que les œuvres très extériorisées sont très rares.
Le style c’est d’extérioriser!
(Max Jacob)
Recueil: Conseils à un jeune poète
Traduction:
Editions: Gallimard
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize
Répétez! dit le maître
Deux et deux quatre
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize
mais voilà l’oiseau lyre
Qui passe dans le ciel
L’enfant le voit
L’enfant l’entend
L’enfant l’appelle:
Sauve-moi
Joue avec moi
Oiseau!
Alors l’oiseau descend
Et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre…
Répétez! dit le maitre
Et l’enfant joue
L’oiseau joue avec lui…
Quatre et quatre huit
Huit et huit font seize
Et seize et seize qu’est-ce qu’ils font?
Ils ne font rien seize et seize
Et surtout pas trente-deux
De toute façon
Et ils s’en vont.
Et l’enfant a caché l’oiseau
Dans son pupitre
Et tous les enfants
entendent sa chanson
et tous les enfants
entendent sa musique
et huit et huit à leur tour s’en vont
et quatre et quatre et deux et deux
à leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un et un s’en vont également.
Et l’oiseau lyre joue
Et l’enfant chante
Et le professeur crie:
Quand vous aurez fini de faire le pitre!
mais tous les autres enfants écoutent la musique
Et les murs de la classe
S’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
L’encre redevient eau
Les pupitres redeviennent arbres
La craie redevient falaise
Le porte-plume redevient oiseau.
Ils m’ont tout enlevé, les porte-plumes
les crayons, l’encre
car, eux,
ils n’aiment pas que j’écrive.
Et ils m’ont enfoui
dans cette cellule de châtiment
mais même ainsi
ils n’étoufferont pas ma révolte.
Ils m’ont tout enlevé
– enfin, presque tout –
car il me reste le sourire
l’orgueil de me sentir un homme libre (…)
Ils m’ont tout enlevé, les porte-plumes, les crayons.
Mais il me reste l’encre de la vie
– mon propre sang-
et avec lui,
j’écris encore des vers.