Peut-être une fois de plus me rendra fou
votre sourire
et sur le bord de mon lit viendront s’asseoir
mère Douleur, l’amie Amour,
comme toujours toutes les deux à la fois.
Peut-être une fois de plus me rendra fou
le son du clairon
et quand j’irai comme si j’étais tombé de la lune
mes cheveux auront l’odeur de la poudre à canon.
Peut-être une fois de plus me rendra fou un baiser :
comme la flamme d’une lanterne, hésitant dans sa cage,
je tremblerai
lorsqu’il viendra se poser sur mon visage.
Je n’aurai, pourtant, que le vent sur les lèvres
et c’est bien en vain que, cette fois,
dans la main j’essaierai de prendre
sa robe sans poids.
(Jaroslav Seifert)
Recueil: Les danseuses passaient près d’ici
Traduction: Petr Kral et Jan Rubes
Editions: Actes Sud
Jour, jour de notre rencontre,
temps nommé Épiphanie;
jour si fort qui vins, couleur
de moelle et de plein midi,
sans frénésie à nos pouls
tout tumulte et agonie,
tranquille comme le lait
des vaches portant sonnailles!
Jour à nous, par quel chemin,
forme sans pieds,
vint-il? Nous n’avons pas su,
n’avons pas veillé; nul signe
ne l’annonçait; nous n’avons pas
sifflé sur les collines;
il s’en venait en silence!
Tous les jours semblaient pareils;
tout à coup mûrit un Jour.
Jour pareil aux autres jours,
comme sont pareils roseaux
et sont pareilles olives
et pourtant, comme Joseph,
ne ressemblait pas à ses frères.
Ayons pour lui un sourire
parmi tous les autres jours
et qu’il les dépasse tous,
comme boeuf de grande taille
et le char devant les gerbes.
Béni soit-il des saisons,
que Nord et Sud le bénissent,
que son père l’an le choisisse
pour en faire mât de vie.
Ni rivière, ni pays,
ni métal; ce n’est qu’un Jour,
Parmi les jours des poulies,
des gréements, des blés sur l’aire,
parmi engins et besognes,
nul ne le voit, ni le nomme.
Fêtons-le et nommons-le,
en grâces à qui l’a fait
et gratitude de sol
et gratitude de l’air,
pour sa rivière d’eau vive
avant qu’il ne tombe en cendre,
en poudre de chaux moulue
et vers l’éternel déverse
son apparence de merveille.
Cousons-le à notre chair,
à nos coeurs et nos genoux
et que nos mains le pétrissent
et que nos yeux le distinguent,
qu’il brille pour nous de nuit
et nous fortifie de jour,
tels cordages pour les voiles,
tels points pour les blessures.
(Gabriela Mistral)
Recueil: Poèmes choisis Prix Nobel de littérature 1945
Editions: Rombaldi
Sur le pont-neuf, entouré de badauds,
Un charlatan criait à pleine tête :
Venez, messieurs, accourez faire emplette
Du grand remède à tous les maux :
C’est une poudre admirable
Qui donne de l’esprit aux sots,
De l’honneur aux fripons, l’innocence aux coupables,
Aux vieilles femmes des amants,
Au vieillard amoureux une jeune maîtresse,
Aux fous le prix de la sagesse,
Et la science aux ignorants.
Avec ma poudre, il n’est rien dans la vie
Dont bientôt on ne vienne à bout ;
Par elle on obtient tout, on sait tout, on fait tout ;
C’est la grande encyclopédie.
Vite je m’approchai pour voir ce beau trésor…
C’était un peu de poudre d’or.
En remède à vos maux d’amour,
Prenez la fleur de souvenir
Avec le suc d’une ancolie,
Et n’oubliez pas le souci;
Mélangez tout en fâcherie.
La plante du désir de loin,
Poire d’angoisse en émollient, –
Dieu, pour l’amie, vous les adresse -;
Poudre de plaintes en calmant,
Feuille de l’élection d’un autre
Et racine de jalousie :
Mettez l’essentiel sur le coeur
Juste avant de vous endormir
En remède à vos maux d’amour.
Tandis qu’Anna se met à la machine à coudre
Voyez sa sœur Annie qui se met de la poudre.
Tandis qu´Anna toujours nettoie le linge sale
En ascenseur sa sœur Annie s´en va au bal.
Annie
Vous êtes bien plus jolie qu´Anna.
Anna
Je vous aime beaucoup plus qu´Annie.
Annie
Vous avez des yeux bleus qu´Anna n´a.
Anna
Je préfère vos jolis yeux gris.
L´amour est entré dans mon cœur depuis
Le jour béni
Où je vous vis.
Annie
Vous avez séduit un maharajah.
Anna
Eh bien vous n´avez séduit que moi.
Tandis qu´Anna dans sa maison fait la lessive
Dans les salons, sa sœur Annie fait la lascive.
Le maharajah met des bijoux sur sa poitrine
Cette poitrine m´a tout l´air d´une vitrine
Tous vos amis font du cinéma.
Anna
Je suis vraiment votre seul ami.
Annie
Cet hindou vous dit toujours « Ça va »
Anna
Il ne faut pas envier sa vie.
Rajah, je préfère aux trésors d´un jour
Un bel amour
Qui dure toujours.
Annie
Vous sortez en robe d´apparat.
Anna
Vous restez toujours seule à Paris.
Un jour la pauvre Annie vient frapper à ma porte.
Elle a des yeux qui font des plis, l´air d´une morte.
Le maharajah vient de partir pour Singapour
En emportant ses bijoux faux comme son amour.
Annie
Vous vous êtes jetée dans mes bras.
Anna
Tous trois nous avons pleuré sans bruit.
Annie
Vous êtes restée trois jours dans le coma.
Anna
Hier vous avez épousé le commis
Et moi qui ne suis pas un maharajah.
Mais un ami
Je suis parti
Parti
Je suis parti pour Bratislava
Là-bas.
Je vais essayer de refaire ma vie
En oubliant Anna-Annie.
Hé Joe! Tu fais quoi là?
Mais t’es qui là, Joe?
T’as l’coeur qui s’emballe, tu dis qu’t’es amoureux
Mais elle s’ra toujours jeune quand tu s’ras déjà vieux
Elle a quoi? Ses vingt ans? Et tout son maquillage?
Mais c’est rien vingt ans contre vingt ans de mariage
Moi j’te dis ça comme ça, c’est même pas mes affaires
Ça peut arriver, c’est vrai, mais j’peux pas t’laisser faire
Tu pourras vivre avec mais pas vivre sans eux
Chez toi ils font la tête, Joe, depuis qu’tu t’sens moins vieux
Je sais dans ton coeur c’est la fiesta
Quand je te vois danser, t’es qui là?
Je sais dans ton coeur c’est la fiesta
Mais chez toi ça danse pas
T’as l’coeur qui s’emballe, tu dis qu’t’es amoureux
Moi j’te parie cent balles que c’est d’la poudre aux yeux
C’est tout nouveau tout beau, ça donne les yeux qui brillent
Mais souvent on s’enflamme, Joe, pour un feu de brindilles
Ouais souviens-toi, au tout début ta femme tu l’emmener promener
Et du jour au lendemain tu l’envoies balader
Moi j’te dis ça comme ça, c’est même pas mes affaires
On sait jamais c’qu’on gagne, Joe, mais je sais c’que tu perds
Je sais dans ton coeur c’est la fiesta
Quand je te vois danser, t’es qui là?
Je sais dans ton coeur c’est la fiesta
Mais chez toi ça danse pas
Hé Joe!
Penses-y à deux fois, Joe, avant de partir trop vite
Tu y as pensé aux p’tites mains derrière la vitre?
Du train qui part en gare quand un weekend sur deux
Ils te diront au revoir, Joe, comme l’on dit « adieu »
Je sais dans ton coeur c’est la fiesta
Quand je te vois danser, t’es qui là?
Je sais dans ton coeur c’est la fiesta
Mais chez toi ça danse pas
Esta noche mi fiesta no va a parar
Que me dejen tranquilo que quiero disfrutar
Hay momentos tan sabrosos en la vida
No los puedo ignorar
Estan bella que no me puedo controlar
Es mi vida y yo la quiero gozar
Solamente quiero disfrutar
Disfrutar de la vida, ‘ta bueno ya
Hé Joe! Mais t’es qui là, Joe
(Christophe Maé) (Paul Ecole / Bruno Dandrimont / Valentin Aubert)
Que j’aime à voir, dans la vallée
Désolée,
Se lever comme un mausolée
Les quatre ailes d’un noir moutier!
Que j’aime à voir, près de l’austère
Monastère,
Au seuil du baron feudataire,
La croix blanche et le bénitier!
Vous, des antiques Pyrénées
Les aînées,
Vieilles églises décharnées,
Maigres et tristes monuments,
Vous que le temps n’a pu dissoudre,
Ni la foudre,
De quelques grands monts mis en poudre
N’êtes-vous pas les ossements?
J’aime vos tours à tête grise,
Où se brise
L’éclair qui passe avec la brise,
J’aime vos profonds escaliers
Qui, tournoyant dans les entrailles
Des murailles,
A l’hymne éclatant des ouailles
Font répondre tous les piliers!
Oh! lorsque l’ouragan qui gagne
La campagne,
Prend par les cheveux la montagne,
Que le temps d’automne jaunit,
Que j’aime, dans le bois qui crie
Et se plie,
Les vieux clochers de l’abbaye,
Comme deux arbres de granit!
Que j’aime à voir, dans les vesprées
Empourprées,
Jaillir en veines diaprées
Les rosaces d’or des couvents!
Oh! que j’aime, aux voûtes gothiques
Des portiques,
Les vieux saints de pierre athlétiques
Priant tout bas pour les vivants!
Nous émottons les années et elles se mettent à respirer.
Les non-partagées, on les couvre soigneusement
avec des toiles d’araignées
pour qu’elles ne saignent plus.
Le rouge n’est pas une couleur d’ange, dit-elle,
en dessinant des triangles dans l’air
pendant que j’essaie de trouver la place juste
d’un morceau du puzzle.
J’ai emmuré l’une des portes,
c’est pourquoi tu ne réussis pas à faire rentrer
la table au milieu du salon.
Les reflets de la bougie lèchent les nacres
incrustées dans l’ancien fauteuil viennois,
arrachent des runes bleuâtres
et les effacent tout de suite.
C’est le baiser du temps,
ajoute-t-elle à l’aube
et son doigt suit la ligne blanche
au creux de l’accoudoir
ayant amassé la poudre des ailes
de ce papillon mystique
qui avait survolé nos têtes
une nuit de février
comme s’il voulait démentir les saisons
et éclairer l’écriture secrète
dans l’âme de chacune de nous.
(Aksinia Mihaylova)
Recueil: Le baiser du temps
Traduction:
Editions: Gallimard
Je sors des nuits éclaboussées de sang
Regardez mes flancs
Labourés par la faim et le feu
Je fus une terre arable
Voyez ma main calleuse,
noire
à force de pétrir le monde.
Mes yeux brûlés à l’ardeur de l’Amour.
J’étais là lorsque l’ange chassait l’ancêtre,
J’étais là lorsque les eaux mangeaient les montagnes
Encore là, lorsque Jésus réconciliait le ciel et la terre,
Toujours là, lorsque son sourire par-dessus les ravins
Nous liait au même destin.
Hommes de tous les continents
Les balles étêtent encore les roses
dans les matins de rêve.
Sorti de la nuit des fumées artificielles
Je voudrais vous chanter
Vous qui portez le ciel à bout de bras
Nous
qui nous cherchons dans le faux jour des réverbères.
Je connais moi aussi
Le froid dans les os, et la faim au ventre,
Les réveils en sursaut au cliquetis des mousquetons
Mais toujours une étoile a cligné des yeux
Les soirs d’incendie, dans les heures saoules de poudre.
Hommes de tous les continents
Portant le ciel à bout de bras,
Vous qui aimez entendre rire la femme,
Vous qui aimez regarder jouer l’enfant,
Vous qui aimez donner la main pour former la chaîne,
Les balles étêtent encore les roses
dans les matins de rêve.
(Bernard Binlin Dadié)
Recueil: 120 nuances d’Afrique
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
0 mon ami, lentille d’eau incrustée sur l’étang,
Je te vois comme la flamme clignotante du premier matin blanc,
Qui suspend dans l’air le sillage empanaché
D’un train caboteur qui suit la côte à petite journée.
Tu es la jarre de lait répandue dans les pâturages du ciel
Et cette étoile impatiente qui lance ses graines hors de leur gousse,
L’arbre-chanteur et son ombre de mousse.
Mais tu es aussi et surtout le disparu du bord
Qui allume la mèche sous les barils de poudre,
Le passager que l’on attendra longtemps sur le port,
Je ne sais où, dans un pays fracassé par la foudre.