LA GUERRE
LA CHANSON DE L’OURAGAN
L’empereur Kao-Ty
L’ouragan furieux, court par le ciel,
et pourchasse les nuages, qui roulent et s’enfuient.
C’est ainsi que ma puissance, a culbuté les ennemis et les a dispersés…
De tous les horizons, ils ont disparu,
maintenant, et je peux rentrer dans mon empire.
Mais où trouverai-je des braves, d’un souffle assez fort,
pour maintenir le ciel pur, autour de mes frontières ?
(Textes chinois)
Recueil: Le Livre de Jade
Traduction: Judith Gautier
Editions: Plon
Je suis celui qui pourchasse
le visage des apparences
Milarépa
sans lieu
sans nom
le géomètre des éclipses
parcourt l’horizon
sans lieu
sans mémoire
il prend le suaire du ciel
et l’étend sur le monde
sans lieu
sans boussole
le visage sillonné d’ombres
il explore les abîmes d’en-haut
sans lieu
sans cesse
il s’en va caresser la mort
au-delà des lunes brûlées
(Zéno Bianu)
Recueil: Infiniment proche et Le désespoir n’existe pas
Traduction:
Editions: Gallimard
Quels sont ces propos de tueur et de tué ?
Les glaives ne sont point assez aiguisés ni les flots assez puissants
pour éteindre le feu de notre âme. La mort et la douleur
sont pures conventions d’un plus noble théâtre.
Tel un héros pourchassé par son destin
tombe comme un pilier arraché du monde immense,
ébranlant le coeur des hommes, et que rempli d’effroi
l’auditoire se tait ou pleure, vaincu par le chagrin,
tandis que derrière la scène l’acteur soupire
de soulagement, ôte son masque
et parle aux amis qui l’attendent, ou des coulisses
observe l’accalmie de la scène finale –
de même l’esprit indemne des tués
s’éloignant de nos yeux, ne cesse pas de vivre.
(Sri Aurobindo)
Recueil: Poésie
Traduction: Français Cristof Alward-Pitoëff
Editions: Sri Aurobindo Ashram Trust
Amour en même instant m’aiguillonne et m’arrête,
M’assure et me fait peur, m’ard et me va glaçant,
Me pourchasse et me fuit, me rend faible et puissant,
Me fait victorieux et marche sur ma tête.
Ores bas, ores haut, jouet de la tempête,
Il va comme il lui plait mon navire élançant :
Je pense être échappé quand je suis périssant,
Et quand j’ai tout perdu, je chante ma conquête.
De ce qui plus me plait, je reçois déplaisir ;
Voulant trouver mon coeur, j’égare mon désir ;
J’adore une beauté qui m’est toute contraire ;
Je m’empêtre aux filets dont je me veux garder :
Et voyant en mon mal ce qui me peut aider,
Las! je l’approuve assez, mais je ne le puis faire.
Voulais-je que tu me suives, ou
que tu délaisses mes traces ? Au moment où
le feu est passé au rouge
j’ai traversé, voleur que pourchassaient
ses remords. J’ai laissé derrière moi
les grandes rues, j’ai filé par les sentiers
sans issue. Je me suis retrouvé
sur des ravins de soleil, et là, sur des pics
vertigineux, j’ai attendu
que les digues eussent calmé les eaux
troublées du coeur.
Il faudrait que survint quelqu’un d’autre que moi
Et qu’il te saluât avec plus d’éloquence,
Admirant ta beauté sans bégayer d’émoi,
Un peu fou, hardi, vif, encore dans l’enfance.
«Beauté, te dirait-il, où que mènent tes pas
C’est pour toi que surgit la flamme du génie
Et l’esprit créateur perçoit dans tes appas
L’oeuvre antique et divine, admirable harmonie.
En attendant sur ton trône le Jamais Vu,
L’artiste à l’oeil altier te tient en déférence.
Tu fais tomber d’un mot, à peine est-il conçu,
Les murs de Jéricho de notre indifférence ! »
Ainsi dirait-il. De sa lèvre fuserait
Un hosanna pour toi comme celui du prêtre
Adorateur du feu dans l’épaisse forêt
Et qui voit près de lui les flammes apparaître.
Belle Réalité qui fais baisser les veux,
Mon âme veut cueillir une dernière rose,
Et répandre son eau, jardinier malheureux,
Sans un mot, devant toi, sur sa robe déclose.
II
Tel Désir du faucon qui veut qu’elle succombe,
Qui d’un coup d’aile ardent pourchasse la colombe,
Je poursuis quant à moi la timide beauté,
Car dans le sombre ciel de mon coeur attristé
Le regard de la Belle a versé la lumière.
Tout en la bénissant, il attend la voix chère
Qui saura le louer. Si je puis la saisir
Je la déchirerai, pourtant, tel le Désir
Du faucon en plein ciel qui poursuit la colombe
De son coup d’oeil puissant, qui veut qu’elle succombe !
Petit oiseau chétif que la pluie a trempé,
Ne sachant dignement alerter ta beauté,
Me débattant au sol, je traîne mon plumage
Et j’attends tout tremblant que sourie ton visage;
Qu’elle me sourie donc, puisque je me débats !
C’est l’hommage, le seul, digne de ses appas.
(Attila József)
Recueil: Aimez-moi – L’oeuvre poétique
Traduction: Georges Kassaï
Editions: Phébus
Aussi belle que la main de l’aimée
sur la mer.
Aussi seule.
J’écris pour vous.
La douleur est un coquillage.
On y écoute perler le cœur.
J’écris pour vous,
au seuil de l’idylle,
pour la plante aux feuilles d’eau,
aux épines de flammes,
pour la rose d’amour.
J’écris pour rien,
pour les mots luisants
que trace ma mort,
pour l’instant de vie
éternellement dû.
Aussi belle que la main de l’aimée
sur le signe.
Aussi seule.
J’écris pour tous.
Je vous écris d’un pays pesant
comme les pas du forçat,
d’une ville pareille aux autres
où les cris camouflés
se tordent dans les vitrines;
d’une chambre où les cils ont détruit,
petit à petit, le silence.
Vous êtes, destinatrice prédestinée,
ma raison d’écrire;
l’inspiratrice joyeuse du jour et de la nuit.
Vous êtes le col du cygne assoiffé d’azur.
Aussi belle que la main de l’aimée
sur les yeux.
Aussi douce.
Je vous écris avec la chair des mots accourus,
haletants et rouge.
C’est bien vous qu’ils entourent.
Je suis tous les mots qui m’habitent
et chacun d’eux vous magnifie avec ma voix.
J’ai besoin de vous pour aimer,
pour être aimé des mots qui m’élisent.
J’ai besoin de souffrir de vos griffes
afin de survivre aux blessures du poème.
Flèche et cible, alternativement.
J’ai besoin d’être à votre merci
pour me libérer de moi-même.
Les mots m’ont appris à me méfier
des objets qu’ils incarnent.
Le visage est le refuge des yeux pourchassés.
J’aspire à devenir aveugle.
Aussi belle que la main de l’aimée
sur le sourire de l’enfant.
Aussi transparente.
La tempête passe entre les doigts ouverts
en renversant le ciel parmi les feuilles mortes
et la terre ne dépasse plus de la terre
que par quelques arbres coulant avec leur mâture.
Les oiseaux perdus dans les branches se taisent,
les bielles s’arrêtent dans les machines souterraines,
les chambres sans plafond sont nues dans la bourrasque
qui troue la cendre froide où les hommes se cachent.
Les noeuds de rosée n’ont pas tenu dans l’herbe
qui pourchasse le vent en toute liberté,
surprise de voir la terre si dure et si passive
aux coups que lui donne le nuage en plein vol.
Les ceps transis restent seuls dans les champs
au milieu des os que tendent les chaumes.
Le monde est soudain vide comme un couloir
où le moindre pas, le moindre mot résonne.
(Lucien Becker)
Recueil: Rien que l’amour
Editions: La Table Ronde
sous tes étoiles blanches
tends-moi ta blanche main.
mes mots qui sont des larmes
dans ta main désirent repos.
vois leur éclat s’assombrir
sous mon regard encavé,
aucun abri je ne trouve
pour en retour te les offrir.
mais je voudrais, dieu familier,
te léguer mes possessions,
car en moi brûle un feu
et en le feu mes journées.
toujours entre caves et trous
pleure ce calme meurtrier.
grimpant plus haut – dessus les toits
je te recherche : où es-tu, où ?
me pourchassent avec démence
arrière-cours, escaliers criards.
pendu en corde de violon rompue
pour toi pourtant je chante encore :
sous tes étoiles blanches
tends-moi ta blanche main.
mes mots qui sont des larmes
dans ta main désirent repos.
***
Unter dayne vayse shtern
unter dayne vayse shtern
shtrek tsu mir dayn vayse hant.
mayne verter zaynen trern,
viln ruen in dayn hant.
ze, es tunklt zeyer finkl
in mayn kelerdikn blik,
un ikh hob gornit keyn vinkl
zey tsu shenken dir tsurik.
un ikh vil dokh, got, getrayer,
dir fartroyen mayn farmeg,
vayl es mont in mir a fayer
un in fayer mayne teg.
nor in keler un in lekher
veynt di merderishe ru.
loyf ikh hekher – iber dekher
un ikh zukh: vu bistu, vu?
nemen yogn mikh meshune
trep un hoyfn mit gevoy.
heng ikh a geplatste strune
un ikh zing tsu dir azoy:
unter dayne vayse shtern
shtrek tsu mir dayn vayse hant.
mayne verter zaynen trern
viln ruen in dayn hant.
***
אונטער דײַנע ווײַסע שטערן
אונטער דײַנע ווײַסע שטערן
שטרעק צו מיר בײַן װײַסע האַנט.
מײַנע װערטער זײַנען טרערן
װילן רוען אין דײַן האַנט.
זע, אעס טונקלט וײער פֿינקל
אין מײַן קעלערדיקן בליק
און איך האָב גאָרניט קײן װינקל
זײ צו שענקען דיר צוריק.
און איך װיל דאָך, גאָט, געטרײַער,
דיר פֿאַרטרױען מײַן פֿאַרמעג.
װײַל אעס מאָנט אין מיר אַ פֿײַר
און אין פֿײַער מײַנע טעג.
נאָר אין קעלער און אין לעחער
װײנט די מערדערישע רו.
לױפֿ איך העחער – איבער דעחער
און איך זוך: װוּ ביסטו, װוּ?
נעמען יאָגן מי משונה
טרעפ און הױפֿן – מיט געװױ.
הענג איך אַ געפלאַצטע סטרונע
אין איך זינג צו דיר אַזױ:
אונטער דײַנע ווײַסע שטערן
שטרעק צו מיר בײַן װײַסע האַנט.
מײַנע װערטער זײַנען טרערן
װילן רוען אין דײַן האַנט.