La voix de la cigale a résonné du côté de la route occidentale ;
Elle jette dans une rêverie profonde l’hôte qui porte une coiffe du sud.
Comment supporterais-je patiemment la vue de ce frêle insecte,
Qui vient, tout près de ma tête blanche, répéter son chant douloureux !
La rosée, trop lourde pour ses ailes, appesantit sa marche, et l’empêche de prendre son vol
Le vent, qui souffle avec violence, emporte ses cris étouffés.
Les hommes ne veulent pas croire à ce qu’il y a de pur et d’élevé dans le secret de son existence
Puis-je espérer qu’il s’en trouve un, pour faire connaître à tous ce que renferme mon coeur
(Luo Binwang)
(milieu du VIIe-début du VIIIe siècle)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Afflictions du coeur et tourments de l’âme,
Demeurez au-dehors — je ne dirai plus rien !
Les yeux de l’homme bravent l’horizon des Quatre Mer
Dix mille lis ne sont pour lui que porte voisine.
L’amour fraternel ne saurait déserter
Et la distance nous ramène sans cesse au plus près.
Il serait vain de partager nos lits,
Sans avoir jamais partagé nos peurs et nos joies.
L’angoisse trop couvée n’apporte que maux et fièvres.
Infantilité ! Sentimentalité de femme !
Mais le sang et la chair à jamais séparés
Hurlent en moi amertume et peine.
Amertume et peine — que sont ces regards du cœur ?
Les décrets du Ciel n’apportent que désespoir.
Inutile donc de courir les rangs immortels.
Maître Sung nous a fait rêver trop longtemps.
Changements et malheurs sont sur nous.
Qui pourrait bien vivre au-delà de cent ans ?
Nous sommes séparés — ce sera pour toujours.
Mais j’attends encore tes mains dans les miennes.
Prince, prends soin de ton corps digne.
Et puissions-nous, ensemble,
Connaître les jours aux cheveux blancs.
Je retourne mes larmes et retrouve ma route.
Mon pinceau scelle mes voeux de vie belle.
Au revoir désormais.
(Zao Zhi)
(192-232)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Dans mon village
midi carillonne.
Mais dans les prés quelle paix
apporte la cloche!
Tu es toujours la même
ma cloche: non sans trouble
je reviens à portée de ta voix.
« Le temps est immobile:
vois le rire des pères,
comme la pluie dans les branches,
dans les yeux des enfants. »
Je touche tes lèvres,
je touche d’un doigt le bord de tes lèvres.
Je dessine ta bouche comme si elle naissait de ma main,
comme si elle s’entrouvrait pour la première fois
et il me suffit de fermer les yeux
pour tout défaire et tout recommencer.
Je fais naître chaque fois la bouche que je désire,
la bouche que ma main choisit et qu’elle dessine sur ton visage,
une bouche choisie entre toutes, choisie par moi
avec une souveraine liberté pour la dessiner de ma main sur ton visage et qui,
par un hasard que je ne cherche pas à comprendre,
coïncide exactement à ta bouche
qui sourit sous la bouche que ma main te dessine.
Tu me regardes, tu me regardes de tout près,
tu me regardes de plus en plus près,
nous jouons au cyclope,
nos yeux grandissent, se rejoignent, se superposent,
et les cyclopes se regardent, respirent confondus,
les bouches se rencontrent, luttent tièdes avec leurs lèvres,
appuyant à peine la langue sur les dents,
jouant dans leur enceinte où va et vient
un air pesant dans un silence et un parfum ancien.
Alors mes mains s’enfoncent dans tes cheveux,
caressent lentement la profondeur de tes cheveux,
tandis que nous nous embrassons
comme si nous avions la bouche pleine de fleurs ou de poissons,
de mouvement vivants, de senteur profonde.
Et si nous nous mordons, la douleur est douce
et si nous sombrons dans nos haleines mêlées
en une brève et terrible noyade,
cette mort instantanée est belle.
Et il y a une seule salive et une seule saveur de fruit mûr,
et je te sens trembler contre moi comme une lune dans l’eau.
C’est possible !
Qui sait ?
Quelque chose va se passer d’un jour à l’autre
Je le saurai tout de suite,
Dès que ça arrivera.
Cela pourrait arriver comme un boulet de canon tombé du ciel,
Une lueur dans l’œil,
Éclatant comme une rose !
Qui sait ?
C’est peut-être tout près,
Dans le quartier, sur la plage,
Sous un arbre.
J’ai le sentiment qu’un miracle,
Va arriver
Se révéler !
Serait-ce possible ? Oui c’est possible.
Quelque chose va se passer, quelque chose de bien,
Si je ne suis pas impatient !
Quelque chose va se passer, je ne sais pas quoi,
Mais ce
Sera splendide !
En un clic, en un choc,
Un téléphone sonnera, on tapera à la porte,
Laisse le verrou ouvert !
Quelque chose va se passer, je ne sais pas quand, mais ce sera bientôt ;
Décrocher la lune,
Avec une seule main !
Au coin de la rue,
Cela arrivera-t-il ? Oui, cela va arriver.
Peut-être même sans rien faire,
C’est bientôt l’heure !
Viens, petit quelque chose, viens, ne sois pas timide,
Va voir un mec,
Tire une chaise !
Il y a une mélodie dans l’air,
Et quelque chose de grand arrive !
Qui sait ?
C’est peut-être tout près,
Dans le quartier, sur la plage,
C’est peut-être pour ce soir…
***
WEST SIDE STORY – SOMETHING’S COMING
Could be!
Who knows?
There’s something due any day;
I will know right away,
Soon as it shows.
It may come cannonballing down through the sky,
Gleam in its eye,
Bright as a rose!
Who knows?
It’s only just out of reach,
Down the block, on a beach,
Under a tree.
I got a feeling there’s a miracle due,
Gonna come true,
Coming to me!
Could it be? Yes, it could.
Something’s coming, something good,
If I can wait!
Something’s coming, I don’t know what it is,
But it is
Gonna be great!
With a click, with a shock,
Phone’ll jingle, door’ll knock,
Open the latch!
Something’s coming, don’t know when, but it’s soon;
Catch the moon,
One-handed catch!
Around the corner,
Or whistling down the river,
Come on, deliver
To me!
Will it be? Yes, it will.
Maybe just by holding still,
It’ll be there!
Come on, something, come on in, don’t be shy,
Meet a guy,
Pull up a chair!
The air is humming,
And something great is coming!
Who knows?
It’s only just out of reach,
Down the block, on a beach,
Maybe tonight . . .