ô homme ! prends garde !
que dit minuit profond ?
« j’ai dormi, j’ai dormi, —
« d’un profond sommeil je me suis éveillé : —
« le monde est profond,
« et plus profond que ne pensait le jour
« profonde est sa douleur, —
« la joie plus profonde que la peine.
« la douleur dit : passe et finis !
« mais toute joie veut l’éternité,
« — veut la profonde éternité ! »
Tout parle tout s’anime
Mille souffles bruissent
C’est l’âme des énergies
Je la reconnais bien
Elle n’avance pas du bout des lèvres
Je la reconnais
Avec toutes ces lames bourdonnantes
Et ces pitiés confuses
Deuils du coeur
Grandes gifles du doute
Rosées inapaisables
Et cette perpétuelle mise au tombeau
Pour écouter au plus juste
Le coeur du monde
Tout ce qui cisèle la passion d’être
Et tout à coup le visage apparaît
Il apparaît vif et vivace
A la fois lustral et brouillé de nuit
Dans une volupté désolée
Il dit
Une façon de se donner sans réserve
Une manière de rompre les digues
De reprendre haleine
Au milieu des battues d’éclairs
Il dit
Une exigence hantée de corbeaux
Il dit
Descendre encore et toujours
Vers où ça vit encore plus
Descendre vers des hauteurs insoupçonnées
Lever sans fin le camp
Enfiévrer davantage
Alors l’air ondule
Il ondule en vie profonde
Et l’on mesure tout à coup
Son coeur somnambule au soleil
J’ai connu des fleuves,
J’ai connu des fleuves vieux comme le monde et plus anciens que le sang qui coule dans les veines des hommes.
Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
Je me suis baigné dans l’Euphrate quand l’aurore du monde était jeune.
J’ai bâti ma hutte près du Congo qui a bercé mon sommeil
J’ai regardé le Nil et j’ai construit au-dessus les Pyramides.
J’ai entendu le chant du Mississippi quand Lincoln descendit à la Nouvelle-Orléans, et j’ai vu ses fanges profondes devenir au couchant comme de l’or.
J’ai connu des fleuves,
Des fleuves très vieux et ténébreux.
Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
***
The Negro Speaks of Rivers
I’ve known rivers:
I’ve known rivers ancient as the world and older than the flow of human blood in human veins.
My soul has grown deep like the rivers.
I bathed in the Euphrates when dawns were young.
I built my hut near the Congo and it lulled me to sleep.
I looked upon the Nile and raised the pyramids above it.
I heard the singing of the Mississippi when Abe Lincoln went down to New Orleans, and I’ve seen its muddy bosom turn all golden in the sunset.
Brûler, en esprit, tous ces livres, tous ces mots
— toutes ces innombrables, subtiles, profondes,
mortelles pensées. Pour s’ouvrir à la pluie qui
tombe, traversée de moucherons, d’insectes, à
ce pays gris et vert; aux espèces diverses d’arbres,
de vert; à un craquement dans les pierres du
mur ou le bois de la porte.