La ville des fabricants, des riches, des boxeurs cruels,
ville des inventeurs, des ingénieurs,
ville des généraux, des commerçants, des poètes patriotes,
par ses noirs péchés avait dépassé la mesure du courroux divin
et Dieu était en colère ;
cent fois il avait promis à cette cité
sa vengeance, une pluie de soufre, le feu
et les grondements du tonnerre
et cent fois il lui a pardonné
puisqu’il s’est rappelé avoir dit, un jour,
qu’il épargnerait la ville à cause de deux justes,
et qu’il est difficile à Dieu de parler en l’air :
deux amants allaient dans le verger printanier,
respirant à pleins poumons l’odeur des aubépines en fleur.
(Jaroslav Seifert)
Recueil: Les danseuses passaient près d’ici
Traduction: Petr Kral et Jan Rubes
Editions: Actes Sud
Lasse du jardin où je me souviens d’Elle,
J’écoute mon cœur oppressé de parfum.
Pourquoi m’obséder de ton vol importun,
Divine hirondelle ?
Tu rôdes, ainsi qu’un désir obstiné,
Réveillant en moi l’éternelle amoureuse,
Douloureuse amante, épouse douloureuse,
Ô pâle Procné !
Tu fuis sans espoir vers la rive qui t’aime,
Vers la mer aux pieds d’argent, vers le soleil.
Je hais le Printemps qui vient, toujours pareil
Et jamais le même !
Ah ! me rendra-t-il les langueurs de jadis,
L’ardente douleur des trahisons apprises,
L’attente et l’espoir des caresses promises,
Les lèvres d’Atthis ?
J’évoque le pli de ses paupières closes,
La fleur de ses yeux, le sanglot de sa voix,
Et je pleure Atthis que j’aimais autrefois,
Sous l’ombre des roses.
Madam’Veto avait promis
Madam’Veto avait promis
De faire égorger tout Paris
De faire égorger tout Paris
Mais son coup a manqué
Grâce à nos canonniers
Refrain
Dansons la carmagnole
Vive le son, vive le son
Dansons la carmagnole
Vive le son du canon!
Monsieur Veto avais promis
Monsieur Veto avais promis
D’être fidèle à son pays
D’être fidèle à son pays
Mais il y a manqué
Ne faisons plus quartier
Amis restons toujours unis
Amis restons toujours unis
Ne craignons pas nos ennemis
Ne craignons pas nos ennemis
S’ils viennent nous attaquer
Nous les ferons sauter.
Antoinette avait résolu
Antoinette avait résolu
De nous faire tomber sur le cul
De nous faire tomber sur le cul
Mais son coup a manqué
Elle a le nez cassé
Son mari se croyant vainqueur
Son mari se croyant vainqueur
Connaissait peu notre valeur
Connaissait peu notre valeur
Va, Louis, gros paour
Du temple dans la tour
Les Suisses avaient promis
Les Suisses avaient promis
Qu’ils feraient feu sur nos amis
Qu’ils feraient feu sur nos amis
Mais comme ils ont sauté
Comme ils ont tous dansé !
Quand Antoinette vit la tour
Quand Antoinette vit la tour
Elle voulut faire demi-tour
Elle voulut faire demi-tour
Elle avait mal au coeur
De se voir sans honneur.
Lorsque Louis vit fossoyer
Lorsque Louis vit fossoyer
A ceux qu’il voyait travailler
A ceux qu’il voyait travailler
Il disait que pour peu
Il était dans ce lieu.
Le patriote a pour amis
Le patriote a pour amis
Tout les bonnes gens du pays
Tout les bonnes gens du pays
Mais ils se soutiendront
Tous au son du canon.
L’aristocrate a pour amis
L’aristocrate a pour amis
Tous les royalistes de Paris
Tous les royalistes de Paris
Ils vous le soutiendront
Tout comme de vrais poltrons!
La gendarmerie avait promis
La gendarmerie avait promis
Qu’elle soutiendrait la patrie.
Qu’elle soutiendrait la patrie.
Mais ils n’ont pas manqué
Au son du canonnier
Oui je suis sans-culotte, moi
Oui je suis sans-culotte, moi
En dépit des amis du roi
En dépit des amis du roi
Vivent les Marseillois
Les bretons et nos lois !
Oui nous nous souviendrons toujours
Oui nous nous souviendrons toujours
Des sans-culottes des faubourgs
Des sans-culottes des faubourgs
A leur santé buvons
Vive ces francs lurons!
(Anonyme)
Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette
A en grincer des dents ce spectacle
de gros pourceaux sur les terrasses
et sur les golfs des palaces
remontés à coups d’engrais et de vols,
des chouchous du bon dieu.
Plus dur
à supporter, toi qui n’es personne,
foreur au ciré bon marché,
petit-bourgeois, huissier, assesseur, coursier,
plus triste ton visage jauni.
Foutu
toi qui t’abandonnes à qui te mène
par le bout du nez, dé de vent modéré,
forgeron de tes menottes,
accoucheur de ta mort,
épicier du poison
qui te sera administré.
Sans doute
ils sont nombreux à te promettre
l’abolition du meurtre.
Les meurtriers t’invitent
à partir en guerre contre lui.
Ce n’est pas le crime qui perdra
la partie, mais toi : le crime
ne fait que changer de visage.
Le sang des victimes, lui, reste noir.
(Hans Magnus Enzensberger)
Recueil: Mausolée
Traduction: Maurice Regnaut et Roger Pillaudin
Editions: Gallimard
Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ?
C’est le père, le père avec son enfant.
Il tient le garçon dans ses bras serré
Pour le protéger, pour le réchauffer.
Mon fils, pourquoi donc cacher ton visage ?
– Père, vois-tu pas venir le Roi des Aulnes?
Avec ses cheveux, avec sa couronne ?
Mon fils, ce n’est rien qu’un léger nuage.
Petit enfant, viens, viens donc avec moi !
Que de jolis jeux jouer avec toi !
Et combien de fleurs brillent sur nos bords!
Ma mère, chez elle, a des habits d’or!
— Mon père, mon père, n’entends-tu pas
Ce que me promet, ce que dit le Roi?
Calme-toi mon fils, mon fils sois tranquille
Dans les feuilles mortes c’est le vent qui file.
Ne veux-tu donc pas venir avec moi ?
Mes filles sauront si bien t’accueillir
Elles qui conduisent la ronde des bois
Te feront danser, chanter et dormir.
Mon père, mon père, vois-tu là-bas
Les filles du Roi dans ce lieu sans fleurs?
Mon fils, mon garçon je vois bien cela :
Les saules sont vieux, grise est leur couleur.
Je t’aime, je t’aime, enfant, tu me plais !
Si tu ne veux pas, je te forcerai.
Mon père, mon père, il va m’emporter
Le Roi m’a fait mal, le Roi m’a blessé !
Le père a grand’peur, il chevauche vite
Il tient dans ses bras l’enfant qui gémit.
Il atteint la cour, un dernier effort :
Déjà dans ses bras l’enfant était mort.
***
ERLKÖNIG
Wer reitet so spat durci, Nacht und Wind ?
Es ist der Vater mit seinem Kind;
Er hat den Knaben wohl in dem Arm,
Er faßt ihn Bicher, er halt ihn warm.
Mein Sohn, was birgst du so bang dein Gesicht ?-
Siehst, Vater, du den Erlkönig nicht ?
Den Erlenkönig mit Kron und Schweif ?-
Mein Sohn, es ist ein Nebelstreif.-
»Du liebes Kind, komm, geh mit mir!
Gar schöne Spiele spiel ici, mit dir;
Manch bunte Blumen sind an dem Strand,
Meine Mutter hat manch gulden Gewand.
Mein Vater, mein Vater, und hörest du nicht,
Was Erlenkönig mir leise verspricht ?-
Sei ruhig, bleibe ruhig, mein Kind;
In dürren Blättern säuselt der Wind.-
»Willst, Feiner Knabe, du mit mir gehn ?
Meine Richter sollen dich warten schön ;
Meine Töchter führen den nächtlichen Reihn,
Und wiegen und tanzen und singen dich
Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort
Erlkönigs Richter am düstern Ort ?-
Mein Sohn, mein Sohn, ich seh es genau :
Es scheinen die alten Weiden so grau.-
»Ich Liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt;
Und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt. «
Mein Vater, mein Vater, jetzt faßt er mich an!
Erlkönig hat mir ein Leids getan
Dem Vater grausets, er reitet geschwind,
Er halt in Armen das ächzende Kind,
Erreicht den Hof mit Müh und Not;
In seinen Armen das Kind war tot.
(Johann Wolfgang Von Goethe)
Recueil: Elégie de Marienbad
Traduction: Jean Tardieu
Editions: Gallimard
Voici le Soleil
Qui fait tendre la poitrine des vierges
Qui fait sourire sur les bancs verts les vieillards
Qui réveillerait les morts sous une terre maternelle.
J’entends le bruit des canons — est-ce d’Irun?
On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat Inconnu.
Vous mes frères obscurs, personne ne vous nomme.
On promet cinq cent mille de vos enfants à la gloire des
futurs morts, on les remercie d’avance futurs morts
obscurs
Die Schwarze schande !
Écoutez-moi, Tirailleurs sénégalais, dans la solitude de la terre noire et de la mort
Dans votre solitude sans yeux sans oreilles, plus que dans ma peau sombre au fond de la Province
Sans même la chaleur de vos camarades couchés tout contre vous, comme jadis dans la tranchée jadis dans les palabres du village
Écoutez-moi, Tirailleurs à la peau noire, bien que sans oreilles et sans yeux dans votre triple enceinte de nuit.
Nous n’avons pas loué de pleureuses, pas même les larmes de vos femmes anciennes
— Elles ne se rappellent que vos grands coups de colère, préférant l’ardeur des vivants.
Les plaintes des pleureuses trop claires
Trop vite asséchées les joues de vos femmes, comme en saison sèche les torrents du Fouta
Les larmes les plus chaudes trop claires et trop vite bues au coin des lèvres oublieuses.
Nous vous apportons, écoutez-nous, nous qui épelions vos noms dans les mois que vous mouriez
Nous, dans ces jours de peur sans mémoire, vous apportons l’amitié de vos camarades d’âge.
Ah ! puissé-je un jour d’une voix couleur de braise, puissé-je chanter
L’amitié des camarades fervente comme des entrailles et délicate, forte comme des tendons.
Écoutez-nous, Morts étendus dans l’eau au profond des plaines du Nord et de l’Est.
Recevez ce sol rouge, sous le soleil d’été ce sol rougi du sang des blanches hosties
Recevez le salut de vos camarades noirs, Tirailleurs sénégalais
MORTS POUR LA RÉPUBLIQUE !
Tours, 1938.
(Léopold Sédar Senghor)
Recueil: Anthologie Poésie africaine six poètes d Afrique francophone
Traduction:
Editions: Points
Vous en rirez. Mais j’ai toujours trouvé touchants
Ces couples de pioupious qui s’en vont par les champs,
Côte à côte, épluchant l’écorce de baguettes
Qu’ils prirent aux bosquets des prochaines guinguettes.
Je vois le sous-préfet présidant le bureau,
Le paysan qui tire un mauvais numéro,
Les rubans au chapeau, le sac sur les épaules,
Et les adieux naïfs, le soir, auprès des saules,
À celle qui promet de ne pas oublier
En s’essuyant les yeux avec son tablier.
(François Coppée)
Recueil: Promenades et interieurs
Traduction:
Editions:
Ici s’ouvre un monde nouveau
démasqué par la fin du jour
Le temps bascule J’écoute Je retiens mon souffle.
Une réponse dernière
Un pâle éclat
Un secret promis et tenu
Les mots
un essaim d’astres
Une plume une feuille
La nuit s’éclaire au centre
Au centre est la source de toute couleur
Au centre est l’avenir longtemps mûri sous les cendres
Au centre est mon amour pour ce monde
Ma joie mon espérance invincible et trahie.
J’irai mourir dans mon enfer
Je déchirerai les vestiges de la misère
Ce qui murmure hors de moi en moi-même
est comparable au fleuve
qui traverse tout sans se mélanger à rien
(Jean Tardieu)
Recueil: Jean Tardieu Un poète
Traduction:
Editions: Gallimard Jeunesse