Comme le seul Phénix au terme de son âge
Amasse les rameaux du bois mieux odorant
En forêt de Sabée, afin qu’en se mourant
Pour le moins d’un beau feu se brûle son plumage,
Ainsi je fais amas, voyant votre visage,
De cent douces beautés que mon cœur va tirant
Puis j’en allume un feu doucement martyrant
Qui me donne la vie en mon propre dommage.
La flamme du Phénix vient du flambeau des Cieux,
Et la mienne s’embrase au soleil de vos yeux
Où je commets larcin comme fit Prométhée,
Ainsi je suis puni d’un mal continuel,
Car Amour qui se change en un vautour cruel
Me déchire toujours d’une main indomptée.
Il y a si longtemps que tu n’existes pas
Visage quelquefois célèbre et suffisant
Comment je t’aime Je ne sais Depuis longtemps
Je t’aime avec indifférence Je t’aime à haine
Par omission par murmure par lâcheté
Avec obstination Contre toute vraisemblance
Je t’aime en te perdant pour perdre
Ce moi qui refuse d’être des nôtres entraîné
De poupe (ce balcon chantourné sur le sel)
Ex-qui de dos traîné entre deux eaux
Maintenant quoi
Bouche punie
Bouche punie coeur arpentant l’orbite
Une question à tout frayant en vain le tiers
O pauvres habitants de la grande Patrie du Milieu,
vous êtes en proie à la guerre civile,
et mon cœur pâlit de tristesse, lorsque je songe à votre misère !
Vous êtes nés libres, et vous êtes esclaves ;
vous êtes punis quoique vous n’ayez fait aucun mal.
Quand donc viendra pour vous le jour du salut ?
De quelle race est-il, l’homme choisi par le ciel pour vous tirer de peine ?
Une blanche cigogne apparaît, là-bas, parmi les nuages,
mais on ne sait pas encore sur quelle maison elle se posera.
(Textes chinois)
Recueil: Le Livre de Jade
Traduction: Judith Gautier
Editions: Plon
Les roses sont toutes nues dehors
Tandis que notre chair
Depuis près de vingt siècles
S’ennuie tant dans son noir
Punie d’être trop belle
Le soleil doit parfois regretter
D’éclairer des gens si sots
(Pierre Albert-Birot)
Recueil: Poèmes à l’autre moi précédé de La Joie des sept couleurs et suivi de Ma morte et de La Panthère noire
Editions: Gallimard
Lucy
Qu’as-tu fait de mon coeur, enfant aux cheveux blonds ?
De douleur en douleur comme de doute en doute,
Semblable au voyageur perdu dans les vallons,
Devrai-je de l’espoir abandonner la route ?
Puisqu’il faudra demain voir le soleil sans toi,
Qu’importe que ma vie à jamais soit brisée ?
Un malheureux de plus dans ce monde sans foi,
C’est comme dans la mer la goutte de rosée.
Je ne murmure point contre l’arrêt du sort :
Ton souvenir saura remplir ma solitude.
Un archange aux yeux bleus, avec sa toison d’or,
Evoquera toujours ta rêveuse attitude…
II
Pas plus que je ne veux crier ni blasphémer,
L’on ne me verra point étreindre en vain l’espace.
A quoi bon adoucir le tourment de s’aimer ?
Le temps ne guérit point un mal qui le dépasse.
Tant que je resterai dans ces lieux où l’amour
A nos coeurs enchantés dévoila ses mystères,
Les arbres dans les champs, la nuit avec le jour
Ranimeront pour moi nos rêves solitaires.
Je m’en irai, pensif, m’enfoncer dans les bois,
Refaire le chemin de la campagne immense.
Peut-être les échos, encor chauds de ta voix,
Voudront-ils me redire un peu de ta romance.
III
Mais sous mes pieds lassés les cailloux seront sourds.
L’Indrois ne taira pas sa chanson inutile.
L’ombre des temps défunts sur le manoir du bourg
Fiancera l’Ennui à mon âme stérile.
Lucy, ma Bien-aimée, est-ce cela l’Amour ?
Une ivresse éphémère, une peine infinie ?
Pourquoi tant de bonheur s’il fallait qu’en retour
On regrette à ce point la volupté bannie !
Les dieux, sans aucun but, auraient-il réuni
Nos pas que le hasard a comblés de merveilles ?
Ou dois-je concevoir qu’ils nous auront punis
D’avoir trop tôt vécu des heures sans pareilles…
IV
Oh ! laisse-moi du moins, laisse-moi pour ce soir,
Reposer sur ton sein mon front chargé de fièvres.
Et qu’avant d’échanger notre ultime au revoir,
Une ardeur sans égale unisse encor nos lèvres !
Le temps passe. Aimons-nous. Le reste n’est qu’orgueil.
baiser d’adieux, je veux que ta mémoire
L’inscrive comme un sceau mis sur mon coeur en deuil :
Ton nom, seul, désormais en formera la gloire…
Oh ! laisse-moi, Lucy, laisse-moi pour ce soir
Epancher sur ton sein la flamme de nos fièvres,
Regarder dans tes yeux mon amour se mouvoir
Et t’insuffler ma vie en dévorant tes lèvres…
V
J’ai voulu retrouver quelque chose de toi,
De nouveau respirer un peu de ton parfum ;
Et je suis revenu tout seul au fond des bois.
Mais la route est si noire et le soir est si brun !
Notre bonheur n’est plus qu’un songe d’autrefois
Qui flotte tristement au seuil des jours défunts.
Le rêve disparu s’agite et me fait signe.
La barrière est franchie où naquit le Passé.
Ô Rampela, regarde au-delà de la ligne :
La lumière s’éteint. L’azur s’est effacé.
Et vois sur le versant nos destins qui s’alignent
Comme de faux ibis dont l’essor s’est lassé.
VI
Je cherche vainement tes pas sur le gazon.
Je murmure ton nom à l’herbe où nous passâmes.
Mais la rose a trahi les voeux de la saison.
Les vents ont dispersé les secrets de nos âmes.
Les lotus dans le puits tombent sans floraison.
Les sables blancs ont bu ton sang avec mes flammes.
Le monde a violé le pacte et le serment.
Les fanes ont surpris les feuilles des ramures.
J’ai beau troubler la sente et couper le sarment,
Tout parle de silence au fond de la clôture.
A l’ombre des remparts tout parle de tourment
Et je meurs sans avoir terminé l’aventure.
VII
O Rampela, contemple au-delà de la ligne :
Ton visage me manque et le monde se voile.
La boue a traversé jusqu’au front des étoiles.
Ma Bien-aimée, entends la voix d’outre-rempart :
Mon cœur fond en sanglot et, depuis ton départ,
La vie est devenue un ennui rectiligne.
Et je reviens tout seul, tout seul au fond des bois,
Afin de recueillir un souvenir de toi,
De nouveau respirer un peu de ton parfum.
Mais la route est si noire et le soir est si brun !
Notre bonheur n’est plus qu’un songe d’autrefois
Qui flotte tristement au seuil des jours défunts…