A l’auberge des gens heureux
Tout est source et levain de joie
Jusqu’au pain sec, jusqu’à l’eau claire,
Que l’on soit dix, ou seul, ou deux,
Il n’est de propos, il n’est de sourire
Où l’esprit ne pointe, où le coeur n’affleure…
Or quelquefois on voit s’attabler
Un pas-heureux venu sur la foi de l’enseigne
Avec l’espoir d’y guérir de ses peines.
Mais ce qu’il mange avec effort
Lui répugne ou lui semble amer.
C’est en vain qu’il vide son verre:
Le vin ravive sa douleur.
Et s’il voit frémir sur le mur
Les feuillages d’or du soleil
C’est avec les yeux de l’exil.
Tout le gêne, l’offense ou l’humilie.
Il est comme un intrus à la fête d’autrui;
Ou comme au bal celui qui ne sait pas danser.
Vite il paie son écot, il faut qu’il parte,
Refoulant ses pleurs et plein de rancoeur.
C’est qu’en entrant à l’auberge attirante
Il n’a pas lu cette avis, sur la porte:
Fleurs sur fleurs ! fleurs d’été, fleurs de printemps, fleurs blêmes
De novembre épanchant la rancoeur des adieux
Et, dans les joncs tressés, les fauves chrysanthèmes ;
Les lotus réservés pour la table des dieux ;
Les lis hautains, parmi les touffes d’amarante,
Dressant avec orgueil leurs thyrses radieux ;
Les roses de Noël aux pâleurs transparentes ;
Et puis, toutes les fleurs éprises des tombeaux,
Violettes des morts, fougèress odorantes ;
Asphodèles, soleils héraldiques et beaux,
Mandragores criant d’une voix surhumaine
Au pied des gibets noirs que hantent les corbeaux.
Fleurs sur fleurs ! Effeuillez des fleurs ! que l’on promène
Des encensoirs fleuris sur la terre où, là-bas,
Dort Ophélie avec Rowena de Trémaine.
Cette odeur sur les pieds de narcisse et de menthe,
Parce qu’ils ont foulé dans leur course légère
Fraîches écloses, les fleurs des nuits printanières,
Remplira tout mon cœur de ses vagues dormantes ;
Et peut-être très loin sur ses jambes polies,
Tremblant de la caresse encor de l’herbe haute,
Ce parfum végétal qui monte, lorsque j’ôte
Tes bas éclaboussés de rosée et de pluie ;
Jusqu’à cette rancœur du ventre pâle et lisse
Où l’ambre et la sueur divinement se mêlent
Aux pétales séchées au milieu des dentelles
Quand sur les pentes d’ombre inerte mes mains glissent,
Laurence… Jusqu’aux flux brûlants de ta poitrine,
Gonflée et toute crépitante de lumière
Hors de la fauve floraison des primevères
Où s’épuisent en vain ma bouche et mes narines,
Jusqu’à la senteur lourde de ta chevelure,
Éparse sur le sol comme une étoile blonde,
Où tu as répandu tous les parfums du monde
Pour assouvir enfin la soif qui me torture !
Lumière fut le feu, pain la rancoeur lunaire,
l’étoile du jasmin redoubla son secret,
par les douces mains pures de l’amour terrible
ce fut paix pour mes yeux et soleil pour mes sens.
Oh mon amour, comment, soudain, des déchirures
as-tu fait la maison de douce fermeté,
vaincu la jalousie, la malice des ongles
pour que nous ne soyons qu’une vie face au monde.
Ce fut, c’est, ce sera ainsi jusqu’au moment,
sauvage et doux amour, Mathilde bien-aimée,
On le temps marquera du jour la fleur finale.
Sans toi, sans moi, sans lumière plus ne serons :
alors bien au-delà de la terre et de l’ombre
notre amour brillera aux couleurs de la vie.
***
Fue luz el fuego y pan la luna rencorosa,
el jazmín duplicó su estrellado secreto,
y del terrible amor las suaves manos puras
dieron paz a mis ojos y sol a mis sentidos.
Oh amor, cómo de pronto, de las desgarraduras
hiciste el edificio de la dulce firmeza,
derrotaste las uñas malignas y celosas
y hoy frente al mundo somos como una sola vida.
Así fue, así es y así será hasta cuando,
salvaje y dulce amor, bienamada Matilde,
el tiempo nos señale la flor finaldel día.
Sin ti, sinmi,sin luz ya no seremos :
entonces más allá de la tierra y la sombra
el resplandor de nuestro amor seguirá vivo.
Salue le soleil, araignée, n’aie pas de rancoeur.
Remercie Dieu, ô crapaud, d’être au monde venu.
Des épines de rose parent le crabe velu
et les mollusques ont des femmes en leur coeur.
Sachez être ce que vous êtes, énigmes ayant pris forme ;
laissez-en toute responsabilité aux Normes
qui la renverront à leur tour au tout-puissant Créateur…
(Joue, grillon, et que l’ours danse, sous la sélénite lueur.)
(Rubén Darío)
Recueil: Chants de vie et d’espérance
Traduction: Lionel Igersheim
Editions: Sillage
1
Il n’est vraiment pas surprenant
Que le gâteau et le nanan
Ne se trouvent pas dans mon plat
On m’ fait du plat
J’ fais ma mijaurée
Et j’ reste dans la purée
Avec mes deux yeux
Pour pleurer dans ma chemise
Sans être prise
Par mon amoureux.
2
Il n’est vraiment pas surprenant
Que d’autres aient beaucoup d’amants
Elles sont gentill’s avec eux
Ces vaniteux
Les croient sur paroles
Dans leurs bras ell’s devienn’nt molles
Et pour un baiser
Elles donneraient leur vie.
Je les envie
Sans pouvoir oser.
3
Il n’est vraiment pas surprenant
Que j’adore tous les enfants
Que leurs cris me fass’ palpiter
Mais ma bonté
Comme je la cache
Et comm’ je joue à cach’-cache
Avec le bonheur
Je suis une vieille fille
Pas très gentille
Pleine de rancoeur.
4
Il n’est vraiment pas surprenant
Qu’avec mon caractèr’ méchant
Je reste seul dans mon taudis.
À ce qu’on dit
Je suis hypocrite.
(le manuscrit s’arrête là)
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier