Est-ce l’éclat ravissant du créateur suprême
qui me frappe, qui me saisit?
Est-ce quelque autre beauté
que mon imagination ou ma mémoire
vient offrir à mon coeur ?
Est-ce enfin la lumière brillante,
dont rayonnait mon ame dans son état primitif,
qui, rejaillissant en elle aujourd’hui,
y a causé cette impression brûlante
d’où semblent naître mes pleurs ?
Ah! j’ignore ce que je sens,
ce que je vois, ce qui m’entraîne :
la cause en est hors de moi ;
je crois l’apercevoir chez un autre,
et ne puis l’expliquer.
Femme adorable!
Ce je ne sais quoi qui m’agite ;
cette douceur mêlée d’amertume,
je l’éprouve depuis que je vous ai vue :
vos yeux seuls en sont donc la cause?
MARIA
Je me sens jolie
Oh, si jolie
Je me sens jolie, spirituelle et brillante !
Et j’ai pitié
De toutes les filles qui ne sont pas moi ce soir.
Je me sens charmante
Oh, si charmante
C’est alarmant de voir comme je me sens charmante !
Et si jolie
Que j’ai peine à croire que je suis réelle.
Vous voyez, la jolie fille dans ce miroir, là ?
Qui peut bien être cette fille attirante ?
Un si joli visage
Une si jolie robe
Un si joli sourire
Un si joli moi !
Je me sens stupéfiante
Et ravissante
J’ai envie de courir et de danser de joie
Car je suis aimée
Par un garçon beau et merveilleux !
LES FILLES
Avez-vous rencontré notre gentille amie Maria ?
La fille la plus folle du quartier
Vous la reconnaîtrez dès que la verrez
C’est celle qui est dans un état de choc avancé
Elle croit qu’elle est amoureuse
Elle se croit en Espagne
Elle n’est pas amoureuse
Elle est simplement folle
Ce doit être la chaleur
Ou une maladie rare
Un excès de nourriture
Ou alors, est-ce à cause des puces ?
Ne vous approchez pas d’elle
Envoyer chercher Chino !
Ce n’est pas la Maria
Qu’on connaît !
Modeste et pure
Polie et raffinée
Bien élevée et mature
Complètement déjantée
MARIA
Je me sens jolie
Oh, si jolie
Que la ville devrait me donner sa clé
Un comité
Devrait être constitué pour m’honorer
LES FILLES
La la la la…
MARIA
Je me sens vertigineuse
Je me sens rayonnante
Je me sens pétillante, bien, amusante
Et si jolie
Que Miss America peut aller se rhabiller !
LES FILLES
La la la la…
MARIA
Vous voyez, la jolie fille dans ce miroir, là ?
LES FILLES
Quel miroir, où ça ?
MARIA
Qui peut bien être cette fille attirante ?
LES FILLES
Laquelle ? Quoi ? Où ? Qui ?
MARIA
Un si joli visage
Une si jolie robe
Un si joli sourire
Un si joli moi !
LES FILLES
Un si joli moi !
TOUTES
Je me sens stupéfiante
Et ravissante
J’ai envie de courir et de danser de joie
Car je suis aimée
Par un garçon beau et merveilleux !
***
MARIA
I feel pretty,
Oh, so pretty,
I feel pretty and witty and bright!
And I pity
Any girl who isn’t me tonight.
I feel charming,
Oh, so charming
It’s alarming how charming I feel!
And so pretty
That I hardly can believe I’m real.
See the pretty girl in that mirror there:
Who can that attractive girl be?
Such a pretty face,
Such a pretty dress,
Such a pretty smile,
Such a pretty me!
I feel stunning
And entrancing,
Feel like running and dancing for joy,
For I’m loved
By a pretty wonderful boy!
GIRLS
Have you met my good friend Maria,
The craziest girl on the block?
You’ll know her the minute you see her,
She’s the one who is in an advanced state of shock.
She thinks she’s in love.
She thinks she’s in Spain.
She isn’t in love,
She’s merely insane.
It must be the heat
Or some rare disease,
Or too much to eat
Or maybe it’s fleas.
Keep away from her,
Send for Chino!
This is not the
Maria we know!
Modest and pure,
Polite and refined,
Well-bred and mature
And out of her mind!
MARIA
I feel pretty,
Oh, so pretty
That the city should give me its key.
A committee
Should be organized to honor me.
GIRLS
La la la la . . .
MARIA
I feel dizzy,
I feel sunny,
I feel fizzy and funny and fine,
And so pretty,
Miss America can just resign!
GIRLS
La la la la . . .
MARIA
See the pretty girl in that mirror there:
GIRLS
What mirror where?
MARIA
Who can that attractive girl be?
GIRLS
Which? What? Where? Whom?
MARIA
Such a pretty face,
Such a pretty dress,
Such a pretty smile,
Such a pretty me!
GIRLS
Such a pretty me!
ALL
I feel stunning
And entrancing,
Feel like running and dancing for joy,
For I’m loved
By a pretty wonderful boy!
Hélas ! petits moutons que vous êtes heureux,
Vous paissez dans nos champs sans soucis, sans alarmes
Aussitôt aimés qu’amoureux,
On ne vous force point à répandre des larmes ;
Vous ne formez jamais d’inutiles désirs ;
Dans vos tranquilles corps l’amour suit la nature ;
Sans ressentir ses maux vous avez ses plaisirs.
L’ambition, l’honneur, l’intérêt, l’imposture,
Qui font tant de maux parmi nous,
Ne se rencontrent point chez vous,
Cependant nous avons la raison pour partage,
Et vous en ignorez l’usage.
Innocents animaux, n’en soyez point jaloux,
Ce n’est pas un grand avantage.
Cette fière raison dont on fait tant de bruit,
Contre les passions n’est pas un sûr remède ;
Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit ;
Et déchirer un coeur qui l’appelle à son aide
Est tout l’effet qu’elle produit ;
Toujours impuissante et sévère,
Elle s’oppose à tout et ne surmonte rien.
Sous la garde de votre chien
Vous devez beaucoup moins redouter la colère
Des loups cruels et ravissants,
Que, sous l’autorité d’une telle chimère,
Nous ne devons craindre nos sens.
Ne vaudrait-il pas mieux vivre comme vous faites
Dans une douce oisiveté ?
songe,
Ces prétendus trésors, dont on fait vanité,
Valent moins que votre indolence :
Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels ;
Par eux plus d’un remords nous ronge ;
Nous voulons les rendre éternels,
Sans songer qu’eux et nous passerons comme un
Il n’est, dans ce vaste univers,
Rien d’assuré, rien de solide ;
Des choses ici-bas la fortune décide
Selon ses caprices divers.
Tout l’effort de notre prudence
Ne peut nous dérober au moindre de tes coups.
Simplement la joie d’être nu.
Un homme et une femme.
Adam et Eve. Eve et Adam.
Ravissants.
On ne les imaginait pas si beaux.
Une rivière, des fruits, des bêtes qui ne sont que pour plaire, même le serpent.
Le ciel va durer longtemps.
Toujours.
Eh bien, il en faut du courage à détruire tout ce bonheur pour une affaire de pomme.
N’y avait-il vraiment pas moyen d’arranger les histoires autrement ?
L’état auquel je me trouvai dans cet instant est trop singulier
pour n’en pas faire ici la description.
La nuit s’avançait.
J’aperçus le Ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure.
Cette première sensation fut un moment délicieux.
Je ne me sentais encore que par là.
Je naissais dans cet instant à la vie,
et il me semblait que je remplissais de ma légere existence
tous les objets que j’apercevais.
Tout entier au moment présent je ne me souvenais de rien ;
je n’avais nulle notion distincte de mon individu,
pas la moindre idée de ce qui venait de m’arriver ;
je ne savais ni qui j’étais, ni où j’étais ;
je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquiétude.
Je voyais couler mon sang,
comme j’aurais vu couler un ruisseau,
sans songer seulement que ce sang m’appartînt en aucune sorte.
Je sentais dans tout mon être un calme ravissant,
auquel chaque fois que je me le rappelle je ne trouve rien de comparable
dans toute l’activité des plaisirs connus.
(Jean-Jacques Rousseau)
Recueil: Les Rêveries du promeneur solitaire / Deuxième Promenade
Croulent les tas de vieille neige,
le zinc de la gouttière fuit,
Fondent les blocs de gel noircis
que le jus de l’hiver délave
Avant de gonfler d’abondance
le gargouillis des caniveaux.
En-allés les jours si légers,
ah, le pauvre azur en frissonne !
Mais déjà un rouge désir
vers l’aube lance sa chemise :
Vois combien je t’aime, inquiet
de cet éveil, ô ma Flóra !
Ô ravissant dégel, tu as
arraché le deuil de mon coeur
Comme on libère du bandage
la plaie, et je prends mon essor !
Mе revient le flux de ton nom
tout de beauté, tout de douceur,
et je tremble songeant aux jours
d’hier, à ma vie loin de toi !
2
Mystères
Quand les mystères résonnent,
je suis au guet, mon amour.
Ma fidélité est comme
un carcan pour mon corps gourd.
Tu rougiras, comprenant
ce que ronde et le vent disent :
oeil et coeur… mes postulants
pour ta dévotion acquise…
Moi aussi, j’écris mon chant :
Si je t’aime, mon amour,
fais de même en allégeant
cet attachement si lourd !
(Attila József)
Recueil: Aimez-moi – L’oeuvre poétique
Traduction: Georges Kassaï
Editions: Phébus
Le vent souffle dans les saules
Où y a-t-il un cimetière si sombre ?
Une limace grimpe sur la haie
Et du paysage vient l’odeur tiède de la mer
Pourquoi êtes-vous ici ?
Ombre douce, pile, étrange comme l’herbe !
Vous, ni coquillage ni faisan ni chat
Juste un fantôme à l’air triste !
De l’ombre errante de votre corps
Comme dans la ruelle d’un pauvre village de pêcheurs on sent une odeur de poisson pourri
Dont fondus au soleil les viscères poisseusement puent
Tristes, accablants, c’est l’odeur d’une mélancolie vraiment insupportable.
Ah, moite comme ce soir de printemps
Errant dans son élégant kimono carmin, c’est elle !
Ni la lune sur le cimetière ni le phosphore ni l’ombre ni la vérité
Et quelle tristesse !
Ainsi ma vie et mon corps s’en vont pourrissant
Et dans le paysage vague du Néant
Ravissants visqueusement penchent !
C’était un p’tit café tabac
Qu’avait eu des hauts et des bas
Marie la patronne était chouette
De grands yeux verts, de beaux ch’veux noirs
Ca s’passait près des abattoirs
De la Villette
Sur le zinc à l’heure d’l’apéro
Elle vous troublait de vrai Pernod
D’une main langoureuse et blanche
Son corps était si ravissant
Que tous les clients rêvaient d’s’en
Payer une tranche
Comme elle avait de la vertu
Elle nous disait : « Turlututu
Doucement les gars ! Bas les pattes ! »
Et nous pour pas rester en l’air
On s’en jetait vivement un der-
-rière la cravate
Y avait Eugène un grand costaud
Qu’avait des bras comme des marteaux
Qu’aurait p’têt’ pu, mais la finette
Pensait : »Si j’flanche les autres gars
Lâcheront tous mon café-tabac »
C’était pas bête
Au mur y avait l’portrait d’Jaurès
Qu’était l’épée de Damoclès
Sur les bourgeois et leurs délices
Ils l’ont tué mais Damoclès
A passé l’épée à Thorez
Le beau Maurice
C’était le temps des Partagas
Des Voltigeurs et des Niñas
Son café, j’en pleure quand j’y pense
Le vin, les croissants croustillants
Les propos légers, pétillants
C’était la France
Depuis lors, ça s’est bien gâté
Sont venus des reîtres bottés
Aux figures sans physionomie
C’était peut-être pire que le Blitz
D’avoir chez soi ces gueules de Fritz
Quelle cochonnerie
Alors au p’tit café-tabac
Plus de café ni de tabac,
Plus rien nulle part ni bidoche
Ni pain ni vin, l’horizon noir
Rien que la faim le désespoir
Rien que du Boche
Ces messieurs n’venaient pas beaucoup
Chez la Marie discuter l’coup
Ils ne s’y sentaient pas à l’aise
Eugène a dit : « Ces salopards
Faudrait s’en occuper dare-dare
A la française
Ils l’ont fait. C’était un sale truc
Ca a fini à Ravensbruck
Pas un n’a voulu s’mettre à table
Marie là-bas, elle a maigri
Ses ch’veux noirs sont dev’nus tout gris
Son teint de sable
Délivrée enfin des SS
Elle a r’trouvé son tiroir-caisse
Les gars ? Cinq disparus sans trace
Elle a fait recrépir les murs
Avec un p’tit filet d’azur
Autour des glaces
Eugène est rentré. Un coup d’vieux,
Lui aussi. Elle a dit : « Mon Dieu ! »
Puis il y eut un grand silence
Elle a fait un geste, il a ri :
« Ah non, maintenant c’est fini
La résistance »
Elle pleurait : « Mes cheveux sont gris ! »
Il a fait : « Bah, les miens aussi
Pour moi t’es belle ma p’tite Marie
Quand on s’aime, c’est toujours l’printemps
On les a conduits l’mois suivant
A la Mairie
A la noce il y eut du bonheur
Marie était belle comme une fleur
Tout fut exquis, le vin, la danse
L’amitié. Alors ce soir-là
J’ai r’trouvé au café-tabac
La douce France.
Je montais un cheval superbe, à l’allure fière et gracieuse.
Il marchait dans les fleurs, dont les arbres printaniers jonchaient la route.
Voici que je vis venir vers moi, un char fermé,
un de ceux dont le nom est : cinq nuages…
Quand il passa à mon côté, je chatouillai légèrement ses roues, du bout de mon fouet.
Alors, écartant le rideau de perles, une femme ravissante m’éblouit de son sourire.
Puis, avant de disparaître, d’un geste furtif,
elle m’indiqua, au loin, une haute maison aux toitures rouges…
Et ce fut comme si elle me disait : « Votre petite servante habite là… »
(Dynastie des Thang, VIIIe siècle de notre ère.)
(Textes chinois)
Recueil: Le Livre de Jade
Traduction: Judith Gautier
Editions: Plon