Dame au corsage en dentelle
A la simple jupe écossaise,
Depuis que vous êtes partie
Le vide dans la maison
Blesse toute pensée. En votre présence
Le temps coulait, paisible, ancré
A un sourire, mais l’absence
A déséquilibré l’amour, désamarré
Les jours. Ils roulent et rebondissent
Au travers du calendrier
Tanguant sous le doux son
De votre voix tendre comme une fleur.
Le besoin de vous se brise sur ma grève;
Vous êtes partie, je suis à la dérive.
Jusqu’à ce que vous repreniez la barre
Mon être est en révolte.
Avec les yeux bien ouverts,
le coeur entre les mains
et les poches pleines de colombes,
il regarde le fond du temps.
Il voit son propre désir, hautes lumières,
guirlandes, flèches vertes, tours
d’où tombent les chevelures
et surgissent les splendides batailles.
Il court, la ferveur le heurte,
elle est sa torche et son propre palefroi,
il cherche l’entrée de la ville,
brandit le futur, clame comme les vents.
Tout est là, la rue ouverte
et à distance le miroitement,
l’inexplicable proximité de ce qu’il n’atteint pas
et croit atteindre, et il court.
Un trébuchement n’est pas nécessaire ni une estocade
les corps tombent de leur propre poids,
les yeux reconnaissent un moment
la vérité de l’ombre.
Il se dresse encore,
encore le faucon d’acier bat dans son poing.
Parmi les pierres rebondit la question implorante
de l’homme enfin seul à l’arrivée.
Ensuite c’est la titubation,
le soupçon que la fin n’est pas le commencement ;
et au bout de la rue
qui paraissait si belle
il n’y a plus qu’un arbre sec
et un éventail cassé.
(Julio Cortázar)
Recueil: Crépuscule d’automne
Traduction: Silvia Baron Supervielle
Editions: José Corti
Reste la chambre noire où l’âme se développe
Autour de mon front le pansement frais de tes mains
Derrière le mur cet homme qui parle de voyages
Qui n’a jamais sondé l’abîme de la rue
Et surveille la vie au bord de ses poignets
Voici la meule trop verte où rebondit l’angoisse
Le moyeu fragile de la poitrine
Les coulées de chaleur sous le tanin des doigts
La place toujours neuve pour le premier venu.
(René Guy Cadou)
Recueil: Poésie la vie entière
Traduction:
Editions: Seghers
Beauté des instantanés qui fixent l’image de l’eau jaillissante,
fusant hors d’elle-même, rebondissant vers le haut,
comme la gerbe d’écume d’une vague fracassée au bord d’un rocher.
La vague morte engendre ce grand fantôme blanc qui dans un instant ne sera plus.
L’espace d’un déclic, l’eau pesante monte comme une fumée, comme une vapeur, comme une âme.
Comme l’alouette, Tosca est oiseau
de printemps. Elle aime le vide pur
où s’accorde son cri, et le fait exister
assurée d’habiter le commencement
malgré sa petitesse dans la création
elle ajoute au jour la vaste présence
qui demande à être et dans ses appels
entre la joie poignante d’une exigence
à laquelle, innocente tel l’oiseau
elle nous ramène, élan vers une vie
dont le cri en butant sur le ciel
rebondit exultant dans la lumière.
J’étais fragile…
J’étais fragile comme du papier
J’étais facile à déchirer
Le moindre petit vent contraire
M’envoyait de suite en enfer
J’étais fragile comme du cristal
Des jours très bien, des jours très mal
A la merci de l’air du temps
Un mot me griffait jusqu’au sang.
J’étais l’argile du potier
Je me laissais toujours modeler
Un jour j’ai voulu être moi
Plutôt qu’une autre sous tes doigts
J’ai voulu savoir qui j’étais
Etais-je l’algue ou la forêt
Etais-je la soie ou la laine
Le granit ou la porcelaine ?
Aujourd’hui je vais vers moi-même
Même s’il en coûte à ceux qui m’aiment
Trop habitués à me voir
Docilement suivre leurs couloirs
Aujourd’hui je me suis de près
Je ne me quitte plus jamais
Je ne m’éloigne plus de moi
J’allais de guingois, je vais droit.
Je suis subtile, je rebondis
je suis heureuse et puis je ris
Il n’y a plus de vents contraires
Je nage au milieu de la mer
Je suis légère comme une plume
Je sors enfin de la brume
Je suis bien dans ma propre peau
Je navigue au fond de mon eau.