J’ai dit. Un autre l’a entendu
Doucement l’a redit.
Le troisième l’a compris.
Avec son gros bâton de chêne,
le quatrième est parti
Dans la nuit, accomplir un exploit,
Et le monde en a fait une chanson.
J’avance avec aux lèvres cette chanson,
Au devant de la mort, ô ma vie !
(Marina Tsvétaïéva)
Recueil: Insomnie et autres poèmes
Traduction:
Editions: Gallimard
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans l’Arbre qui frémit,
Ils sont dans le Bois qui gémit,
Ils sont dans l’Eau qui coule,
Ils sont dans l’Eau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :
Les Morts ne sont pas morts.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres morts,
Qui ne sont pas partis
Qui ne sont pas sous la Terre
Qui ne sont pas morts.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans le Sein de la Femme,
Ils sont dans l’Enfant qui vagit
Et dans le Tison qui s’enflamme.
Les Morts ne sont pas sous la Terre :
Ils sont dans le Feu qui s’éteint,
Ils sont dans les Herbes qui pleurent,
Ils sont dans le Rocher qui geint,
Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure,
Les Morts ne sont pas morts.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.
Il redit chaque jour le Pacte,
Le grand Pacte qui lie,
Qui lie à la Loi notre Sort,
Aux Actes des Souffles plus forts
Le Sort de nos Morts qui ne sont pas morts,
Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.
La lourde Loi qui nous lie aux Actes
Des Souffles qui se meurent
Dans le lit et sur les rives du Fleuve,
Des Souffles qui se meuvent
Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure.
Des Souffles qui demeurent
Dans l’Ombre qui s’éclaire et s’épaissit,
Dans l’Arbre qui frémit, dans le Bois qui gémit
Et dans l’Eau qui coule et dans l’Eau qui dort,
Des Souffles plus forts qui ont pris
Le Souffle des Morts qui ne sont pas morts,
Des Morts qui ne sont pas partis,
Des Morts qui ne sont plus sous la Terre.
Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres.
Que ce soit Urgèle ou Morgane,
J’aime, en un rêve sans effroi,
Qu’une fée, au corps diaphane,
Ainsi qu’une fleur qui se fane,
Vienne pencher son front sur moi.
C’est elle dont le luth d’ivoire
Me redit, sur un mâle accord,
Vos contes, qu’on n’oserait croire,
Bons paladins, si votre histoire
N’était plus merveilleuse encor.
C’est elle, aux choses qu’on révère
Qui m’ordonne de m’allier,
Et qui veut que ma main sévère
Joigne la harpe du trouvère
Au gantelet du chevalier.
Dans le désert qui me réclame,
Cachée en tout ce que je vois,
C’est elle qui fait, pour mon âme,
De chaque rayon une flamme,
Et de chaque bruit une voix ;
Elle, – qui dans l’onde agitée
Murmure en sortant du rocher,
Et, de me plaire tourmentée,
Suspend la cigogne argentée
Au faîte aigu du noir clocher ;
Quand, l’hiver, mon foyer pétille,
C’est elle qui vient s’y tapir,
Et me montre, au ciel qui scintille,
L’étoile qui s’éteint et brille,
Comme un œil prêt a s’assoupir ;
Qui, lorsqu’en des manoirs sauvages
J’erre, cherchant nos vieux berceaux,
M’environnant de mille images,
Comme un bruit du torrent des âges,
Fait mugir l’air sous les arceaux ;
Elle, – qui, la nuit, quand je veille,
M’apporte de confus abois,
Et, pour endormir mon oreille,
Dans le calme du soir, éveille
Un cor lointain au fond des bois.
Que ce soit Urgèle ou Morgane,
J’aime, en un rêve sans effroi,
Qu’une fée, au corps diaphane,
Ainsi qu’une fleur qui se fane,
Vienne pencher son front sur moi !
Plus encore que les livres
Revues
Et journaux
Plus encore que les lèvres mobiles
Qui des livres
Des revues
Redisent les désastres
J’aime caresser les feuilles
J’aime à m’en recouvrir le visage
Pour sentir leur fraîcheur
Et voir le monde
A travers leur lumière tamisée
A travers leur couleur verte
Pour écouter mon silence
Qui mûrit
Vibre sur mes lèvres
Et se dissout sur ma langue
Ecouter la terre
Qui respire
Et la terre est mon corps
Et je suis le corps
De la terre
Claribel.
***
ME GUSTA PALPAR HOJAS
Más que libros
Revistas
Y periódicos
Más que móviles labios
Que repiten los libros,
Las revistas,
Los desastres,
Me gusta palpar hojas
Cubrirme el rostro de hojas
Y sentir su frescura
Ver el mundo
A través de su tamizada
A través de sus verdes
Y escuchar mi silencio
Que madura
Y titila en mis labios
Y se rompe en mi lengua
Y escuchar a la tierra
Que respira
Y la tierra es mi cuerpo
Y yo soy el cuerpo
De la tierra
Claribel
***
***
GOSTO DE APALPAR FOLHAS
Mais do que livros
Revistas
E jornais
Mais que móveis lábios
Que repetem os livros,
As revistas,
Os desastres,
Gosto de apalpar folhas
Cobrir o meu rosto de folhas
e sentir o seu frescor
ver o mundo
através de sua peneira
através de seus verdes
e escutar o meu silêncio
que amadurece
e estremece em meus lábios
e se corta na minha língua
e escutar a terra
que respira
e a terra é o meu corpo
e eu sou o corpo
da terra
Claribel
***
***
I LOVE TO TOUCH LEAVES
More than books
Magazines
And newspapers,
More than moving lips
Repeating the books
The magazines
The disasters,
I love to touch leaves
To cover my face with leaves
And feel their freshness
See the world
Through their screened light
Through their green,
And to listen to my silence
That matures
And vibrates on my lips
And breaks down on my tongue,
And to listen to the earth
Which breathes.
And the earth is my body
And I am the body
Of the earth.
Claribel
***
ICH LIEBE ES BLÄTTER ZU ERFÜHLEN
Mehr als Bücher
Zeitschriften
Und Zeitungen
Mehr als bewegliche Lippen
Die die Bücher,
Die Magazine,
Die Schrecknisse wiederholen,
Liebe ich es, Blätter zu erfühlen
Mein Gesicht mit Blättern zu bedecken
Und ihre Frische zu spüren
Die Welt zu sehen
Durch ihre Spreite
Durch ihr Grün
Und meine Stille anzuhören
Die reift
Und auf meinen Lippen zittert
Und auf meiner Zunge zerbricht
Und der Erde zuzuhören
Die atmet
Und die Erde ist mein Körper.
Und ich bin der Körper
Der Erde
Claribel
***
IK RAAK GRAAG BLOEMEN AAN
Méér nog dan boeken
Tijdschriften
En kranten
Méér nog dan beweeglijke lippen
Die de boeken,
Die de tijdschriften,
De rampen nazeggen,
Raak ik graag bladeren aan
Bedek ik er graag mijn gelaat mee
Om hun frisheid te voelen
En de wereld te zien
Door hun gezeefd licht
Door hun groen
En naar mijn stilte te luisteren
Die rijper wordt
En op mijn lippen trilt
En uiteenvalt op mijn tong
En naar de aarde te luisteren
Die ademt
En de aarde is mijn lichaam
En ik ben het lichaam
Van de aarde
Claribel
***
ÎMI PLACE SĂ DEZMIERD FRUNZELE
Mai mult decât cărți
Sau reviste
Și ziare
Mai mult decât buzele în mișcare
Repetând cărțile,
Revistele,
Dezastrele,
Îmi place să dezmierd frunzele
Sub ele să-mi îngrop fața
Să simt răcoarea lor pe-obraz
Lumea s-o văd
Prin sita lor cernută
Trecută prin verzi vămi
Și să-mi ascult tăcerea
Cum se coace
Licăr mijit pe buze
Spărgându-se de limbă
Pământul să-l ascult
Și să-i ghicesc suflarea
Țărâna-mi va fi trup
Voi fi al gliei corp
Și-al țarnei
Claribel
***
***
ΤΑ ΦΥΛΛΑ ΑΓΓΙΖΩ
Περισσότερο απ’ τα βιβλία
εφημερίδες, περιοδικά
χείλη που αφηγούνται
κι επαναμβάνουν για περιοδικά
και για καταστροφές
μ’ αρέσει τα φύλλα ν’ ακουμπώ
και τη φρεσκάδα τους να νιώθω
τον κόσμο να κοιτώ
μέσα απ’ το πράσινο τους χρώμα
ν’ ακούω τη σιωπή μου
που ωριμάζει και στα χείλη και δονείται
και σπάζει στη γλώσσα μου επάνω
κι ακούει την αναπνοή της γης
που το κορμί μου είναι
και το κορμι μου είναι η γη
Κλαριμπέλ.
Un verre d’eau ! Lors d’une soif torride
« Donne-moi à boire, sinon je meurs. »
Insistant, faible, comme un chant,
Telle une plainte dans la chaleur…
Et je redis, et je répète, plus fort,
Et à nouveau, encore, encore,
Comme la nuit, quand on veut tant dormir
Et que sans cesse le sommeil fuit.
Comme si on manquait d’herbes dans les prés,
D’herbes qui soignent de tous les maux !
J’insiste, je perds les mots, je dis encore,
Telle la syllabe d’un mot d’enfant,
À chaque instant, toujours unique,
Le plus serré, la corde au cou,
Car ici-bas le nom terrestre
Ce n’est pas ça, ce n’est pas tout.
(Marina Tsetaeva)
Recueil: Mon dernier livre 1940
Traduction: Véronique Lossky
Editions: Cerf
Métaphore, image, son,
l’âme et la chair se concertent,
au loin on entend le Verbe
et l’écho redit son nom.
Cimetière des saisons
le printemps fait de beaux morts,
en l’honneur de ces garçons
battons les cymbales d’or.
Écho, juste et seule voix, obsédante rumeur.
L’écho redit. L’écho répète.
Il répond dans le même.
Il répond dans l’absence.
Voix répondante sans réponse au lieu de l’absence.
Qui répétant la question et la question de la question,
peu à peu la réduit, l’exténue, l’abolit
dans l’élément du Même.