L’écolier qui balayait la classe
à tour de rôle était choisi
alors il restait seul
dans la crayeuse poussière
près d’une carte du monde
que la nuit refroidissait
quelquefois il s’arrêtait, s’asseyait
posant son coude sur la table aux entailles
inscrit dans l’ordre universel.
Tuez
Dépouillez
Videz
Coupez
Enflammez
Fendez la peau du cou
Enlacez les pattes
Cordez les ailes
Pilez les foies
Hachez menu
Faites sauter
Faites rôtir
Supprimez la tête
Laissez refroidir
– La cuisine c’est la guerre –
Oui Chef
(Michel Besnier)
Recueil: Cuisine au beurre noir
Traduction:
Editions : Møtus
Relever la parole ancienne
Ranimer les mots refroidis
Fermente aux lèvres un nouveau chant
Embrasements ? non, embrasures
Où sur la fresque de midi
S’éploie un désir d’odyssée
Un désir d’odyssée
Par les routes imprononcées
Par les routes jamais écrites
Par les mers encore inchantées
Par les lagunes innommées
Et les déserts indénombrés
Par les chemins non murmurés
Un désir d’odyssée
Par les vents à réinventer
Les orages inéclatés
Les azurs à revisiter
Par les prodiges improclamés
Les sirènes à réenchanter
Sur le portulan des légendes
Un désir d’odyssée
Par les îles inépelées
Et les embruns imbalbutiés
Des vagues jamais chuchotées
Un désir d’odyssée
Vers le lieu ou l’Improféré
Sibylle des mots à venir
Guette en sa grotte improfanée
Le poète qui, d’un baiser
Sur sa bouche délivrera
Les oracles inapaisés.
(Jacques Lacarrière)
Recueil: A l’orée du pays fertile
Traduction:
Editions: Seghers
La tasse de café devant lui, il allume
une cigarette. Ne veut rien savoir de l’inspiration
des vers de hasard, des destinations aussi vagues
que le cours des fleuves. Il est probable
que le temps ne l’effraie pas; que la mort
ne soit, pour lui, pas davantage qu’une
idée sans réalité visible ; que
ses yeux ne laissent rien transparaître
qu’une vie abstraite coïncidant
avec l’âme. Parfois, il pense à répondre
aux questions qui lui sont posées. Mais
il ajourne ces moments. Il préfère maintenir
la silencieuse obstination du présent,
comme s’il durait, et que le café
n’avait pas refroidi dans sa tasse.
(Nuno Jùdice)
Recueil: Un chant dans l’épaisseur du temps suivi de méditation sur des ruines
Traduction: Michel Chandeigne
Editions: Gallimard
Quand tout renaît à l’espérance,
Et que l’hiver fuit loin de nous,
Sous le beau ciel de notre France,
Quand le soleil revient plus doux,
Quand la nature est reverdie,
Quand l’hirondelle est de retour,
J’aime à revoir ma Normandie,
C’est le pays qui m’a donné le jour.
J’ai vu les champs de l’Helvétie
Et ses chalets et ses glaciers,
J’ai vu le ciel de l’Italie,
Et Venise et ses gondoliers.
En saluant chaque patrie,
Je me disais : « Aucun séjour
N’est plus beau que ma Normandie,
C’est le pays qui m’a donné le jour. »
Il est un âge dans la vie,
Où chaque rêve doit finir,
Un âge où l’âme recueillie
A besoin de se souvenir.
Lorsque ma muse refroidie
Aura fini, ses chants d’amour,
J’irai revoir ma Normandie,
C’est le pays qui m’a donné le jour.
À la fin de septembre les étoiles refroidissent
et il y a dans le pré une odeur de pommes trop mûres
J’aimerais que la mer qui voyage sans cesse
m’écrive une lettre de sel très blanc avec juste une ombre de
mélancolie
où elle me parlerait de pays très lointains et de rivages verts
une lettre pour l’automne Nous la lirions sous la lampe
parce que les journées raccourcissent au moment des vendanges
et que l’océan est loin malgré le vent qui nous en parle
J’ai monté des bûches et le petit bois pour allumer du feu
et je regarderai la flamme danser sur tes pommettes
(Claude Roy)
Recueil: Claude Roy un poète
Traduction:
Editions: Gallimard Jeunesse
La machine débraye. Une poussière lourde
En sort comme un brouillard d’automne qui s’attarde.
Tous ces hommes courbés dont les nuques se tordent
Ils mangent maintenant. Poisseux, fleurant la merde,
Leur linge refroidit, la sueur l’entrelarde.
Midi. Bâfrez du pain, allons passez la gourde !
Pas de mie et pas de minute qui se perde,
Et pas plutôt mordu, la faim veut qu’on remorde.
On ne sait déjà plus rien du temps qui passe outre,
Chaque morsure n’attend pas et mord sur l’autre,
Mais ils mâchent à fond chaque morceau. Leurs rouges
Poumons de paysans boivent, encore valides,
Les miasmes noirs. Mâchant tout ce charbon malade,
Ils mangent. Ces mangeurs ne parlent pas. Ils mangent.
(Attila József)
Recueil: Aimez-moi – L’oeuvre poétique
Traduction: Georges Kassaï
Editions: Phébus
Assis dans le mais… j’attends. Mais quoi ? Serait-ce
Le cri de la corneille et le si bel instant
Où la mésange, par son chant,
Fait en sorte qu’il cesse ?
J’aime le tendre azur du soir au souffle frais.
J’en suis tout entouré. Doucement, il m’assaille.
Je pense à toi. C’est un délice. Et je voudrais…
Ceindre ta souple taille.
A présent, je suis seul. Le soleil vient de fuir.
La terre, sous mes pieds, commence à refroidir.
Survolant la sente muette
Ulule la chouette.
Le soleil vient de fuir et j’attends mais en vain.
Je t’attends. Viendras-tu? Reverrai-je tes charmes?
Je pleure sur mon coeur. Tombent de mon chagrin
Quelques secrètes larmes.
(Attila József)
Recueil: Aimez-moi – L’oeuvre poétique
Traduction: Georges Kassaï
Editions: Phébus