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Déclin d’amour (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 23 septembre 2022




Déclin d’amour

Dans le mortel soupir de l’automne, qui frôle
Au bord du lac les joncs frileux,
Passe un murmure éteint : c’est l’eau triste et le saule
Qui se parlent entre eux.

Le saule : « Je languis, vois ! Ma verdure tombe
Et jonche ton cristal glacé ;
Toi qui fus la compagne, aujourd’hui sois la tombe
De mon printemps passé. »

Il dit. La feuille glisse et va jaunir l’eau brune.
L’eau répond : « Ô mon pâle amant,
Ne laisse pas ainsi tomber une par une
Tes feuilles lentement ;

« Ce baiser me fait mal, autant, je te l’assure,
Que les coups des avirons lourds ;
Le frisson qu’il me donne est comme une blessure
Qui s’élargit toujours.

« Ce n’est qu’un point d’abord, puis un cercle qui tremble
Et qui grandit, multiplié ;
Et les fleurs de mes bords sentent toutes ensemble
Un sanglot à leur pied.

« Que ce tressaillement rare et long me tourmente !
Pourquoi m’oublier peu à peu ?
Secoue en une fois, cruel, sur ton amante
Tous tes baisers d’adieu ! »

(René-François Sully Prudhomme)

Illustration

 

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Un songe (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 23 février 2020




    
Un songe

Le laboureur m’a dit en songe : « Fais ton pain,
Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème. »
Le tisserand m’a dit : « Fais tes habits toi-même. »
Et le maçon m’a dit : « Prends ta truelle en main. »

Et seul, abandonné de tout le genre humain
Dont je traînais partout l’implacable anathème,
Quand j’implorais du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout dans mon chemin.

J’ouvris les yeux, doutant si l’aube était réelle :
De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.

Je connus mon bonheur et qu’au monde où nous sommes
Nul ne peut se vanter de se passer des hommes ;
Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.

(René-François Sully Prudhomme)

 

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Midi au village (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 7 novembre 2019




Midi au village

Nul troupeau n’erre ni ne broute ;
Le berger s’allonge à l’écart ;
La poussière dort sur la route,
Le charretier sur le brancard.

Le forgeron dort dans la forge ;
Le maçon s’étend sur un banc ;
Le boucher ronfle à pleine gorge,
Les bras rouges encor de sang.

La guêpe rôde au bord des jattes ;
Les ramiers couvrent les pignons ;
Et, la gueule entre les deux pattes,
Le dogue a des rêves grognons.

Les lavandières babillardes
Se taisent. Non loin du lavoir,
En plein azur, sèchent les hardes
D’une blancheur blessante à voir.

La férule à peine surveille
Les écoliers inattentifs ;
Le murmure épars d’une abeille
Se mêle aux alphabets plaintifs…

Un vent chaud traîne ses écharpes
Sur les grands blés lourds de sommeil,
Et les mouches se font des harpes
Avec des rayons de soleil.

Immobiles devant les portes
Sur la pierre des seuils étroits,
Les aïeules semblent des mortes
Avec leurs quenouilles aux doigts.

C’est alors que de la fenêtre
S’entendent, tout en parlant bas,
Plus libres qu’à minuit peut-être,
Les amants, qui ne dorment pas.

(René-François Sully Prudhomme)

Illustration: Julien Girard

 

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Le meilleur moment des amours (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 22 mai 2018



 

Le meilleur moment des amours
N’est pas quand on a dit : « Je t’aime. »
Il est dans le silence même
À demi rompu tous les jours ;

Il est dans les intelligences
Promptes et furtives des cœurs ;
Il est dans les feintes rigueurs
Et les secrètes indulgences ;

Il est dans le frisson du bras
Où se pose la main qui tremble,
Dans la page qu’on tourne ensemble
Et que pourtant on ne lit pas.

Heure unique où la bouche close
Par sa pudeur seule en dit tant ;
Où le cœur s’ouvre en éclatant
Tout bas, comme un bouton de rose ;

Où le parfum seul des cheveux
Parait une faveur conquise !
Heure de la tendresse exquise
Où les respects sont des aveux.

(René-François Sully Prudhomme)

Illustration: Raymond Peynet

 

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Ici-bas (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 20 mai 2018



Ici-bas

Ici-bas tous les lilas meurent,
Tous les chants des oiseaux sont courts ;
Je rêve aux étés qui demeurent
Toujours…

Ici-bas les lèvres effleurent
Sans rien laisser de leur velours ;
Je rêve aux baisers qui demeurent
Toujours…

Ici-bas tous les hommes pleurent
Leurs amitiés ou leurs amours ;
Je rêve aux couples qui demeurent
Toujours…

(René-François Sully Prudhomme)

 Illustration: Jean-Marie Manson

 

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La Mer (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 19 avril 2018




La Mer

La mer pousse une vaste plainte,
Se tord et se roule avec bruit,
Ainsi qu’une géante enceinte
Qui des grandes douleurs atteinte,
Ne pourrait pas donner son fruit ;

Et sa pleine rondeur se lève
Et s’abaisse avec désespoir.
Mais elle a des heures de trêve :
Alors sous l’azur elle rêve,
Calme et lisse comme un miroir.

Ses pieds caressent les empires,
Ses mains soutiennent les vaisseaux,
Elle rit aux moindres zéphires,
Et les cordages sont des lyres,
Et les hunes sont des berceaux.

Elle dit au marin : « Pardonne
Si mon tourment te fait mourir ;
Hélas ! Je sens que je suis bonne,
Mais je souffre et ne vois personne
D’assez fort pour me secourir ! »

Puis elle s’enfle encor, se creuse
Et gémit dans sa profondeur ;
Telle, en sa force douloureuse,
Une grande âme malheureuse
Qu’isole sa propre grandeur !

(René-François Sully Prudhomme)

Illustration: Brigitte Perrault

 

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Le Réveil (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 28 janvier 2018




Le Réveil

Si tu m’appartenais (faisons ce rêve étrange !),
Je voudrais avant toi m’éveiller le matin
Pour m’accouder longtemps près de ton sommeil d’ange,
Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.

J’irais à pas discrets cueillir de l’églantine,
Et, patient, rempli d’un silence joyeux,
J’entr’ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,
Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.

Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre
Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur,
Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière,
Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton cœur.

Oh ! Comprends ce qu’il souffre et sens bien comme il aime,
Celui qui poserait, au lever du soleil,
Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même,
Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil !

(René-François Sully Prudhomme)

Illustration: Isabelle Denechau

 

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Le dernier adieu (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 2 décembre 2017




Le dernier adieu

Quand l’être cher vient d’expirer,
On sent obscurément la perte,
On ne peut pas encor pleurer :
La mort présente déconcerte ;

Et ni le lugubre drap noir,
Ni le dies irae farouche,
Ne donnent forme au désespoir :
La stupeur clôt l’âme et la bouche.

Incrédule à son propre deuil,
On regarde au fond de la tombe,
Sans rien comprendre à ce cercueil
Sonnant sous la terre qui tombe.

C’est aux premiers regards portés,
En famille, autour de la table,
Sur les sièges plus écartés,
Que se fait l’adieu véritable.

(René-François Sully Prudhomme)

Illustration: Paul Delvaux

 

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Joies sans causes (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 15 septembre 2017




Joies sans causes

On connaît toujours trop les causes de sa peine,
Mais on cherche parfois celles de son plaisir ;
Je m’éveille parfois l’âme toute sereine,
Sous un charme étranger que je ne peux saisir.

Un ciel rose envahit mon être et ma demeure,
J’aime tout l’univers, et, sans savoir pourquoi,
Je rayonne. Cela ne dure pas une heure,
Et je sens refluer les ténèbres en moi.

D’où viennent ces lueurs de joie instantanées,
Ces paradis ouverts qu’on ne fait qu’entrevoir,
Ces étoiles sans noms dans la nuit des années,
Qui filent en laissant le fond du cœur plus noir ?

Est-ce un avril ancien dont l’azur se rallume,
Printemps qui renaîtrait de la cendre des jours
Comme un feu mort jetant une clarté posthume ?
Est-ce un présage heureux des futures amours ?

Non. Ce mystérieux et rapide sillage
N’a rien du souvenir ni du pressentiment ;
C’est peut-être un bonheur égaré qui voyage
Et, se trompant de cœur, ne nous luit qu’un moment.

(René-François Sully Prudhomme)

Illustration: Paul-Jacques-Aimé Baudry

 

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La Valse (René-François Sully Prudhomme)

Posted by arbrealettres sur 8 janvier 2017




La Valse

Dans un flot de gaze et de soie,
Couples pâles, silencieux,
Ils tournent, et le parquet ploie,
Et vers le lustre qui flamboie
S’égarent demi-clos leurs yeux.

Je pense aux vieux rochers que j’ai vus en Bretagne,
Où la houle s’engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoiement que toujours accompagne
Le même bruit.

La valse molle cache en elle
Un languissant aveu d’amour.
L’âme y glisse en levant son aile :
C’est comme une fuite éternelle,
C’est comme un éternel retour.

Je pense aux vieux rochers que j’ai vus en Bretagne,
Où la houle s’engouffre et tourne, jour et nuit,

Du même tournoiement que toujours accompagne
Le même bruit.

Le jeune homme sent sa jeunesse,
Et la vierge dit :  » Si j’aimais ?  »
Et leurs lèvres se font sans cesse
La douce et fuyante promesse
D’un baiser qui ne vient jamais.

Je pense aux vieux rochers que j’ai vus en Bretagne,
Où la houle s’engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoiement que toujours accompagne
Le même bruit.

L’orchestre est las, les valses meurent,
Les flambeaux pâles ont décru,
Les miroirs se troublent et pleurent.
Les ténèbres seules demeurent,
Tous les couples ont disparu.

Je pense aux vieux rochers que j’ai vus en Bretagne,
Où la houle s’engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoiement que toujours accompagne
Le même bruit.

(René-François Sully Prudhomme)

Illustration: Félix Vallotton

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