Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage,
Moi, je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues,
Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous.
Je trahirai demain. Pas aujourd’hui.
Demain
Il me faut la nuit pour me résoudre
Il me faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir
Pour renier mes amis
Pour abjurer le pain et le vin
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain. Pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime est est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire.
Il doit y avoir une couleur à découvrir,
Un assemblage de mots caché,
Il doit y avoir une clef pour ouvrir
La porte de ce mur démesuré.
Il doit y avoir une île au Sud,
Une corde plus tendue et résonnante,
Une autre mer qui nage dans un autre bleu,
Une autre hauteur de voix qui chante mieux.
Poésie tardive toi qui n’arrives
A dire pas même la moitié de ce que tu sais :
Ne te tais pas, si possible, ne renie pas
Ce corps de hasard où tu ne tiens pas.
***
«Há-de haver…»
Há-de haver urna cor por descobrir,
Um juntar de palavras escondido,
Há-de haver urna chave para abrir
A porta deste muro desmedido.
Há-de haver uma ilha mais ao sul,
Urna corda mais tensa e ressoante,
Outro mar que nade noutro azul,
Outra altura de voz que melhor cante.
Poesia tardía que não chegas
A dizer nem metade do que sabes:
Não calas, quanto podes, nem renegas
Este corpo de acaso em que não cabes.
(José Saramago)
Recueil: Les poèmes possibles
Traduction: Nicole Siganos
Editions: Jacques Brémond
Avec mon sang aux mille oiseaux
j’ai marché tout au long de la terre
J’ai ri de l’argile
j’ai renié le temps
J’ai su parler à l’étranger
Avec mon sang couleur de jour
J’ai dit oui à la mort et à son innocence
J’ai refusé la nuit.
Ô mes amis, vous tous, je ne renie
aucun de vous; ni même ce passant
qui n’était de l’inconcevable vie
qu’un doux regard ouvert et hésitant.
Combien de fois un être, malgré lui,
arrête de son oeil ou de son geste
l’imperceptible fuite d’autrui,
en lui rendant un instant manifeste.
Les inconnus. Ils ont leur large part
à notre sort que chaque jour complète.
Précise bien, ô inconnue discrète,
mon coeur distrait, en levant ton regard.
Et nous devrons donc te renier, Dieu
des tumeurs, Dieu de la fleur vivante,
et commencer par un non à la pierre
obscure du « je suis », consentir à la mort
et sur chaque tombe écrire notre
seule certitude: « thànatos athànatos » ?
Sans un nom qui rappelle les rêves
les larmes les fureurs de cet homme
vaincu par les questions encore ouvertes ?
Notre dialogue change; l’absurde
est désormais possible. Là-bas,
par-delà la fumée du brouillard, dans les arbres
veille la puissance des feuilles,
le fleuve est réel qui se heurte contre les rives.
La vie n’est pas un songe. L’homme est réel
et ses pleurs aussi, jaloux du silence.
Dieu du silence, ouvre la solitude.
(Salvatore Quasimodo)
Recueil: Ouvrier de songes
Traduction: Thierry Gillyboeuf
Editions: LA NERTHE
Reste calme au milieu du bruit et de l’impatience
et souviens-toi de la paix qui découle du silence.
Autant que tu le peux, mais sans te renier,
sois en bons termes avec tout le monde.
Dis ce que tu penses, clairement, simplement;
et écoute les autres,
même les sots et les ignorants;
eux aussi ont quelque chose à dire.
Evite les gens grossiers et violents;
ils ne sont que tourments pour l’esprit.
Si tu te compares aux autres,
tu risques de devenir vaniteux ou amer,
il y aura toujours quelqu’un de plus grand ou de plus petit que toi.
Sois fier de ce que tu as fait et de ce que tu veux faire.
Aime ton métier, même s’il est humble;
c’est un bien précieux en notre époque trouble.
Sois prudent dans tes affaires,
car on pourrait te jouer de vilains tours.
Mais que ceci ne te rende pas aveugle à ce qu’il y a de beau;
bien des gens luttent pour un idéal et,
partout sur la Terre, on fait preuve de courage.
Sois toi-même, surtout dans tes affections.
Fuis par-dessus tout le cynisme en amour,
car il persiste même après avoir desséché ton cœur et désenchanté ton âme.
Permets-toi de t’enrichir de l’expérience des ans,
te défaisant progressivement de tes puérilités.
Affermis-toi pour faire face aux malheurs de la vie.
Mais ne te détruis pas par une imagination maladive;
bien des peurs prennent naissance dans la fatigue et la solitude.
Malgré la saine discipline qui s’impose,
sois bon envers toi-même.
Tu es un enfant de l’univers,
tout comme les arbres et les étoiles:
tu as le droit d’être ici.
Et même si cela n’est pas clair en toi,
sois assuré que tout se passe dans l’univers selon ses règles propres.
Par conséquent, sois en paix avec ton Dieu,
quelle que soit en toi son image.
Et par-delà tes peines et tes aspirations,
au milieu de la confusion de la vie,
sois en paix avec ton âme.
Dis-toi qu’en dépit de ses faussetés, de ses ingratitudes, de ses rêves brisés,
le monde est tout de même merveilleux.
Répands la bonne humeur. Et tâche d’être heureux.
***
Desiderata
Go placidly amid the noise and haste,
and remember what peace there may be in silence.
As far as possible without surrender
be on good terms with all persons.
Speak your truth quietly and clearly;
and listen to others,
even the dull and the ignorant;
they too have their story.
Avoid loud and aggressive persons,
they are vexations to the spirit.
If you compare yourself with others,
you may become vain and bitter;
for always there will be greater and lesser persons than yourself.
Enjoy your achievements as well as your plans.
Keep interested in your own career, however humble;
it is a real possession in the changing fortunes of time.
Exercise caution in your business affairs;
for the world is full of trickery.
But let this not blind you to what virtue there is;
many persons strive for high ideals;
and everywhere life is full of heroism.
Be yourself.
Especially, do not feign affection.
Neither be cynical about love;
for in the face of all aridity and disenchantment
it is as perennial as the grass.
Take kindly the counsel of the years,
gracefully surrendering the things of youth.
Nurture strength of spirit to shield you in sudden misfortune.
But do not distress yourself with dark imaginings.
Many fears are born of fatigue and loneliness.
Beyond a wholesome discipline,
be gentle with yourself.
You are a child of the universe,
no less than the trees and the stars;
you have a right to be here.
And whether or not it is clear to you,
no doubt the universe is unfolding as it should.
Therefore be at peace with God,
whatever you conceive Him to be,
and whatever your labors and aspirations,
in the noisy confusion of life keep peace with your soul.
With all its sham, drudgery, and broken dreams,
it is still a beautiful world.
Be cheerful.
Strive to be happy.
(Max Ehrmann)
Recueil: Desiderata of Happiness
Traduction: Hubert Claes
Editions: