Nous avons confié l’amour à la terre,
Extrait de l’arbre le secret de sa fleur,
Une mère terrible éparpillée
Dans le souvenir de son sang,
Un territoire mêlé dans le jeu inquiet
Des regards qui se manquent.
Notre ressemblance est un
Accident renouvelé.
Devra-t-il mourir avec toi, ce monde magique
où le souvenir garde
les souffles les plus purs de la vie,
l’ombre blanche du premier amour,
la voix qui toucha ton coeur, la main
que tu voulais retenir en songe,
et toutes les amours
qui parvinrent à l’âme, au ciel profond?
Devra-t-il mourir avec toi ce monde,
cette ancienne vie, ordonnée par toi et renouvelée?
L’enclume et le creuset de ton âme
travaillent-ils pour la poussière et le vent?
Le réel « total », le seul réel véritable,
n’est accessible qu’à l’intuition poétique
(les grands philosophes, les grands mystiques et quelques grands scientifiques sont des poètes),
qui par une approche sans cesse renouvelée,
par des chemins si différents jette, dans ses meilleurs moments,
une lumière instantanée,
inexplicable sur ce qui n’a pas de visage…
Une flèche traverse l’univers.
Peu importe qui l’a lancée.
Elle transperce également le fluide et le solide,
le visible et l’invisible.
Tenter de calculer son parcours
reviendrait à imaginer un mur dans le néant.
Flèche depuis l’anonyme vers l’anonyme,
depuis un abîme qui n’est pas une origine
vers un autre abîme qui n’est pas une destinée,
mouvement qui semble n’en être pas un
mais plutôt une extase à chaque instant renouvelée.
Je la trouve en ta main
ou toi en ma pensée.
Je peux la voir entrer dans un nuage,
couper en deux un oiseau,
surgir des fleurs et des pluies,
fendre une cécité,
transpercer les morts.
Peut-être son exemplaire anonymat
nous convoque-t-il à notre propre anonymat,
pour que nous puissions aussi nous libérer
de notre commencement et notre fin.
(Roberto Juarroz)
Recueil: Martine Broda pour Roberto Juarroz
Traduction: Martine Broda
Editions: José Corti
Qui a porté mon automne doré,
Avec les feuilles mortes a ratissé mon sang,
Qui verra revenir mon printemps
Vers lui, au temps de l’année,
Mon frère le fleuve, qui se perd à jamais,
Différent et unique, chaque jour renouvelé,
Mon frère le flot qui glisse entre ses rives
Comme je coule du printemps à l’automne.
Car je suis le bourgeon et car je suis le fruit,
Je suis mon avenir et je suis mon passé,
Je suis le tronc stérile et esseulé,
Et tu es toi — mon temps et mon chant.
(Léa Goldberg)
Recueil: Anthologie de la poésie en hébreu moderne
Traduction: F. Kaufmann
Editions: Gallimard
L’esprit de l’Obscurité
est immémorial, éternel.
C’est le principe féminin
des origines.
Les racines du ciel et de la terre
s’élancent de sa porte mystérieuse.
Toujours renouvelé,
il se répand dans l’univers.
Indéfiniment.
Il ne s’épuise jamais.