L’herbe du défilé sous un halo de brouillard s’étale,
De la Wei en remous s’entend le grondement.
Les vagues de pluie du printemps s’apaisent,
une légère poussière se répand,
On monte en selle pour partir en campagne.
Voyez là si verdoyants les saules,
Dont ici on a tiré et brisé un rameau.
On se met en branle le coeur lourd,
Qui sait en quelle saison nous serons à nouveau réunis ?
Alors, vidons encore un verre,
Chantons encore un air !
On soupire sur l’existence,
Si amer de passer d’une joyeuse compagnie aux adieux, au départ.
Aussi ne nous dérobons pas à l’ivresse profonde,
Prêtons l’oreille aux « Passes du Soleil » jusqu’au bout.
Quand nous repenserons à nos chers vieux amis,
Éloignés de cent lieues, avec eux nous partagerons le clair de lune.
***
(Kòu Zhùn) (961-1023)
Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise
Sous la caresse du plaid, de ses peluches,
Je fais revivre le rêve d’hier : C’était Quoi ?
— Qui fut vainqueur ?
— Qui fut vaincu ?
Je repense à tout, de nouveau,
Et, à nouveau, je souffre de tout.
Car, dans cette chose, dont j’ignore Le nom,
y avait-il de l’amour ?
Qui était le chasseur ? — Qui, la proie ?
Tout, diaboliquement, devient son contraire.
Et le chat de Sibérie ronronnait — lui —,
Oui, mais qu’est-ce qu’il comprenait ?
Dans ce duel de caractère, qui,
Quelle main avait toujours —
La balle ? Quel coeur — le Vôtre, ou
Le mien, prenait son galop ?
Et, malgré tout, c’était quoi ?
Ce que je désire tant, et repousse ?
Je ne sais : moi, vainqueur ?
— Moi, vaincue ?
(Marina Tsvétaïéva)
Recueil: Insomnie et autres poèmes
Traduction:
Editions: Gallimard
Je repense ton sourire, i1 est pour moi une eau limpide
entrevue d’aventure dans la pierraille d’une grève,
étroit miroir auquel contemple un lierre ses corymbes;
et sur toute chose l’embrassement d’un blanc ciel paisible.
Cela, mon souvenir; je ne saurais dire, ô lointain,
si de ton visage, libre, s’exprime une âme ingénue,
ou bien si tu es de ceux qu’errants le mal du monde exténue
et qui portent avec eux, talisman, leur souffrance.
Mais ceci puis-je te dire : pensée, ton effigie
engloutit colères et caprices sous une vague de calme,
et ton aspect vient sourdre en ma mémoire grise,
droit comme la cime d’une toute jeune palme…
***
Ripenso i1 tuo sorriso, ed è per me un’acqua limpida
scorta per avventura tra le petraie d’un greto,
esiguo specchio in cui guardi un’ellera i suoi corimbi;
e su tutto l’abbraccio d’un bianco cielo quieto.
Codesto è il mio ricordo; non saprei dire, o lontano,
se dal tuo volto s’esprime libera un’anima ingenua,
o vero tu sei dei raminghi cue i1 male del rondo estenua
e recano il loro soffrire con sé come un talisman.
Ma questo posso dirti, che la tua pensata effigie
sommerge i crucci estrosi in un’ondata di calma,
e che il tuo aspetto s’insinua nella mia memoria grigia
schietto come la cima d’una giovinetta palma…
Cette lettre peut vous surprendre
Mais sait-on ? peut-être pas
Quelques braises échappées des cendres
D’un amour si loin déjà
Vous en souvenez-vous?
Nous étions fous de nous
Nos raisons renoncent, mais pas nos mémoires
Tendres adolescences, j’y pense et j’y repense
Tombe mon soir et je voudrais vous revoir
Nous vivions du temps, de son air
Arrogants comme sont les amants
Nous avions l’orgueil ordinaire
Du « nous deux c’est différent »
Tout nous semblait normal, nos vies seraient un bal
Les jolies danses sont rares, on l’apprend plus tard
Le temps sur nos visages a soumis tous les orages
Je voudrais vous revoir et pas par hasard
Sûr il y aurait des fantômes et des décors à réveiller
Qui sont vos rois, vos royaumes ? mais je ne veux que savoir
Même si c’est dérisoire, juste savoir
Avons-nous bien vécu la même histoire ?
L’âge est un dernier long voyage
Un quai de gare et l’on s’en va
Il ne faut prendre en ses bagages
Que ce qui vraiment compta
Et se dire merci
De ces perles de vie
Il est certaines
Blessures au goût de
Victoire
Et vos gestes, y reboire
Tes parfums, ton regard
Ce doux miroir
Où je voudrais nous revoir
Dans son cachot
elle prie comme elle peut
puis repense à sa journée:
elle espère qu’on la réveille,
elle erre
au milieu des brebis,
elle marche au bord de l’innocence,
son regard est vers là-bas;
elle cueille du bois mort
qu’elle met dans son panier,
elle enlève ses sabots,
l’eau glacée
comme un étau l’étreint.
Soudain,
elle voit la voix des branches
dégouliner le long des tiges
parmi les partitions endormies
de la prairie des gaves,
une gloire enluminée d’opale
flotte autour d’elle,
elle vit son extase
au gré tremblant du froid.