Pour que demeure le secret
Nous tairons jusqu’au silence
Nul oiseau n’est coupable
Du tumulte de nos coeurs
La nuit n’est responsable
De nos jours au fil de mort
Il n’est que grande innocence
Et des colonnes en marche
Mais les plaines soulignent
Notre solitude de leur blé.
J’appelle monde où je me reconnais
J’appelle absent le regard non capté
Par le mien qui se dit regard
Je suis responsable de tout
Ce qui n’a pu se former
Rien de meilleur que le plaisir :
printemps, verdure et amis tendres.
Où est l’échanson ? Dis-le-moi !
Pourquoi donc me fait-il attendre ?
Sache apprécier chaque occasion
que la fortune te propose,
Car personne ne peut savoir
quelle sera la fin des choses.
Sois vigilant, car notre vie
est suspendue à un cheveu.
Ne prends garde qu’à tes ennuis :
le monde tournera sans eux.
Que signifie : Eau de Jouvence ?
Qu’est-ce qu’un Paradis terrestre ?
L’une n’est qu’un petit ruisseau ;
l’autre, un bon petit vin champêtre.
Pudique ou buveur, ce ne sont
que deux facettes du réel.
Les deux aspects sont attirants,
mais nous allons choisir lequel ?
Le secret derrière l’écran,
qu’en connaît le Ciel ? Maintenant,
Tais-toi, prétentieux ! A quoi bon
traiter avec le chambellan ?
Si je n’étais pas responsable
de mes erreurs, de mes offenses,
Que signifierait Ton pardon,
ô mon Dieu miséricordieux ?
Le dévot boit l’eau de l’Eden ;
Hâfez, le vin. Auquel des deux
Le Créateur, en fin de compte,
donnera-t-il la préférence ?
***
(Hâfez Shirâzi)(Hafiz)
Recueil: L’amour, l’amant, l’aimé
Traduction: Vincent-Masour Monteil
Editions: Actes Sud
Je déclare l´état de bonheur permanent
Et le droit de chacun à tous les privilèges.
Je dis que la souffrance est chose sacrilège
Quand il y a pour tous des roses et du pain blanc.
Je conteste la légitimité des guerres,
La justice qui tue et la mort qui punit,
Les consciences qui dorment au fond de leur lit,
La civilisation au bras des mercenaires.
Je regarde mourir ce siècle vieillissant.
Un monde différent renaîtra de ses cendres
Mais il ne suffit plus simplement de l´attendre :
Je l´ai trop attendu. Je le veux à présent.
Que ma femme soit belle à chaque heure du jour
Sans avoir à se dissimuler sous le fard
Et qu´il ne soit plus dit de remettre à plus tard
L´envie que j´ai d´elle et de lui faire l´amour.
Que nos fils soient des hommes, non pas des adultes
Et qu´ils soient ce que nous voulions être jadis.
Que nous soyons frères camarades et complices
Au lieu d´être deux générations qui s´insultent.
Que nos pères puissent enfin s´émanciper
Et qu´ils prennent le temps de caresser leur femme
Après toute une vie de sueur et de larmes
Et des entre-deux-guerres qui n´étaient pas la paix.
Je déclare l´état de bonheur permanent
Sans que ce soit des mots avec de la musique,
Sans attendre que viennent les temps messianiques,
Sans que ce soit voté dans aucun parlement.
Je dis que, désormais, nous serons responsables.
Nous ne rendrons de compte à personne et à rien
Et nous transformerons le hasard en destin,
Seuls à bord et sans maître et sans dieu et sans diable.
Et si tu veux venir, passe la passerelle.
Il y a de la place pour tous et pour chacun
Mais il nous reste à faire encore du chemin
Pour aller voir briller une étoile nouvelle.
J’habite seul avec maman
Dans un très vieil appartement
Rue Sarasate
J’ai pour me tenir compagnie
Une tortue, deux canaris
Et une chatte
Pour laisser maman reposer
Très souvent je fais le marché
Et la cuisine
Je range, je lave, j’essuie
À l’occasion je pique aussi
À la machine
Le travail ne me fait pas peur
Je suis un peu décorateur
Un peu styliste
Mais mon vrai métier
C’est la nuit
Où je l’exerce travesti
Je suis artiste
J’ai un numéro très spécial
Qui finit a nu intégral
Après strip-tease
Et dans la salle je vois que
Les mâles n’en croient pas leurs yeux
Je suis un homme, oh!
Comme ils disent
Vers les trois heures du matin
On va manger entre copains
De tous les sexes
Dans un quelconque bar-tabac
Et là, on s’en donne a cœur joie
Et sans complexes
On déballe des vérités
Sur des gens qu’on a dans le nez
On les lapide
Mais on le fait avec humour
Enrobé dans des calembours
Mouillés d’acide
On rencontre des attardés
Qui pour épater leur tablée
Marchent et ondulent
Singeant ce qu’ils croient être nous
Et se couvrent, les pauvres fous
De ridicule
Ça gesticule et parle fort
Ça joue les divas, les ténors
De la bêtise
Moi, les lazzis, les quolibets
Me laissent froid, puisque c’est vrai
Je suis un homme, oh!
Comme ils disent
À l’heure où naît un jour nouveau
Je rentre retrouver mon lot
De solitude
J’ôte mes cils et mes cheveux
Comme un pauvre clown malheureux
De lassitude
Je me couche mais ne dors pas
Je pense à mes amours sans joie
Si dérisoires
À ce garçon beau comme un dieu
Qui sans rien faire a mis le feu
À ma mémoire
Ma bouche n’osera jamais
Lui avouer mon doux secret
Mon tendre drame
Car l’objet de tous mes tourments
Passe le plus clair de son temps
Au lits des femmes
Nul n’a le droit en vérité
De me blâmer, de me juger
Et je précise
Que c’est bien la nature qui
Est seule responsable si
Je suis un homme, oh!
Comme ils disent
Toute la terre, responsable
devant la verdure, l’air empierré
de charbon, et l’hiver
qui allume
le feu de la terre, alors que tout l’air se déplace
sans faille
dans le vert
moment de nous-mêmes. Nous savons que l’on parle
pour nous. Et nous savons que la terre
jamais ne produira
un mot
assez ténu pour nous retenir. Car le mot juste
n’est fait que d’air, et dans la braise
verte
de notre pâle uniformité, n’inspire pas d’autre peur
que celle de la vie. Nous serons donc
nommés
par tout ce que nous ne sommes pas. Et quiconque
se voit
dans ce qui n’est pas encore
prononcé,
saura ce que c’est
qu’avoir peur de
la terre
à la juste
mesure de lui-même.