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Les yeux des morts (Jany Cotteron)

Posted by arbrealettres sur 13 mars 2023




    
Les yeux des morts

Les yeux des morts ne s’éteignent jamais

Ils furent de chair et de sang
de colère et d’amour
Ils sont maintenant de cendres et de poussière

Dans les yeux des morts une lumière
éclaire nos versants sombres
l’espoir émietté des égarés du temps

Contre nos parts manquantes
nos pensées d’ombre
nos lèvres brûlées de mots retenus
ils sont nos doubles lumineux

Ils tracent des sentiers dans nos labyrinthes
y allument des feux

pour que nos vies se risquent
hors des frontières de la peur

(Jany Cotteron)

Recueil: Frontières Petit atlas poétique
Editions: Bruno Doucey

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ENFANT MEXICAIN (Gabriela Mistral)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2023



Illustration: Marianne Clouzot
    
ENFANT MEXICAIN

Me voici où je ne suis pas,
sur l’Anahuac argenté,
à sa lumière sans pareille
peignant un enfant de mes mains.

On le dirait, sur mes genoux,
une flèche de l’arc tombée
et que j’aiguise et que j’effile
en le berçant et chantonnant.

Dans un air si vieux et si jeune,
toujours il me semble trouvaille
et je le tourne et le retourne
avec le refrain que je chante.

Ses yeux d’un noir-bleu me regardent
d’un regard de vie éternelle
et comme d’un geste éternel,
moi, je le peigne de mes mains.

Sa nuque et ses bras sont coulée
de résines de pin ocote;
il est lourd et il est léger
d’être la flèche sans son arc…

Moi, je le nourris de mon rythme,
lui me nourrit de quelque baume,
qui est le baume des mayas
dont mes yeux n’ont pas eu la joie.

Je joue avec sa chevelure
que je sépare et que je lisse
et, dans ses cheveux, je retiens
les mayas en dispersion.

Voilà douze ans que j’ai quitté
mon petit enfant mexicain;
mais, dans la veille ou le sommeil,
je le peigne encor de mes mains…

C’est là une maternité
qui ne lasse pas mes genoux,
c’est une extase libérée
à jamais par moi de la mort.

(Gabriela Mistral)

Recueil: Poèmes choisis Prix Nobel de littérature 1945
Editions: Rombaldi

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Je suis (Grégory Rateau)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2023



Illustration: Mario Cossu

    

Je suis

Je suis ce gamin lancé dans le monde
cherchant « la maison » partout
où les sourires se souviennent encore

Je suis cette langue exilée
dont l’héritage en fuite
le retient par la peau du Verbe

Je suis cette cigarette de trop
et qui, une fois éteinte
attend sagement de nouvelles brumes

Je suis cet être en chantier
à la recherche du frère ou de la sœur
passant outre les quelques miettes de sang

Je suis cette raison vacillante
accoquinée aux maudits
mais se refusant à partager leurs tristes sorts

Je suis ce bohémien avide de sensations
aveuglé par ses chimères
mais s’accrochant désespérément à une branche d’éternité

Je suis cet imposteur
dont la lucidité vengeresse
lui désigne la blessure du soleil

(Grégory Rateau)

Recueil: Imprécations nocturnes
Traduction:
Editions: Conspiration

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Exil (Grégory Rateau)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2023




    
Exil

Je ne suis plus d’ici
Lieu de transit
Comptoir d’un hôtel
Baie vitrée panoramique
Les silhouettes tournent
Et me reviennent
La ville les appelle
Vivre vite
Ne plus chercher un visage en particulier
J’ai échoué en suivant des ombres
Dans les impasses de l’amitié
Alors je me glisse dans la première valise venue
Retiens mon souffle
Bringuebalé aux douanes du hasard
En passe-muraille de mon époque
Je rentre peut-être chez moi

(Grégory Rateau)

Recueil: Imprécations nocturnes
Traduction:
Editions: Conspiration

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SUR UN AIR LIMPIDE ET TRANQUILLE (Zhu Shu Zhen)

Posted by arbrealettres sur 21 janvier 2023



Illustration: Dai Dunbang
    
SUR UN AIR LIMPIDE ET TRANQUILLE

Un jour d’été, promenade sur le lac
Ennuyée de brume, trempée de rosée,
Retenue un moment je demeure,
Pour lui tenir la main en chemin,
au dessus du lac aux fleurs de lotus,
Toute une bruine, aux prunes mûres, de pluie fine.

Charmante ingénue sans craindre qu’il me devine,
Toute habillée assoupie renversée sur son coeur…
Enfin voici qu’on se lâche les mains, c’est l’heure
De s’en retourner lente s’accouder à la coiffeuse.

***

(Zhu Shu Zhen) (vers 1131)

Recueil: Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes Poèmes Song illustrés par Dai Dunbang
Traduction: du Chinois par Bertrand Goujard
Editions: De la Cerise

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Le tigre (Lu Ji)

Posted by arbrealettres sur 7 décembre 2022



Illustration: Shan Sa
    
Le tigre

Le sage a soif mais il ne boit pas aux sources malignes
Le sage a chaud mais il ne s’abrite pas sous des ombres faciles
L’homme véritable sait porter le poids de la liberté.
Mon cheval est sellé ; il m’emporte auprès du devoir.
Ma cravache rythme son pas vif vers l’aventure qui appelle
Ma faim recherche l’antre des tigres — je me nourris de leur sauvagerie
Le froid et le sommeil me conduisent au bois des oiseaux où trouver refuge
La fin du jour presse mon coeur insatisfait — ma quête n’est pas finie.
Je vois le déroulement des jours ; l’an s’épuise dans la nuit qui vient.
De lourds nuages occupent le rivage et poussent leurs soupirs vers la montagne.
La vallée retient mes vers et la crête des pics libère mes souffles angoissés.
Si l’agitation heurte les cordes du luth, Les hautes aspirations élèvent la parole.
Ô ! Comme vivre peut être pesant parfois !
Mais que se passe-t-il en moi qui braille la lâcheté qui s’épanche ?
Je frappe mon coeur — « réveille-toi et garde droite la vertu nécessaire ! »
Si ma poitrine se gonfle, voilà ma tête qui s’abaisse — comme j’ai honte…

(Lu Ji)

(261-303)

Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel

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Vers le milieu l’après-midi (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 30 novembre 2022




    
Vers le milieu l’après-midi, un silence s’est fait partout dans le pré.
Le ciel soudain a pâli comme quelqu’un qui on vient d’annoncer une mort.
Il n’y avait plus rien. Et puis tout s’est rallumé.

C’est quelque chose qui arrive très souvent,
vers le milieu de l’après-midi.
On ne le remarque guère.

Il faut être prisonnier ou malade,
ou assis devant une table, en train d’écrire, pour s’en apercevoir :
l’étoffe du jour est trouée.

Par les trous on voit le diable
— ou, si vous préférez ce mot plus
calme : le néant.

Il y a un instant où le monde est laissé seul.
Abandonné.

C’est comme si Dieu retenait son souffle.
Un intervalle de néant entre deux domaines de la lumière

(Christian Bobin)

 

Recueil: La grande vie
Traduction:
Editions: Folio

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La pureté (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 29 novembre 2022




    
La pureté n’est faite que de détails
La bonté n’est faite que de gestes
Ces gestes ne mènent pas à de grandes victoires
aucune légende ne les retient
Ces gestes sont gestes de tous les jours
bien plus héroïques
que tout héroïsme
Laver le linge
pour que l’enfant demain
se sente léger confiant
dans des vêtements frais propres
Même si demain n’est plus
dans la suite des jours
Même si demain
ne verra pas le jour

(Christian Bobin)

 

Recueil: La Vie Passante
Editions: Fata Morgana

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Je ne crois plus qu’aux gestes (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 29 novembre 2022




Illustration: Aimé-Nicolas Morot

    
je ne crois plus qu’aux
gestes
Il n’y a pas de mots dans le monde
Il n’y a que des gestes
Le problème de la bonté
de la pureté de la légèreté
n’est pas pour autant résolu
mais il a du moins trouvé sa
juste formulation
Quel geste accomplir
pour atteindre à la vie pure
Quel geste faire ou retenir

(Christian Bobin)

 

Recueil: La Vie Passante
Editions: Fata Morgana

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Peut-être, quand viendra la nuit (Luc Bérimont)

Posted by arbrealettres sur 4 novembre 2022




Illustration
    
Peut-être, quand viendra la nuit
Vais-je poser mes mains autour de ton visage?
Une lampe assourdie balancera le vent
Qui monte des ravins d’octobre avec la pluie
Tu t’approcheras, nue, entre les murs bâtis
Mais je ne connaîtrai de toi que ton visage.
Je retiendrai l’instant comme une écluse haute
Capable d’emporter deux corps dans un courant
Je dirai la raison sourde des marécages
Croupis dans une attente à goût d’orage et d’eau.

Je tiens la nuit contre ma bouche
D’un souffle si léger, si pur
Qu’il entretient le feu des pierres.
Un geste pourrait dévaster
Les jardins en pente du jour;
Le plus court hasard nous tuerait
En ce territoire incertain.

Je reste en vie si loin de toi
Mon absente, ma déferlante
Parce qu’aux confins fous du sang
Luit le pavot bleu du plaisir.

(Luc Bérimont)

Recueil: Le sang des hommes
Traduction:
Editions: Bruno Doucey

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