Viens voir la nuit. Les princesses mortes revivent.
N’entends-tu pas crier les feuilles sous leurs traînes?
Et ces flambeaux d’or sur le chemin de la reine?
Ils sont portés par les pages bleus qui la suivent.
Tu ne te doutais pas qu’il fut ainsi ce parc,
Et tu faillis jeter au puits la clef rouillée.
Oh! regarde, voici passer les chevaliers
croisés de lune. Ils s’en vont mourir quelque part.
Mais rien ne meurt dans ces murs noirs. Une ombre passe,
La grille est entrebâillée. Elle entre : personne.
Des tombes sous les pas. Cette ombre prend la place
Et le rêve est le même.
Entends. Je le chantonne
Comme l’autre mais il est bien plus douloureux
Car j’ai le souvenir de ceux qui en moururent.
C’est pour cela qu’il faut du noir dans tes parures
Et que parmi les lys j’ai mis des cyprès bleus.
D’une femme qui fut rencontre fugitive
je conserve le nom bien enfermé : c’est un coffret :
j’en élève parfois les syllabes rouillées
qui grincent tels de vieux pianos désaccordés :
de la pluie surgissent aussitôt les arbres de l’époque,
les jasmins, les deux nattes victorieuses
d’une femme au corps disparu, perdue,
noyée dans le temps comme dans les lentes eaux d’un lac :
ses yeux s’y sont éteints comme charbons en cendre.
I1 existe pourtant dans ce qui se dissout
un parfum mort, des veines enterrées
ou simplement la vie au milieu d’autres vies.
Tourner la tête vers — et seulement —
vers la pureté, fleure bon :
tâter le pouls du zénith torrentiel
de notre jeunesse amoindrie :
envoyer rouler une bague dans le vide,
pousser les hauts cris en plein ciel.
Le temps, à grand regret, me manque pour mes vies,
la minime, le souvenir laissé dans un compartiment,
dans une chambre ou bien en quelque brasserie
comme un parapluie resté sous l’averse :
ces lèvres qu’on ne voit pourraient bien être celles
que l’on entend soudain comme rumeur marine,
dans une inadvertance du chemin.
C’est pourquoi Irène ou Rosa, Maria ou Leonor,
vides coffrets, fleurs sèches dans un livre
appellent du fond de l’esseulement :
alors i1 faut ouvrir, écouter ce qui est
sans voix, et regarder ce qui n’existe pas.