Rien n’est tant déprimant qu’un ennui sans partage,
Quand le choc d’aucun verre au contact du comptoir,
Ne vient porter secours au broyage du noir ;
La nuit dort sans étoile et sans Lune en servage.
Le charme désuet d’un très vieux paysage,
Oublié dans le lit d’un affluent miroir,
N’ose quitter le fond, du matin jusqu’au soir,
Et laisse gésir seul son voile de veuvage.
La brume au ras du sol emmitoufle un chat gris,
Aux rives des trottoirs se butent les aigris ;
Le talus sous le joug d’une bête de somme,
Nous concède un long train pesant comme un intrus,
Au milieu des vergers sans groseille et sans pomme,
En rupture d’ailleurs, que nul n’espère plus.
L’espoir des hommes me pénètre de pitié
Et c’est comme une rupture en moi cette pitié
Car je ne garde rien du temps
Et je n’ai pas un seul rêve
Qu’un éclatement de poussière dans mes yeux
Et je suis las de cette brume qui m’efface
Je suis fatigué de cette misère
Et j’imagine un amour que je pourrais vivre sans pleurer
J’imagine un pays où je pourrais mourir sans regret.
Je m’éveille pour la mort.
Je me rase, m’habille, me chausse.
C’est mon dernier jour: un jour
entamé d’aucun pressentiment.
Tout fonctionne comme toujours.
Je sors dans la rue. Je vais mourir.
Je ne mourrai pas maintenant. Un jour
entier se profile devant moi.
Un jour comme c’est long. Combien de pas
dans la rue, que je traverse. Et que de choses
dans le temps, accumulées. Sans faire attention,
je suis mon chemin. Bien des visages
se pressent dans mon agenda.
[…]
Je vis
mon instant final et c’est comme
si je vivais depuis bien des années
avant et après ce jour,
une vie continue, sans rupture,
où il n’y aurait pauses ni syncopes ni sommeils,
tant est moelleux dans la nuit cet engin et tant aisément il fend
l’air en blocs de plus en plus gros.
Je suis vingt dans la machine
qui suavement respire,
entre des panneaux stellaires et de lointains souffles de la terre,
je me sens normal à des milliers de mètres d’altitude,
ni oiseau ni mythe,
je garde conscience de mes pouvoirs,
et sans mystification je vole,
je suis un corps volant et j’ai toujours des poches, des montres, des ongles,
relié à la terre par la mémoire et par l’habitude des muscles,
chair sur le point d’exploser.
Ô blancheur, sérénité sous la violence
de la mort sans préavis,
précautionneuse et pourtant irrésistible approche d’un péril atmosphérique,
coup percuté dans l’air, lame de vent
dans le cou, éclair
choc fracas fulguration
nous roulons pulvérisés
je pique verticalement et me transforme en fait divers.
Voici encore une fenêtre
où encore on ne dort.
peut-être – on boit du vin
peut-être – on est assis.
Ou simplement ils sont deux
qui ne défont pas leurs mains.
Dans chaque maison, ami,
il y a une fenêtre ainsi.
Cri des ruptures et des rencontres,
c’est toi, fenêtre dans la nuit !
Peut-être – centaines de chandelles,
peut-être – trois chandelles.
Non, point de repos
pour mon esprit.
Dans ma maison toujours
il en fut ainsi.
Prie, ami, pour la maison sans sommeil,
pour la fenêtre éclairée
Je suis à ma fenêtre, oisive, depuis une éternité.
Sous la lune froide, le givre tombe.
Silencieusement, je baisse le store :
La lampe ne jette plus qu’une faible lueur.
Je n’en finis pas de poursuivre le passé,
L’âme égarée d’absence,
Le coeur broyé de peine.
Je reste assise à fredonner des airs sans paroles.
Les beaux jours peuvent bien revenir,
Mon front ne saurait plus se dérider.
Trop tôt et trop souvent j’ai été blessée.
Au fil des mois et des années,
Que d’abandons, que de ruptures !
Ah ! si nous pouvions nous revoir
Et de nouveau recommencer,
Comme par le passé !
Mais à quoi bon regretter, mon mal est sans remède.
La beauté de la nuit est hors d’atteinte
Pour moi qui ne suis plus que cendres.