Ce temps si frêle si transitoire
Qui boude et qui s’obstine
Puis s’évanouit à chaque pas
Jour après jour il me rappelle
Ma mort inscrite quelque part
Dans un coin de ma vie ?
Dans l’inconnu ?
Ces jours précieux
Je les gaspille,
Les dilapide et les dissipe
Je les prodigue à tout venant
Et les disperse à tous les vents
(Andrée Chedid)
Recueil: L’Étoffe de l’univers
Traduction:
Editions: Flammarion
Lorsque j’entends le soir
le concerto pour clarinette de Mozart,
le temps de la souffrance et de l’ennui s’achève,
soudain je nage dans la lumière dorée de mes quinze ans,
l’ombre de la vieillesse un instant se déchire,
nos deux corps flexibles se joignent
dans le torrent de nos cheveux emportés par le vent:
c’est le ciel de la tendresse que leur plaisir éclaire,
l’angoisse de vivre est devenue légère comme l’air
(Claude Vigée)
Recueil: L’homme naît grâce au cri
Traduction:
Editions: POINTS
Esprit, fais-toi mer pour franchir la mer, nature pour surmonter la nature,
Mortel et agonisant pour devancer la mort et l’agonie.
Embrasse le monde afin de traverser le monde, d’absorber en toi tout l’espace et son temps !
Ton cœur fait monde, esprit, sans rien en retenir,
Par la grâce du saut léger te voilà sauvé de toi-même.
Mais le don ne s’achève qu’en te livrant à ce monde triste avec joie,
En t’y abandonnant dès aujourd’hui au risque de ta perte totale.
Au cœur de l’orage il y aura peut être un instant de rencontre:
Un seul éclair suffit, avant la dispersion mortelle dans la nuit.
L’infini est une tour.
Le destin, une cheminée d’usine
dans un entassement d’arcades.
Cambrures de l’Inévitable.
Briques de l’Inéluctable.
Sur la droite, un gant de fer posé sur un damier
rappelle que la vie est un jeu noir et blanc
s’achevant en tournois sanglants.
Qui donc a joué le Jour et l’a perdu au jeu?
Le soir prend la couleur d’un gant de fer rouillé
avant le heaume irrémédiable de la nuit.
Nuit nue de l’après-humain
(Jacques Lacarrière)
Recueil: A l’orée du pays fertile
Traduction:
Editions: Seghers
Pourquoi tarder? Dans le pin l’écureuil
de sa queue en torche frappe l’écorce.
Le croissant de lune descend et sa corne
au soleil s’émousse. I1 fait jour.
Un souffle, et la fumée indolente tressaille,
elle se défend au point qui t’enclôt.
Rien ne finit, tout s’achève lorsque, foudre,
tu quittes le nuage.
***
Perché tardi? Nel pino lo scoiattolo
batte la coda a torcia sulla scorza.
La mezzaluna scende col suo picco
nel sole che la smorza. E giorno fatto.
A un soffio il pigro fumo trasalisce,
si difende nel punto che ti chiude.
Nulla finisce, o tutto, se tu fôlgore
lasci la nube.
Que me parles-tu de gloire,
A quoi bon ces vains discours ?
Donne-moi plutôt à boire,
Rends-moi plutôt mes amours.
Vois, ma tête est déjà chenue
Et des suprêmes adieux
L’heure tôt sera venue !
De ce vin qu’aiment les dieux
Verse donc, verse, mon page,
Emplis ma coupe à plaisir
Pour que mon ultime page
S’achève sur un désir.