O comme, au déclin de notre âge, plus
tendre est l’amour, plus superstitieux…
Brille, ô brille, ultime lumière De
l’ultime amour, aurore du soir !
L’ombre a conquis le ciel immense, Seule
au couchant, là-bas, ta clarté brûle,
Attends un peu, attends, jour vespéral, Et
dure, ô dure encore, enchantement !
Le sang peut bien s’affaiblir dans les veines,
Mais la tendresse, au coeur, ne faiblit pas… O
toi, notre dernier amour,
Tu es bénédiction et désespoir.
(Fédor Ivanovitch Tioutchev)
Recueil: 35 siècles de poésie amoureuse
Traduction: Jacques David
Editions: Saint-Germain-des-Prés Le Cherche-Midi
Je chante !
Je chante soir et matin,
Je chante sur mon chemin
Je chante, je vais de ferme en château
Je chante pour du pain je chante pour de l’eau
Je couche
Sur l’herbe tendre des bois
Les mouches
Ne me piquent pas
Je suis heureux, j’ai tout et j’ai rien
Je chante sur mon chemin
Je suis heureux et libre enfin.
Les elfes
Divinités de la nuit,
Les elfes
Couchent dans mon lit.
La lune se faufile à pas de loup
Dans le bois, pour danser, pour danser avec nous.
Je sonne
Chez la comtesse à midi :
Personne,
Elle est partie,
Elle n’a laissé qu’un peu d’riz pour moi
Me dit un laquais chinois
Je chante
Mais la faim qui m’affaiblit
Tourmente
Mon appétit.
Je tombe soudain au creux d’un sentier,
Je défaille en chantant et je meurs à moitié
« Gendarmes,
Qui passez sur le chemin
Gendarmes,
Je tends la main.
Pitié, j’ai faim, je voudrais manger,
Je suis léger… léger… »
Au poste,
D’autres moustaches m’ont dit,
Au poste,
« Ah ! mon ami,
C’est vous le chanteur vagabond ?
On va vous enfermer… oui, votre compte est bon. »
Ficelle,
Tu m’as sauvé de la vie,
Ficelle,
Sois donc bénie
Car, grâce à toi j’ai rendu l’esprit,
Je me suis pendu cette nuit… et depuis…
Je chante !
Je chante soir et matin,
Je chante
Sur les chemins,
Je hante les fermes et les châteaux,
Un fantôme qui chante, on trouve ça rigolo
Je couche,
Parmi les fleurs des talus,
Les mouches
Ne me piquent plus
Je suis heureux, ça va, j’ai plus faim,
Heureux, et libre enfin !
Réconfortez mon peuple, il lui faut réconfort
Faites son coeur plus ferme et son esprit plus fort,
Ne soyez pas le vent qui éteint la flammèche,
Attisez-la plutôt, car la nuit est poison!
Versez de l’huile encore, époussetez la mèche,
Car la nuit est venin et le sommeil est mort !
Réconfortez mon peuple, il lui faut réconfort.
Faites son coeur plus ferme et plus fort son esprit!
L’on a vu s’embraser déjà plus d’une nuit
Être victorieux déjà plus d’un combat
Où le drapeau jamais de nos mains ne tomba!
Il se dresse – aussi fort que muraille de fer
Dans le chaos de mer dont bouillonnent les lames,
Ô faites fort mon peuple et soufflez sur sa flamme !
Ô faites fort mon peuple et qu’il ne s’affaiblisse !
Que les forces de vie radieuses jaillissent
En colonne de feu dans la nuit qui surgit!
La nuit chante, veillant le jour comme vigie !
Décochez, flèche d’or, son rayon lumineux
Pour saluer là-haut la colonne de feu!
Réconfortez mon peuple, il lui faut réconfort,
Faites son coeur plus ferme et son esprit plus fort!
(Itzhak-Leibush Peretz)
Recueil: Anthologie de la poésie yiddish Le miroir d’un peuple
Traduction:
Editions: Gallimard
La nuit est douce, la nuit est délicieuse
Ointe de hashish et embaumée ;
Par le chemin de lumière, moi je passe, ivre
La nuit est douce, la nuit est délicieuse…
Des baisers viennent, du vent et de la mer
Baisers de la lumière qui fleurit de tous côtés
Cette nuit est fériée, un dimanche pour mon âme
Des baisers viennent, du vent et de la mer.
Mais la lumière de mon âme peu à peu s’éteint
Ma lèvre n’a soif que de baiser…
C’est une nuit d’allégresse, de clarté lumineuse,
Mais la lumière de mon âme peu à peu s’affaiblit.
Comme les rayons issus d’une puissante source,
la réalité de notre monde s’affaiblit et se perd à mesure qu’elle s’éloigne de nous.
Ma main qui soulève un marteau tient le réel,
mais mon regard, élevé jusqu’aux lieux les plus hauts de la nuit,
n’atteint que des Idées, des Fantômes, un fuyant déferlement de songes
qui va mourir au bord de ce qui n’est pas.