ADDS IDENTIFICATION OF CHILD Paramilitary police officers investigate the scene before carrying the lifeless body of Aylan Kurdi, 3, after a number of migrants died and a smaller number were reported missing after boats carrying them to the Greek island of Kos capsized, near the Turkish resort of Bodrum early Wednesday, Sept. 2, 2015. The family — Abdullah, his wife Rehan and their two boys, 3-year-old Aylan and 5-year-old Galip — embarked on the perilous boat journey only after their bid to move to Canada was rejected. The tides also washed up the bodies of Rehan and Galip on Turkey’s Bodrum peninsula Wednesday, Abdullah survived the tragedy. AP
LA FIN DU VOYAGE
À la mémoire du petit Alan Kurdi
Petit corps étendu sur cette plage,
Les vagues caressent son visage
Mais le garçonnet ne frémit pas,
Il vient de passer de vie à trépas.
Il ne connaîtra pas la fin du voyage,
Il est parti rejoindre les nuages.
Il n’entendra plus les bombes,
Seulement le silence de sa tombe.
Par une nuit d’encre, emporté par les flots,
Il pleurait avec dans sa voix des sanglots.
Il a cherché en vain une main salutaire,
Mais, comme ses frères, il périt en mer.
Il rêvait que l’Europe l’accueille,
À sa porte l’attendait son linceul.
Petit Alan, tu dors la tête dans le sable.
Oh, comme notre société est coupable !
Ton exil est maintenant parmi les anges,
Et, là-haut, personne, tu ne déranges.
Je pleure des larmes sèches à mon coeur qui se meurt.
Ces flammes qui me lèchent ont du sang la saveur.
Je ne sais ce qui pêche et il n’est point de leurre.
La nuit me paraît fraîche, j’ai des envies d’ailleurs.
Je pleure des larmes noires en mon coeur évanoui.
Drapé dans mon peignoir, je cherche en vain l’oubli.
Les souvenirs, ce soir, me poussent á l’insomnie.
Je n’ai plus mal à boire face aux maux de la vie.
Je pleure des larmes vaines au son de mes douleurs.
Entravé par ces chaînes, j’ai le mal des fleurs.
Ce manque que je traîne atténue leurs couleurs.
Elle a quitté ma scène, engendrant la tumeur.
Je pleure des larmes grises aux sentiments passés.
Ces flammes qui attisent amertume et regrets.
Cet amour infini que je n’ai embrassé
Qu’au début de ma vie et qui s’est envolé.
Je pleure des larmes chaudes comme ses câlins,
Ses regards d’affection, ses sourires, nos matins.
Sa lune a disparu, elle était de satin.
Évanouie sa clarté, interrupteur éteint.
Je pleure des larmes blanches au vide immaculé.
Ces flammes sont des lames aux dents trop aiguisées.
Ce désert de tendresse à jamais irrigué
Des sanglots de l’amour qu’on n’a pu se donner.
Un soleil aveuglant martèle l’arène ronde.
L’air vibre, languissant, et la lumière poudroie.
Tassées dans des gradins qui s’énervent et qui grondent,
Vingt mille hyènes assoiffées y attendent leur proie.
C’est jour de grande liesse et c’est jour de carnage :
César Imperator donne à ses gens une fête,
Le rideau peut s’ouvrir sur la moisson sauvage
Où les faux sont des glaives et les épis des têtes.
Tremblant de tous leurs membres au ventre des cachots,
Les chrétiens enchaînés vomissent d’épouvante,
Et respirant leur mort au milieu des sanglots,
Ils reniflent au-dehors la rumeur impatiente.
Soudain les portes craquent sur la lumière violente,
Le cirque halluciné hurle ses pauvres haines,
Et face à l’empereur qu’un vague ennui tourmente,
Tout un peuple délire, ivre de joie païenne.
Les brebis sont groupées au centre de l’arène,
Terrorisées, muettes, elles se touchent et se serrent
Et lancent vers le ciel, dans la chaleur romaine,
Pour la dernière fois, une dernière prière.
Après ne restent plus sur le sable rougi,
Dans le soir qui descend aux marches italiennes,
Que l’ombre de leur peur et l’écho de leurs cris,
Et, fantôme debout, l’arche marmoréenne…
Sans que je puisse m’en défaire
Le temps met ses jambes à mon cou
Le temps qui part en marche arrière me fait sauter sur ses genoux
Mes parents, l’été, les vacances, mes frères et sœurs faisant les fous
J’ai dans la bouche l’innocence des confitures du mois d’août
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Les napperons et les ombrelles qu’on ouvrait à l’heure du thé
Pour rafraichir les demoiselles roses dans leurs robes d’été
Et moi le nez dans leurs dentelles, je respirais à contre-jour
Dans le parfum des mirabelles, l’odeur troublante de l’amour
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Le vent violent de l’histoire allait disperser à vau-l’eau
Notre jeunesse dérisoire, changer nos rires en sanglots
Amour orange amour amer, l’image d’un père évanoui
Qui disparut avec la guerre, renaît d’une force inouie
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Celui qui vient à disparaître, pourquoi l’a-t-on quitté des yeux ?
On fait un signe à la fenêtre sans savoir que c’est un adieu
Chacun de nous a son histoire et dans notre cœur à l’affût
Le va-et-vient de la mémoire ouvre et déchire ce qu’il fût
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Nul ne guérit de son enfance, de son enfance
Belle cruelle et tendre enfance, aujourd’hui c’est à tes genoux
Que j’en retrouve l’innocence au fil du temps qui se dénoue
Ouvre tes bras, ouvre ton âme, que j’en savoure en toi le goût
Mon amour frais, mon amour femme
Le bonheur d’être et le temps doux
Pour me guérir de mon enfance, de mon enfance
Pour me guérir de mon enfance, de mon enfance.
(Jean Ferrat)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
La petite fille ouvrit une porte et se perdit
dans la Tour du Vent
et chemina dans le froid et eut soif
et pleura de peur.
Tour du Vent où chaque cri s’amplifie
interminablement sans rencontrer d’écho.
La petite fille se trouvait dans cette Tour,
dans cette Tour vieille comme mon corps, abandonnée,
seule, en ruine comme mon corps.
Cherche-la dans la Tour, suis-la,
suis les empreintes de son pied menu,
l’odeur de jasmin de ses cheveux
et ses mains qui coulent comme deux ruisseaux
et ses yeux égarés.
Tout ici est bien gardé,
bien caché et prisonnier.
Appelle-la, d’un cri fais s’écrouler le mur,
rends-lui la vie avec ton sang si elle est morte.
Ensuite d’une langue abjecte et triste de chien affamé
j’ai léché son ombre jusqu’à l’effacer
et de mon deuil j’ai insulté le jour
et j’ai traîné mes sanglots sur le sol.
Regarde-moi dans mon coin, les cheveux défaits,
comme un jouet cendreux qui roucoule :
je donne le sein à un petit fantôme
tandis que l’araignée tisse sa toile d’épaisse fumée.
Regarde-moi : j’ai ouvert une porte et je me suis perdue
dans la Tour du Vent.
(Rosario Castellanos)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud
Je rêve d’un beau soir au bord d’un étang vert
Où la verdeur des joncs s’irise de sarcelles.
L’azur y baignera ses arrière-étincelles
Comme des souvenirs dans l’onde découverts.
Les flots auront des fleurs d’écumes et d’éclairs.
Mon coeur, qu’auront repris les ultimes parcelles
D’une offrande oubliée au creux de la nacelle,
Sentira le frôler le Songe enfui dans l’air.
Sur les verts espaliers où pend le crépuscule,
Mes doigts fins s’en iront, au bout des nénuphars,
Cueillir le vert phosphorescent des libellules.
Mais j’y verrai bientôt, sous le cri des canards,
La lune éparpiller, en harmonie inerte,
Ses sanglots bleus d’argent au cil des moires vertes.
Lasse du jardin où je me souviens d’Elle,
J’écoute mon cœur oppressé de parfum.
Pourquoi m’obséder de ton vol importun,
Divine hirondelle ?
Tu rôdes, ainsi qu’un désir obstiné,
Réveillant en moi l’éternelle amoureuse,
Douloureuse amante, épouse douloureuse,
Ô pâle Procné !
Tu fuis sans espoir vers la rive qui t’aime,
Vers la mer aux pieds d’argent, vers le soleil.
Je hais le Printemps qui vient, toujours pareil
Et jamais le même !
Ah ! me rendra-t-il les langueurs de jadis,
L’ardente douleur des trahisons apprises,
L’attente et l’espoir des caresses promises,
Les lèvres d’Atthis ?
J’évoque le pli de ses paupières closes,
La fleur de ses yeux, le sanglot de sa voix,
Et je pleure Atthis que j’aimais autrefois,
Sous l’ombre des roses.
Accueille, immortelle Aphrodita, Déesse,
Tisseuse de ruse à l’âme d’arc-en-ciel,
Le frémissement, l’orage et la détresse
De mon long appel.
J’ai longtemps rêvé : ne brise pas mon âme
Parmi la stupeur et l’effroi de l’éveil,
Blanche Bienheureuse aux paupières de flamme,
Aux yeux de soleil.
Jadis, entendant ma triste voix lointaine,
Tu vins l’écouter dans la paix des couchants
Où songe la mer, car ta faveur hautaine
Couronne les chants.
Je vis le reflet de tes cheveux splendides
Sur l’or du nuage et la pourpre des eaux,
Ton char attelé de colombes rapides
Et de passereaux.
Et le battement lumineux de leurs ailes
Jetait des clartés sur le sombre univers
Qui resplendissait de lueurs d’asphodèles
Et de roux éclairs.
Déchaînant les pleurs et l’angoisse des rires,
Tu quittas l’aurore immuable des cieux.
Là-bas surgissait la tempête des lyres
Aux sanglots joyeux.
Et Toi, souriant de ton divin visage,
Tu me demandas : « D’où vient l’anxiété
A ton grave front, et quel désir ravage
Ton corps tourmenté ?
« Qui te fait souffrir de l’âpre convoitise ?
Et quelle Peithô, plus blonde que le jour
Aux cheveux d’argent, te trahit et méprise,
Psappha, ton amour ?
« Tu ne sauras plus les langueurs de l’attente.
Celle qui te fuit te suivra pas à pas.
Elle t’ouvrira, comme la Nuit ardente,
L’ombre de ses bras.
« Et, tremblante ainsi qu’une esclave confuse,
Offrant des parfums, des présents et des pleurs,
Elle ira vers toi, la vierge qui refuse
Tes fruits et tes fleurs.
« Par un soir brûlant de rubis et d’opales
Elle te dira des mots las et brisés,
Et tu connaîtras ses lèvres nuptiales,
Pâles de baisers. »
(Sappho)
Recueil: 52 poèmes d’Occident pour apprendre à s’émerveiller
Editions: Pocket