Tu es de ceux qui montent sur les bateaux
et déploient d’immenses voiles
La marine en bois — tu te soûles de mots —
et quand à l’horizon la pointe du mât s’efface
tu es encore sur le quai à la contempler
Trouble trouble
l’aventure assise
et les camelots de ton effort endormis
et toute une grisaille dans ton cerveau
qui s’effrite
Et des voiles claires que tu aimes
et qui ne te recommencent pas
Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois.
Le gros soldat, la plus grosse bonne
Sont sur vos dos comme dans leur chambre,
Car en ce jour au bois de la Cambre
Les maîtres sont tous deux en personne.
Tournez, tournez, chevaux de leur coeur,
Tandis qu’autour de tous vos tournois
Clignote l’oeil du filou sournois,
Tournez au son du piston vainqueur.
C’est ravissant comme ça vous soûle
D’aller ainsi dans ce cirque bête :
Bien dans le ventre et mal dans la tête,
Du mal en masse et du bien en foule.
Tournez, tournez sans qu’il soit besoin
D’user jamais de nuls éperons
Pour commander à vos galops ronds,
Tournez, tournez, sans espoir de foin
Et dépêchez, chevaux de leur âme :
Déjà voici que la nuit qui tombe
Va réunir pigeon et colombe
Loin de la foire et loin de madame.
Tournez, tournez ! le ciel en velours
D’astres en or se vête lentement.
Voici partir l’amante et l’amant.
Tournez au son joyeux des tambours !
Qu’attends-tu pour chanter des psaumes d’abeilles,
Qu’attends-tu pour étoiler tes yeux d’accents nouveaux
La récolte est sevrée de rires si tes mains
ne s’y prêtent point,
La rizière pleure sans ton coeur d’argile
qui bat au ralenti,
gémit, se ronge, jusqu’au sang
parce que tes pas ont déserté ses allées
tes eaux ne jouent plus entre ses vallonnements
Qu’attends-tu pour reprendre l’alléluia
des maïs d’or
Regarde le soleil écrire l’espoir
du joyeux labeur
mouillé de sueur, nourri du lait
de la terre
Chante les cloches
danse ta ronde
jusqu’à ce que ton coeur tourne,
ta tête tourne
et que tu tombes saoulé de cris
de plaisir et d’amour.
Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit
Nous sépare qu’en vain tu fatigues ta vue:
Tu te tais car l’espace, où se dissout la rue,
Nous-même nous dissout et nous saoule de bruit.
C’est l’heure où, panaché de fumée et de suie,
Le toit comme une plage offre au fantôme nu
Son ardoise où mirer le visage inconnu
De son double vivant dans un miroir de pluie.
Fantôme, laisse-nous rire de ta sottise.
Tu habites les bois, les châteaux, les églises
Mais tu es le valet de tout homme vivant.
Aussi n’as-tu jamais fait de mal à ces êtres
Tant, s’ils ouvraient un soir la porte et les fenêtres,
Te dissoudrait la nuit dans le bruit et le vent.
Derrière ce coteau la vallée est dans l’ombre,
L’odeur du bois qui flambe et de l’herbe parvient
Jusqu’au désert présent, lueurs et rocs sans nombre,
Avec des cris d’enfant et des abois de chien.
Les cris sont déchirants de l’enfant qu’on égorge.
Le chien appelle en vain. Un sort est sur ces lieux.
Rien n’est réel ici que cette odeur de forge
Qui nous berce et nous saoule et nous rougit les yeux.
L’aube peut revenir et le soleil nous prendre.
En vain: les aboiements et les cris perceront
L’épaisseur de la nuit, l’épaisseur de la cendre
Qui remplissent nos coeurs, qui brûlent sous nos fronts.
Les rochers incassables
Que sont mes nuits sans fin
Les marques sur ma peau morne d’inquiétude
Les nez noirs des bouchers emplis de sang frais
Le cri velouté qu’est mon cauchemar quotidien
Qui me saoule et sans appui
Sur l’abîme vertigineux des crachats.
Un jour comme ça
Quand il y aura la grâce
On montera les dents du bonheur
La rivière saoulera d’histoires les poissons
Le canal gardera sa vieille péniche
Femme des combats
Te dire ce qu’ils se raconteront
Je ne sais pas
Mais la vie sera là, toujours
A prendre, à serrer, à mordre.
Il y a dans le caillou, les ronces
Un coeur, un chemin, vers la mer
Qu’il faut trouver.