Oh; je monte et descends et remonte sans cesse,
De la création fouillant le souterrain,
Le bas est de l’acier, le haut est de l’airain,
A jamais, à jamais, à jamais; Je frissonne,
Et je cherche et je crie et j’appelle. Personne;
Et furieux, tremblant, désespéré, banni,
Frappant des pieds, des mains et du front l’infini,
Ainsi qu’un moucheron heurte une vitre sombre,
A l’immensité morne arrachant des pans d’ombre,
Seul, sans trouver d’issue et sans voir de clarté,
Je tâte dans la nuit ce mur, l’éternité.
Je fus, je fus et j’ai été
Depuis longtemps ici planté,
Plus d’une fois j’ai dû ramper
Et j’ai plané plus d’une fois.
Parmi les poissons j’ai nagé
Dans les nuits des gouffres obscurs,
Parmi les astres voyagé
Sur l’hippodrome de l’azur.
Dans les télescopes poudreux
Je m’agitais, je me mirais,
Pleuvant en rayons lumineux
Sur la tête d’un orphelin.
Mes larmes en rosée tombaient
Au coeur d’une rose. Je fus
Le songe du séminariste
Sur le banc d’un temple endormi.
Je fus une pure prière
Qu’emplissait l’effroi de Satan.
Je fus cette larme qui perle
Aux cils d’un tel, en même temps
Le réconfort qui chez un autre
Calme l’étreinte du tourment.
J’ai vécu, mué en tortue
De longues, de noires années,
Mâchant et pétrissant la terre,
Je n’ai rien vu, je me suis tu.
Je restais à l’état larvaire
Et j’étais bien le plus bizarre
Parmi tant de bizarreries,
Un chat dans l’ombre d’une cave,
De tous le plus abandonné.
J’ai franchi, plus vif que l’éclair,
Générations et pays
Jusque dans l’esprit d’un penseur.
Ici, durement j’ai souffert,
Et là, profondément aimé,
Tous les pays dans mes tréfonds
Leurs tempêtes, leur mois de mai,
Le Mississippi là-bas gronde,
Rêvent le Danube et le Nil,
Ma petite sœur l’infusoire,
Le Hottentot mon frère noir,
Ils me conduisent tous ensemble
Me pressent vers la délivrance
De ma réincarnation : Dieu.
(Aron Zeitlin)
Recueil: Anthologie de la poésie yiddish Le miroir d’un peuple
Traduction:
Editions: Gallimard
Cependant que la cloche éveille sa voix claire
A l’air pur et profond du matin
Et passe sur l’enfant qui jette pour lui plaire
Un angélus parmi la lavande et le thym,
Le sonneur effleuré par l’oiseau qu’il éclaire,
Chevauchant tristement en geignant du latin
Sur la pierre qui tend la corde séculaire,
N’entend descendre à lui qu’un tintement lointain.
Je suis cet homme. Hélas! de la nuit désireuse,
J’ai beau tirer le câble à sonner l’Idéal,
De froids péchés s’ébat un plumage féal,
Et la voix ne me vient que par bribes et creuse !
Mais, un jour, fatigué d’avoir en vain tiré,
O Satan, j’ôterai la pierre et me pendrai.
J’ai l’impression de descendre au fond d’un gouffre obscur,
Plus bas, plus bas, et toujours plus profond, dans le remous noir de l’ombre…
Et je marche dans des pas inconnus…Qui es-tu ? Qui est devant moi ?
Qui es-tu et d’où viens-tu, mon maître, mon prophète ?
Qui es-tu, toi qui m’éclaires du flambeau du danger sanguinaire ?
Es-tu Virgile ? qui mena Dante sur le lit des Enfers ?
Es-tu l’ombre lugubre de Manfred ? qui avançait en tenant une arme ?
Ou bien, étranger aux bienheureux, es-tu le sombre Baudelaire ?
Qui que tu sois — après toi, dans ces cercles de l’enfer,
Je descends, frère de la malédiction éternelle, réclamant la ténèbre,
Dans la Nuit, le Désarroi, dans le cœur même mourant du chaos…
— Qui que tu sois, devant moi — montre-moi ton visage…
— Es-tu Satan ?…
Mon Dieu ! que je suis las d’être sans espérance,
de rouler le tonneau lourd de ma déchéance
et sans moyens d’en finir avec la terre.
Je transporte Satan comme un intermédiaire,
j’écorne mon blason avec mes haut-le-corps,
je tourne chaque nuit mes visions vers les morts,
je frappe avec mon crâne aux rochers de l’enfer
et les draps de mon lit sont en paille de fer.
Souvent dans mon sommeil la même île électrique
marque en couteau de sang mes noms patronymiques
sur ma peau. Membres, paquet d’anguilles
qu’avec un gai rictus les diables échenillent.
(Max Jacob)
Recueil: Derniers poèmes en vers et en prose
Traduction:
Editions: Gallimard
Enfant, vois-tu, il n’y a plus d’Enfer.
Les grilles sont fermées,
les feux éteints,
la rouille a dévoré fourches, pinces et lames,
les démons ont fondu comme graisse au soleil,
le Grand Satan n’est plus qu’un roc
enlisé dans la boue.
De même en vain tu chercheras le Paradis,
noyé, perdu dans l’océan de brume.
Guichet fermé, faillite,
propriétaire en fuite,
nul repreneur en vue.
Il ne te reste ici
que le bel aujourd’hui,
l’arbre chéri, l’oiseau rêveur
et, sur ton front, le baiser d’une mère.
(Jean Joubert)
Recueil: Longtemps j’ai courtisé la nuit
Traduction:
Editions: Bruno Doucey
Le bon roi Dagobert
Avait sa culotte à l’envers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Est mal culottée
C’est vrai lui dit le roi
je vais la remettre à l’endroit
Le boi roi Dagobert
Chassait dans la plaine d’Anvers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Est bien essouflée
C’est vrai lui dit le roi
Un lapin courait après moi
Le bon roi Dagobert
Voulait s’embarquer sur la mer
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi Votre majesté
Se fera noyer
C’est vrai, lui dit le roi
On pourra crier : le roi boit !
Le bon roi Dagobert
Mangeait en glouton
du dessert Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi vous êtes gourmand
Ne mangez pas tant
C’est vrai lui dit le roi
Je ne le suis pas tant que toi
Avait sa culotte à l’envers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Est mal culottée
C’est vrai lui dit le roi
je vais la remettre à l’endroit
Le boi roi Dagobert
Chassait dans la plaine d’Anvers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Est bien essouflée
C’est vrai lui dit le roi
Un lapin courait après moi
Le bon roi Dagobert
Voulait s’embarquer sur la mer
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi Votre majesté
Se fera noyer
C’est vrai, lui dit le roi
On pourra crier : le roi boit !
Le bon roi Dagobert
Mangeait en glouton
du dessert Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi vous êtes gourmand
Ne mangez pas tant
C’est vrai lui dit le roi
Je ne le suis pas tant que toi
Le bon roi Dagobert
Avait un grand sabre de fer
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, votre majesté
Pourrait se blesser
C’est vrai lui dit le roi
Qu’on me donne un sabre de bois
Le bon roi Dagobert
Faisait des vers tout de travers
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, laissez aux oisons
Faire des chansons
C’est vrai lui dit le roi
C’est toi qui les feras pour moi
Le bon roi Dagobert
Craignait fort d’aller en enfer
Le bon saint Eloi lui dit
O mon roi, je crois bien, ma foi
Qu’ vous irez tout droit
C’est vrai lui dit le roi
Ne peux-tu pas prier pour moi ?
Quand Dagobert mourut
Le diable aussitôt accourut
Le grand saint Eloi lui dit
O mon roi, satan va passer
Faut vous confesser
Hélas, lui dit le roi
Ne pourrais-tu pas mourir pour moi ?
Les peupliers d’argent
Qui s’inclinent sur l’eau
Savent tout, mais ne parleront jamais.
Le lys de la fontaine
Tait sa tristesse.
Tout est plus digne que l’humanité!
Face au ciel étoilé, la science du silence
Appartient à la fleur tout autant qu’à l’insecte.
La science du chant pour le chant
Habite les bois murmurants
Et les flots de la mer.
Le silence profond de la terre qui vit,
C’est la rose qui nous l’enseigne
Au rosier épanouie.
Il faut répandre le parfum
Que nos âmes enclosent!
Il faut être musique,
Tout lumière et bonté.
Il faut s’ouvrir entier
A l’obscur de la nuit
Pour nous emplir d’immortelle rosée!
Il faut coucher le corps
Dans notre âme inquiète!
Aveugler nos regards du jour de l’au-delà.
Nous devons nous pencher
Sur l’ombre de nos coeurs
Et jeter à Satan l’astre qu’il nous tendit.
Il faut imiter l’arbre
Constamment en prière
Et l’eau de la rivière
Fixe en l’éternité!
Il faut blesser son âme aux griffes des douleurs
Pour qu’y entrent les flammes
De l’horizon astral!
Alors dans l’ombre de l’amour défait
Jaillirait une aurore
Tranquille et maternelle.
Des cités dans le vent disparaîtraient
Et sur un nuage Dieu même
Viendrait nous visiter.