Il était un musicien juif,
un Alexandre Herzevitch
qui faisait tournoyer Schubert
comme un diamant pur.
Du matin jusqu’au soir — et couac !
Ressassant la ritournelle,
la même sonate éternelle
il bassinait les oreilles…
Quoi, Alexandre Herzevitch,
dehors… il fait si noir ?
Laisse, Alexandre Serce-vitch :
Là-bas ? qu’importe va !
Que l’Italienne mignonette
tant que crisse la neige
sur ses jolis traîneaux étroits
vole après Schubert là-bas…
aux accents d’une musique de ciel
la mort ne nous fait pas peur
ni même pendre à la patère,
triste pelisse de corneille…
Schubert sur l’eau, Mozart avec l’oiseau s’égosillant,
Et Goethe sifflant sur le sinueux sentier,
Hamlet, ses pas craintifs tenant lieu de pensée,
Avaient pris le pouls de la foule, à la foule s’étaient confiés —
Qui sait — avant les lèvres le murmure a pris naissance,
Les feuilles tournoyaient dans l’absente forêt,
Et ceux à qui nous dédions l’expérience
Avant l’expérience avaient acquis leurs traits.
À la nuit tombante, sur une place en dehors de New
York, un point de vue d’où l’on peut, d’un seul
coup d’oeil, embrasser les foyers de huit millions d’hommes.
L’immense ville, là-bas, est une longue congère
scintillante, une nébuleuse spirale vue de côté.
Dans cette galaxie, on fait glisser des tasses de café sur
les comptoirs, les vitrines demandent l’aumône aux
passants, un grouillement de chaussures qui ne laissent aucune trace.
Les échelles d’incendie grimpent aux façades, les
portes des ascenseurs se rejoignent, un perpétuel
flot de paroles derrière les portes verrouillées.
Des corps affaissés somnolent dans les wagons du
métro, ces catacombes qui filent droit devant.
Je sais aussi – sans aucune statistique – qu’à cet
instant précis, dans une de ces chambres là-bas, on
joue du Schubert et que ces notes pour quelqu’un
sont plus réelles que tout le reste.