L’Américain à Tokyo avec sa pendule cassée
Pour Shiina Takako
Les gens me regardent —
Ils sont des millions.
pourquoi cet étrange Américain
arpente-t-il les rues du début de soirée
tenant une pendule cassée
à la main ?
Est-il réel ou n’est-il qu’une illusion ?
Comment la pendule s’est cassée, peu importe.
Les pendules se cassent.
Tout se casse.
Les gens nous regardent moi et la pendule cassée
que je tiens comme un rêve
dans mes mains.
*
L’américain à Tokyo avec sa pendule cassée / suite
Pour Shiina Takako
C’est incroyable le nombre de
personnes que l’on rencontre quand on
transporte une pendule cassée à Tokyo.
Aujourd’hui je transportais la pendule
à nouveau, essayant de la remplacer
à l’identique.
La pendule n’était plus du tout réparable.
Toutes sortes de gens s’intéressaient
à la pendule. De parfaits inconnus sont venus me voir
pour se renseigner sur la pendule en japonais
bien sûr
et j’acquiesçais : oui, j’ai une pendule cassée.
Je l’ai emportée au restaurant et les gens
se sont rassemblés autour. Je recommande de
transporter une pendule cassée toutes les fois où vous
voulez rencontrer de nouveaux amis. Je pense que ça
marcherait n’importe où dans le monde.
Si vous voulez aller en Islande
et rencontrer les gens, emportez
une pendule cassée.
Ils se rassembleront comme des mouches.
***
The American in Tokyo with a Broken Clock
For Shiina Takako
People stare at me —
There are millions of them.
Why is this strange American
walking the streets of early night
carrying a broken clock
in his hands?
Is he for real or is he just an illusion?
How the clock got broken is not important.
Clocks break.
Everything breaks.
People stare at me and the broken clock
that I carry like a dream
in my hands.
*
The American Carrying a Broken Clock in Tokyo Again
For Shiina Takako
It is amazing how many people you
meet when you are carrying a
broken clock around in Tokyo.
Today I was carrying the broken clock
around again, trying to get an exact
replacement for it.
The clock was far beyond repair.
All sorts of people were interested
in the clock. Total strangers came up to me
and inquired about the clock in Japanese
of course
and I nodded my head: Yes, I have a broken clock.
I took it to a restaurant and people gathered
around. I recommend carrying a broken clock
with you at all times if you want to meet new
friends. I think it would work anyplace in the world.
If you want to got to Iceland
and meet the people, take
a broken clock with you.
They will gather around like flies.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
Vous partez, chevalier, pourquoi ?
« Mais, pour la guerre de Cent Ans ! »
Ça vous fera bien cent vingt mois
Sans retourner en Vendômois
Où votre épouse vous attend
Elle vous attend sans émoi
Écartant tous ses prétendants
Filant, jouant au jeu de l’oie
Vous partez, chevalier, pourquoi ?
Les années passent, il fait froid
Votre épouse a les cheveux blancs
Ses os brinquebalent, sa voix
Se casse, toujours elle attend
Mais pourquoi, chevalier, pourquoi ?
Non pas pour toujours ici sur la terre,
Mais seulement pour un bref instant.
Même les jades se brisent,
Même les ors se fendent,
Même les plumes du quetzal se cassent.
Non pas pour toujours ici sur la terre,
Mais seulement pour un bref instant.
Je me souviens des billes en terre qui se cassaient en deux dès que le choc était un peu fort,
et des agates, et des gros calots de verre dans lesquels il y avait parfois des bulles.
(Georges Perec)
Recueil: Je me souviens
Traduction:
Editions: Hachette
Quand nous nous sommes aperçus,
l’air entre nous a soudain rejeté
l’image des arbres indifférents et nus
qu’il laissait le traverser.
Ô, nous nous sommes élancés, en nous appelant par nos noms,
l’un vers l’autre, et si vite,
que le temps se tassa entre nos poitrines,
et l’heure, blessée, en minutes se cassa ensuite.
J’aurais voulu te garder dans mes bras
tout comme je tiens le corps de l’enfance, dans le passé,
avec ses morts non répétées.
Et, avec mes flancs, j’aurais voulu t’embrasser.
1
Avec une auto
On va tout de go
S’casser la figur’ contre un poteau
Si pour éviter
Un’ vieille, un curé
On fait un virage un peu forcé
Ou on s’ fait descendr’ par un taxi
Ah! quelle affair’!
Mais c’est bien plus rupin qu’ les acci…
Dents d’ chemin d’ fer!
C’est charmant,
Épatant
Une auto!
Une auto!
C’est le confort,
Le dernier mot du sport!
C’est pratique
Ultra chic
Viv’ l’auto!
Viv’ l’auto!
Viv’ la poussièr’
Et viv’ les courants d’air!
La quatrièm’ vitesse
Est vraiment un régal
Qui s’ termin’, je l’ confesse
Sur un lit d’hôpital
C’est rapid’
C’est splendid’
Une auto!
Une auto!
L’ dernier bateau
C’est un’ quarant’ chevaux!
(Robert Desnos)
Recueil: Les Voix intérieures
Traduction:
Editions: L’Arganier