Le chat noir de la palissade
Promène son museau partout,
C’est un pirate en ambassade,
Le chat noir qui s’en vient chez nous.
Dans le jardin ou sur le toit,
En mille et une escapades
De tous côtés, il est le roi.
Il est le tigre du Bengale
Et le prince des maraudeurs,
Sa moquerie est sans égale:
Ce chat-là est un chapardeur.
Il faut le voir, cet escogriffe,
Ce gracile animal ingrat
Qui lacère à grands coups de griffe
Les détritus de papier gras.
Il mène sa vie à sa guise,
Ne faisant que ce qui lui plaît,
Il se complaît dans des bêtises
Qui ne valent pas un couplet.
Et cependant si ce vaurien
Ne commet que des incartades
A la maison, on l’aime bien,
Le chat noir de la palissade.
(Henri Monnier)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus
Dans une bête coupure
Que je m’étais faite au pouce
Mon cœur battait lourdement.
La pluie violente noyait
L’herbe trop longue et malade
Que mes pas enfouissaient.
J’allais, soldat grelottant,
Plutôt gibier que chasseur,
À travers une oseraie
Où je me tordais les pieds.
Mais, laissant mon corps à la peine.
Oubliant mon triste harnais,
Je m’étais enfoncé bien loin
Dans le plus riche de mes rêves
Et je me prenais à sourire.
Je n’étais pas si malheureux
Que ce soir où, devant ma table,
Je me complais à retrouver
L’eau qui débordait mes souliers,
L’osier qui cinglait mon visage
Et ces battements dans mon pouce.
Il attendait d’une attente harassante, que les heures n’achevaient point.
Elle habitait son jour, elle habitait sa nuit. Il était clos dans l’attente.
Elle veillait avec lui. Il atteignit ainsi une extrême intimité avec l’attente.
Il se complut avec elle. Il épousa l’attente.
II attendit toujours, mais il n’attendait point.
Il avait épousé l’attente,
Serrer de près son souffle
et se complaire en son corps,
certes, mais comment demeurer
prisonnier de soi-même
toute une vie avide ?
Fermer les yeux, toucher autrui.
(Jacques Izoard)
Recueil: Dormir sept ans
Traduction:
Editions: De la Différence
Mer! ô miracle trépidant!
De la mélancolie
Où se complaît ton chant
Enveloppe mon âme! Elle aspire à la vie.
Bannis de mon cœur endurci, de son tréfonds,
Tout cet univers d’ombre et d’obtuses chansons.
Trop lâche est l’humaine nature.
Rare celui qui se mesure
A ton secret pouvoir!
Et si l’obscurité m’entoure et me fait choir,
Elle m’imposera ma sépulture,
Me fera dépérir,
Mourir à petit feu, patiente et tenace.
Cette fin qui menace
Tarde à venir.
Et toujours un peu de théâtre malgré soi,
Pour leur complaire et se complaire.
Car il est passé dans nos veines
Le vieux poison de la beauté !
Plus facile est de démêler
Du bois le faon, du vent la rose
Que de l’art la vérité.
O, Poésie, intolérable dévoiement !
Que faire des joyaux dont tu emplis nos cales ?
Que faire de la terreur provoquée par nos chevaux ?
Pour avoir confondu la coquille et l’oreille,
La mer et la rumeur marine de la vie,
Beurrés d’or, emplumés de mots et de merveilles,
Jamais nous n’atteindrons notre pré-Colombie.