Là-bas, le flanc de la colline
Un point blanc vers l’horizon bleu
Bien simple et pittoresque lieu
Qu’un joli cri d’oiseau décline
A ce silence environnant
Un petit âne tout paisible
Broute son herbe en ruminant
Pour mon coeur joie intraduisible.
Les plus simples choses toujours
Ont mieux empli de paix mon âme
Et fait savourer tout l’amour
Se consumant comme une flamme.
Sans arrimage et arrimé,
sans lumière et dans l’obscur vivant,
tout entier me vais consumant.
1.
Mon âme s’est déprise
de toute chose créée,
et au-dessus d’elle élevée,
et dans une vie savoureuse,
à son seul Dieu arrimée.
C’est pourquoi l’on dira désormais
ceci que j’estime le plus,
que mon âme se voit déjà
sans arrimage et arrimée.
2.
Bien que j’endure les ténèbres
en cette vie mortelle,
mon mal n’est pas si grand,
car si je manque de lumière,
je possède la vie céleste ;
car l’amour d’une telle vie,
plus il devient aveugle,
plus il domine l’âme,
sans lumière et dans l’obscur vivant.
3.
L’amour fait un tel ouvrage,
depuis que je l’ai connu,
que si bien ou mal sont en moi,
il donne à tout même saveur,
et transforme l’âme en soi-même ;
et en sa flamme savoureuse,
que dans moi-même je ressens,
en hâte, ainsi, sans rien laisser,
tout entier me vais consumant.
***
Sin arrimo y con arrimo
Glosa a lo divino
Sin arrimo y con arrimo,
sin luzy a oscuras viviendo
todo me voy consumiendo.
1.
Mi alma está desasida
de toda cosa criada
y sobre sí levantada
y en una sabrosa vida
sólo en su Dios arrimada.
Por eso ya se dirá
la cosa que más estimo
que mi alma se ve ya
sin arrimo y con arrimo.
2.
Y aunque tinieblas padezco
en esta vida mortal
no es tan crecido mi mal
porque si de luz carezco
tengo vida celestial
porque el amor da tal vida
cuando más ciego va siendo
que tiene al ama rendida
sin luz y a oscuras viviendo.
3.
Hace tal obra el amor
después que le conocí
que si hay bien o mal en mí
todo lo hace de un sabor
y al alma transforma en sí
y así en su llama sabrosa
la cual en mí estoy sintiendo
apriesa sin quedar cosa,
todo me voy consumiendo.
(Saint Jean de la Croix)
Recueil: Jean de la Croix L’oeuvre poétique
Traduction: de l’espagnol par Bernard Sesé
Editions: Arfuyen
Nous ne faisons que partager un lent désastre.
Je me vois mourir en toi, en d’autres, en tout
et pourtant je bâille et je suis distraite
comme à un spectacle ennuyeux.
Les jours se défissent,
les nuits se consument avant qu’on s’en rende compte :
ainsi finissons-nous.
Rien. Il n’y a rien
entre lever et fermer les paupières.
Mais si quelqu’un vient à naître (son annonce,
la possibilité de son imminence,
son poids de syllabes dans l’air)
il bouleverse ce qui existe,
il est plus fort que le réel
et déloge les vivants dans leur corps.
(Rosario Castellanos)
Recueil: Poésie du Mexique
Traduction: Jean-Clarence Lambert
Editions: Actes Sud
Il y a des comètes
qui traversent en un éclair
nos bouches, elles portent
la grâce
d’océans et de galaxies.
Dieu sait
que nous essayons de faire de
notre mieux.
Il y a des comètes
liées à des produits chimiques
qui télescopent nos langues
pour se consumer dans
l’air.
Je sais
que nous essayons.
Il y a des comètes
qui se rient de nous
de derrière nos dents,
elles portent des habits
de poissons et d’oiseaux.
Nous essayons.
***
Comets
There are comets
that flash through
our mouths wearing
the grace
of oceans and galaxies.
God knows,
we try to do the best
we can.
There are comets
connected to chemicals
that telescope
down our tongues
to burn out against
the air.
I know
we do.
There are comets
that laugh at us
from behind our teeth
wearing the clothes
of fish and birds.
We try.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
Paris sans toit, Paris la nuit,
Vole les étoiles une à une,
Ne laissant aux cieux que la lune.
Et jusqu’au matin Paris luit,
Paris joue, s’exhale en délices :
Billards enfumés, pianos-bars,
Paris secret des boulevards,
Entrevu par ton interstice…
Paris sans toit, fin de la nuit,
Le creux de jolies cernes brunes
À un baiser a servi d’urne.
Le temps a un goût de litchi.
Le silence soudain se hisse
Face au jour tel un étendard
Murmurant qu’il n’est pas trop tard
Pour que dans tes bras je me glisse.
Paris sans toi, sans jour ni nuit,
N’est plus que relents d’amertume :
Fleur inachevée se consume,
S’étiole la saveur d’un fruit
Trop tôt cueilli. Un long supplice…
Un coeur cloué avec un dard,
Mais cette fois il est trop tard.
N’étais-je à tes yeux qu’un caprice ?
Vous m’oublierez: la neige sera de retour,
Le monde bleu dans la lumière tremblera.
Vous aimerez des villes au soleil marin.
Trace de pas, fumée des mots sur la terre,
L’amour jetait au milieu de la vie
Une étoile, une fête, une vaine étincelle.
Vous m’oublierez: les yeux resplendiront,
Les lèvres, les dents heureuses, les corps pareils
A l’herbe, au feu, à la rivière de juin.
Quelles étaient ces paroles dans l’ombre,
Les jours se constellaient de nos regards,
Dans la joie même la joie se consumait.
Vous m’oublierez: rien ne demeurera
De ce qui fut ce coeur tissé de songes.
Le sang, la peine, l’image et le désir
L’auront quitté sous la cendre et la nuit.
De nouveau que le ciel sera jeune
Et printanier l’hiver! Vous m’oublierez.