Lorsque j’entends le soir
le concerto pour clarinette de Mozart,
le temps de la souffrance et de l’ennui s’achève,
soudain je nage dans la lumière dorée de mes quinze ans,
l’ombre de la vieillesse un instant se déchire,
nos deux corps flexibles se joignent
dans le torrent de nos cheveux emportés par le vent:
c’est le ciel de la tendresse que leur plaisir éclaire,
l’angoisse de vivre est devenue légère comme l’air
(Claude Vigée)
Recueil: L’homme naît grâce au cri
Traduction:
Editions: POINTS
L’ombre essaie de ressembler
à celui qu’elle accompagne,
mais c’est toujours à refaire,
toujours à recommencer.
Métier d’ombre, métier d’ombre,
c’est un vrai métier de chien,
on s’échine, se déchire,
se fatigue, se détruit.
Métier d’ombre, route d’ombre,
la vie est dure à gagner.
Si contente était mon ombre
de marcher au bord de mer.
Mais quand je plonge dans l’eau
elle est perdue aussitôt,
elle se débat et pleure
comme un enfant égaré.
Reviens, reviens sur le sable,
me crie mon ombre fidèle,
reviens vite à mes côtés,
ne me laisse jamais seule.
Elle est plus faible que moi,
elle se perd en chemin,
elle s’accroche aux buissons
perdant ses flocons de laine,
et s’écorche les genoux,
et se noie dans les ruisseaux
grelottant le soir venu,
redoutant les nuages gris.
Métier d’ombre, chemin d’ombre,
mon ombre est bien fatiguée.
(Claude Roy)
Recueil: Claude Roy un poète
Traduction:
Editions: Gallimard Jeunesse
Autrefois
j’écoutais le bruit de ma voix
Les volets clos espionnaient la maison
Une mouche se débattait dans les rideaux
Le soleil rampait sur le sol
j’étais loin de moi
maintenant
j’ai regardé la vie de ton côté
et j’ai tout détruit pour t’aimer
je t’aime
j’aime pour la première fois
je t’aime
ta jupe te serre la taille, abat-jour d’une lampe
les passants
veulent savoir qui tu es
qui es-tu ?
ivre de danse tu lançais tes bras aussi haut que tes
jambes
poisson de feu
silencieuse
tes yeux se ferment doucement sur les objets
avant de leur donner un nom
mon corps est l’asile du tien
il s’élève inconnu jusqu’à toi
mais tu es aussi grande que mon amour
et ton sourire se déchire au niveau de mes lèvres
je te connais
pour t’avoir rêvée mille fois
sous les feuilles de la forêt
dans ce monde
où l’air et l’eau ne pèsent pas
je t’aime
parce que tu as eu vingt ans à minuit dans mes bras.
(Jean Breton)
Recueil: L’amour et l’amitié en poésie
Traduction:
Editions: Folio Junior