Mon service prend fin et je descends les marches du palais
Repos du soir — je gagne enfin mes appartements
L’éclair hurlant éclate dans la nuit pleine
Les flèches de lumière vive rayent les ténèbres
De noirs nuages harcèlent les tours vermillonnes
Et le vent frappe le linteau des fenêtres.
L’eau s’écoule bouillonnante par les gouttières du toit
Des flaques jaunes noient les degrés aveugles des terrasses
Les cieux dénués s’engrènent impassibles sans se déchirer
De larges voies d’eau rejoignent abondantes un canal englouti
À Liang et Ying, les cultures meurent sous les flots du ciel
Des paysans vagabonds passent devant les bras furieux du fleuve
Les eaux montent inlassables et changent nos vies en ruine marine.
(Lu Ji)
(261-303)
Recueil: Nuages immobiles Les plus beaux poèmes des seize dynasties chinoises
Traduction: Alexis Lavis
Editions: l’Archipel
Pour quelques-uns penchés
Sous le fardeau amer
Pour quelques-uns
Qui penseraient avoir le coeur
Brisé
L’instant s’étire
À perdre haleine
Un voile se déchire
Et montre à nu les plaies
Du ciel
Puis tout revient à l’ordre
Et c’est comme le tremblement
Des feuilles
Après une bourrasque
(Jean-Marie Barnaud)
Recueil: Sous l’imperturbable clarté Choix de poèmes 1983-2014
Traduction:
Editions: Gallimard
REVE DE MA FEMME MORTE LE 20 DU PREMIER MOIS 1015
Sur l’air de » La Ville au bord du fleuve »
-Su Shi
En dix ans le vivant ne sait rien de la morte.
Puis-je t’oublier bien que nul ne m’apporte
la nouvelle de ta tombe solitaire,
dont mille lieues m’ont séparé?
A qui épancherai-je mon coeur brisé?
Même si tu m’avais revu, m’aurais-tu reconnu,
le visage couvert de poussière
et les cheveux de givre poudrés ?
Hier soir j’ai rêvé d’être de retour
et de te voir faire à la fenêtre ta toilette.
Nous nous regardions sans rien dire, noyés de pleurs.
D’année en année, j’imagine en vain
Que ton coeur se déchire par la douleur,
au clair de lune, sur le tertre planté de pins.
(Anonyme)
***
Recueil: Choix de Poèmes et de Tableaux des Song
Traduction:
Editions: China Intercontinental Press
Lorsque j’entends le soir
le concerto pour clarinette de Mozart,
le temps de la souffrance et de l’ennui s’achève,
soudain je nage dans la lumière dorée de mes quinze ans,
l’ombre de la vieillesse un instant se déchire,
nos deux corps flexibles se joignent
dans le torrent de nos cheveux emportés par le vent:
c’est le ciel de la tendresse que leur plaisir éclaire,
l’angoisse de vivre est devenue légère comme l’air
(Claude Vigée)
Recueil: L’homme naît grâce au cri
Traduction:
Editions: POINTS
L’ombre essaie de ressembler
à celui qu’elle accompagne,
mais c’est toujours à refaire,
toujours à recommencer.
Métier d’ombre, métier d’ombre,
c’est un vrai métier de chien,
on s’échine, se déchire,
se fatigue, se détruit.
Métier d’ombre, route d’ombre,
la vie est dure à gagner.
Si contente était mon ombre
de marcher au bord de mer.
Mais quand je plonge dans l’eau
elle est perdue aussitôt,
elle se débat et pleure
comme un enfant égaré.
Reviens, reviens sur le sable,
me crie mon ombre fidèle,
reviens vite à mes côtés,
ne me laisse jamais seule.
Elle est plus faible que moi,
elle se perd en chemin,
elle s’accroche aux buissons
perdant ses flocons de laine,
et s’écorche les genoux,
et se noie dans les ruisseaux
grelottant le soir venu,
redoutant les nuages gris.
Métier d’ombre, chemin d’ombre,
mon ombre est bien fatiguée.
(Claude Roy)
Recueil: Claude Roy un poète
Traduction:
Editions: Gallimard Jeunesse