Solitude au vent, ô sans pays, mon Île,
Que les barques de loin entourent d’élans
Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,
Mon Île, mon lieu sans port, ni quai, ni ville,
Mon Île où s’élance en secret la montagne
La plus haute que Dieu heurte du talon
Et repousse… Ô Seule entre les aquilons
Qui n’a que la mer farouche pour compagne.
Temps où se plaint l’air en éternels préludes,
Mon Île où l’Amour me héla sur le bord
D’un chemin de cieux qui descendait à mort,
Espace où les vols se brisent, Solitude.
Solitude, Aire en émoi de Cœur immense
Qui sans cesse jette au large ses oiseaux,
Sans cesse au-dessus d’infranchissables eaux,
Sans cesse les perd, sans cesse recommence.
Désolation royale, terre folle
Que berce l’abîme entre ses bras massifs,
Mon Île, tu tiens un Silence captif
Qu’interroge en vain la houle des paroles.
(Marie Noël)
Recueil: Poètes d’aujourd’hui – Marie Noël
Editions: Pierre Seghers
Plus de couvercle à la marmite,
La vapeur s’envole gaiement.
Pour peu que l’on vous décapite,
La vie est pleine d’agrément.
Plus de rhume, de nez, de gouttes,
De rages de dents, de maux d’yeux,
Les migraines s’effacent toutes,
On vit au pays merveilleux.
Mais sans tête, plus de pensée…
Faut-il s’en plaindre ? Le bon vin
Dont votre gorge est arrosée
Reste un gargarisme divin.
Dès lors, que d’heures claires, nettes,
Sans lumières, sans bruits pervers !
On ne cherche plus ses lunettes,
On ne fait jamais plus de vers.
***
KOPFLOS
Man nehm den Deckel nur vom Topfe
Und sieh, wie froh der Dampf entweicht !
Wie lebt nach abgeschnittnem Kopfe
Das schwere Leben sich so leicht !
Kein Schnupfen mehr, kein Nasentropfen,
Kein Zahnweh und kein Augenbrand
Noch Stirnkatarrh noch Schläfenklopfen,
Es ist wie im Schlaraffenland.
Zwar gibt es ohne Kopf kein Denken,
Doch ist es darum nicht so schad,
Man kann mit Wein die Kehle tränken,
Es ist das beste Gurgelbad.
Und ach, wie lebt es sich so stille :
Kein Wort, kein Lärm, kein grelles Licht !
Und nie mehr sucht man seine Brille
Und nie mehr macht man ein Gedicht.
(Hermann Hesse)
Recueil: Poèmes choisis
Traduction: Jean Malaplate
Editions: José Corti
Qu’est-ce qui te fait errer dans la nuit printanière?
Tu as rendu folles toutes les fleurs,
Les violettes, comme elles sont effrayées !
Les roses rougissent de honte,
Les lys sont blêmes comme la mort,
Ils se plaignent, hésitent et s’arrêtent !
Ô, chère lune, de quelle race pieuse
Sont donc les fleurs ! Elles ont raison,
Ce que j’ai fait est mal !
Mais pouvais-je savoir qu’elles écoutaient
Quand, enivré d’un brûlant amour,
Je parlais avec les étoiles là-haut?
(Heinrich Heine)
Recueil: Nouveaux poèmes
Traduction: Anne-Sophie et Jean Guégan
Editions: Gallimard
Amour ! Tu m’as, il est vrai, mille fois vaincu
et mortellement blessé dans ma jeunesse ;
mais aujourd’hui, sous mes cheveux blanchis,
puis-je me laisser prendre encore à tes promesses frivoles ?
Hélas ! combien de fois as-tu tour-à-tour
rallumé ou étouffé mes désirs !
combien de fois m’as-tu vu, le sein baigné de larmes,
trembler et pâlir sous tes coups !
Amour! c’est à toi que je parle,
et c’est de toi que je me plains.
Désabusé de tes flatteurs mensonges,
je ne crains plus tes traits cruels;
tu les diriges en vain contre moi.
Que peut la scie ou le ver
contre le bois réduit en cendres?
Et n’y a-t-il pas de la honte
à poursuivre celui qui manque à-la-fois
et d’haleine et de force?
Les enfants de mon voisin
Ont hier reçu leurs étrennes
Ils sont quatre; c’est certain,
Et chacun n’a pas les siennes.
Et voici Jean qui se plaint !
Car chacun n’a pas les siennes.
— « Un tambour, rien qu’un tambour,
Pour deux garçons ! Comment faire? »
— « On peut en jouer, mon frère,
En jouer chacun son tour »,
Répond Jeannette à son frère.
– « Une poupée, ah ! fameux,
Pour deux filles ! Comment faire?.»
— « On peut y jouer, mon frère;
Y jouer fort bien à deux »,
Répond Jeannette à son frère.
Les enfants de mon voisin
Ont hier reçu leurs étrennes.
Ils sont quatre, c’est certain,
Et chacun n’a pas les siennes.
Mais personne ne se plaint,
Car chacun prête les siennes.
(Henriette-Suzanne Brès)
Recueil: Mon premier Livre de Récitation
Traduction:
Editions: Prieur et compagnie
L’arbre ne va pas à l’école
L’arbre ne va pas à la guerre
L’arbre se plaît là où il est
L’arbre ne fait pas de tourisme
L’arbre ne va pas au travail
L’arbre ne prend pas de vacances
Il accepte le temps qu’il fait
L’arbre prend le temps comme il vient
Et l’arbre ne se plaint de rien.
L’arbre monte à la lumière et creuse vers l’antipode.
Ni maître, ni disciple, ni patron, c’est l’arbre.
Arbre appelle oiseau, nid, hamac, écureuil.
L’automne le décoiffe, il se découvre même pour saluer
l’hiver.
On s’imagine qu’il a élu là sa racine de toute éternité.
On pense toujours qu’il ne passera pas l’hiver.
Mais il n’empêche, c’est lui qui nous enterre.
L’arbre, il lui faut un siècle pour se faire.
Au bipède déprédateur, il suffit d’une minute pour
l’assassiner, d’un déjeuner d’affaires, d’un conseil
d’administration pour organiser le massacre des arbres.
Si les hommes savaient comme il s’en moque, l’arbre !
Lui qui fera de l’ombre sur leurs marbres.
L’arbre ne fait pas le mal, l’arbre ne fait pas d’argent,
l’arbre ne fait pas d’histoire, l’arbre ignore la colère,
la fatigue, le sommeil.
Flammèches chlorophyliennes, éphéméride végétal,
confident du temps.
Philosophie de son mutisme, lui le télépathe du ciel, le
vigilant guetteur des vents.
Arbre mon ami, arbre au coeur secret, mon voisin discret,
il faut te couper pour savoir ton âge.
Arbre du cercueil, ta sève vaut notre sang.
L’arbre est innocent.
Même si l’animal vertical l’a destiné aux bois de justice,
aux croix, aux poteaux d’exécution, aux gibets, aux pals,
aux garrots, aux cages, aux clôtures, aux piloris, aux
crosses, aux échafauds, aux miradors, aux palissades,
aux bâtons, aux triques, aux baguettes de tambour, aux
matraques, aux carcans.
Ô la tristesse des feux de joie !
L’arbre est éponge, humus, poumon, calendrier, livre,
ombre et lyre.
L’arbre habille le globe de sa robe oxygène.
L’arbre c’est la paix, la fidélité, froufrou du silence, un
bloc de patience, la stabilité, le gnomon des jours.
L’arbre fait la vie.
Et l’arbre sait se taire.
Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,
Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,
Ô noires nuits vainement attendues,
Ô jours luisants vainement retournée !
Ô tristes plaints, ô désirs obstinés,
Ô temps perdu, ô peines dépendues,
Ô milles morts en mille rets tendues,
Ô pires maux contre moi destiné !
Ô ris, ô front, cheveux bras mains et doigts !
Ô luth plaintif, viole, archet et voix !
Tant de flambeaux pour ardre une femelle !
De toi me plains, que tant de feux portant,
En tant d’endroits d’iceux mon cœur tâtant,
N’en ait sur toi volé quelque étincelle.
Il pleut dans ma chambre
J´écoute la pluie
Douce pluie de septembre
Qui tombe dans mon lit
Le jardin frissonne toutes les fleurs ont pleuré
Pour la venue de l´automne
Et pour la fin de l´été
Mais la pluie fredonne
Sur un rythme joyeux
Tip et tap et tip top et tip
Et tip tip et tip
Et tip top et tap
Voilà ce qu´on entend la nuit
C´est la chanson de la pluie
Demain le jour fleurira sur vos lèvres
Mon amour et la pluie qui calme notre fièvre
Sera loin très loin dans la mer
Voguant sous le ciel clair
Demain les bois auront fait leur toilette
Et les toits peints de frais auront un air de fête
Les oiseaux contents de ce shampooing
Ne se plaindront point
Il pleut dans ma chambre
Il pleut dans mon cœur
Douce pluie de septembre
Chante un air moqueur
Dans toute la campagne
Poussent de beaux champignons
Et dans la montagne
Le vent joue du violon…
Tous les chats de gouttière
Dansent, chantent en rond
Tip et tap et tip tap et tip
Et fut fut et tic
Et pic pac et toc
Voilà ce qu´on entend la nuit
C´est la chanson de la pluie