Au crépuscule je me lève et m’envole
dans ma grande chemise d’ange
au-dessus de la terre ;
je vole sur les fleuves et les arbres,
je vole sur le bois tendre et fragile
des paliers de ce monde.
Mais mes yeux restent fermés.
Ma bouche à peine montre la tristesse,
pour les humbles jours de terreur qui m’attendent
derrière et devant moi,
comme un grand pont.
Penché sur le bord de ce fleuve à Paris
appelé la «Seine»,
celui qui va aux marchés
les matinées du Samedi
transportant la cendre et la lumière d’autres temps,
je me suis retourné pour me deviner
plus clairement dans l’eau.
Peut-être je me suis perdu,
comme disent les bonnes gens.
Peut-être je me suis perdu
en bougeant la tête,
en secouant la manche de chemise,
en retournant la chaussure
multipliant mon ombre
sur la terre
à chaque geste, chaque mot,
avec la voix qui s’éloigne
et la voix qui revient
sur ce miroir d’eaux.
Nous imaginons des anges et des voix,
nous imaginons des bois et des visages
au travers de l’obscurité
sans personne qui grandit,
au travers du linceul
que jours et nuits nous imposent
avec leurs quatre saisons,
leurs jours, leurs mois,
leurs heures.
Mais où est la grâce ?
En regardant dans quelle direction
au-dessus ou au-dessous de moi ?
Mais où est la grâce ?
Je suis suspendu
sans ombre entre les doigts,
sans ombre aux semelles,
espérant qu’ils m’empoignent
pour entendre.
***
EN EL TIEMPO PRESENTE
Al anochecer me levanto y vuelo
en mi gran camisón de ángel
sobre la tierra;
vuelo sobre los ríos y los árboles,
vuelo sobre la madera tierna y fácil
de los pisos de este mundo.
Pero mis ojos permanecen cerrados.
Mi boca apenas muestra la tristeza,
po los días humildes de terror que me aguardan,
detrás y delante de mí,
como un gran puente.
Reclinado al borde de ese río en París,
llamado «La Seine »,
aquel que va a los mercados
en las mañanas del sábado
trayendo la ceniza y luz de otros tiempos,
me he volteado para adivinarme
más claramente sobre las aguas.
Acaso me he perdido,
como dicen las buenas gentes.
Acaso me he perdido
moviendo la cabeza,
sacudiendo la manga de la camisa,
doblando el zapato,
multiplicando mi sombra
sobre la tierra
con cada gesto, cada palabra,
con la voz que se aleja
y la voz que regresa
sobre este espejo de aguas.
Imagínamos ángeles y voces,
imaginamos bosques y rostros
a través de la oscuridad
sin gente que crece,
a través de la mortaja
que los días y las noches nos imponen
con sus cuatro estaciones,
sus días y sus meses,
sus horas.
Pero dónde está la gracia ?
Y mirando hacia qué lado,
encima o debajo de mí?
Pero dónde está la gracia ?
Estoy suspendido
sin sombra entre los dedos,
sin sombra en las suelas,
esperando que me empujen
para oír.
(Henrique Huaco)
Recueil: La peau du temps
Traduction: Anne-Marie Vindras
Editions: des Crépuscules
Revoir Paris
Un petit séjour d´un mois
Revoir Paris
Et me retrouver chez moi
Seul sous la pluie
Parmi la foule des grands boulevards
Quelle joie inouïe
D´aller ainsi au hasard
Prendre un taxi
Qui va le long de la Seine
Et me revoici
Au fond du Bois de Vincennes
Roulant joyeux
Vers ma maison de banlieue
Où ma mère m´attend
Les larmes aux yeux
Le cœur content
Mon Dieu que tout le monde est gentil
Mon Dieu quel sourire à la vie
Mon Dieu merci
Mon Dieu merci d´être ici
Ce n´est pas un rêve
C´est l´île d´amour que je vois
Le jour se lève
Et sèche les pleurs des bois
Dans la petite gare
Un sémaphore appelle ces gens
Tous ces braves gens
De la Varenne et de Nogent
Bonjour la vie
Bonjour mon vieux soleil
Bonjour ma mie
Bonjour l´automne vermeil
Je suis un enfant
Rien qu´un enfant tu sais
Je suis un petit Français
Rien qu´un enfant
Tout simplement
O vaisseau endormi
qui m’attend
loin de moi,ô Paris
mon honneur et ma fête
mon secret réchauffé
dans tes yeux
O ma Seine arrimée
dans les eaux printanières
O charniers innocents
de mémoire, ô ma vie
trépassée qui verdoies,
plus comblée que tes jours
quand ils luirent
O la neige en mon âme
et mes fleurs, ô manteau
pour briller dans l’hiver
de mon âge
mes blessures
sont couleur de ton ciel
O Paris tes arènes
pour combattre mes bêtes
mes taureaux blanchissant
par la nuit et ma mort
piétinée et mon sang
qui surgit dans leurs yeux
et mon rire
O Paris tes ponts-neufs
pour passer mes abîmes
tes deux îles mes yeux
oscillant sur le flux
les fenêtres du soir
mes attentes lointaines
et les portes d’hôtel
mes entrées du mystère
O Montmartre ta proue
et tes tours pour hausser
mes refus les rosaces
pour mirer la beauté
et les Halles au matin
et les cris du jardin
la tendresse du jour
O Paris,mon amande
bleue amère,
ma réserve songeuse
jusqu’au pierres
de ton sein
mes douces graminées
tes marchands de couleurs
arbres de ma voix vive
et ton ciel pourrissant,
ô mon baume enchanté…
À mes jeunes camarades, aux équipiers du Club nautique de Chatou
Jadis, la Seine était verte et pure à Saint-Ouen,
Et, dans cette banlieue aujourd’hui sale et rêche,
J’ai canoté, j’ai même essayé de la pêche.
Le lieu semblait alors champêtre. Que c’est loin !
On dînait là. Le beurre, au cabaret du coin,
Était rance, et le vin fait de bois de campêche.
Mais les charmants retours, sur l’eau, dans la nuit fraîche,
Quand, sur les prés fauchés, flottait l’odeur du foin !
Oh ! quels vieux souvenirs et comme le temps marche !
Pourtant je vois encor le couchant, sous une arche,
Refléter ses rubis dans les flots miroitants.
Amis, embarquez-moi sur vos bateaux à voiles,
Par un beau soir, à l’heure où naissent les étoiles,
Afin que je revive un peu de mes vingt ans.
(François Coppée)
Recueil: Promenades et interieurs
Traduction:
Editions:
C’est une Allée des Cygnes
D’où les Cygnes sont absents
Semée d’autres oiseaux
Plantée dans la cité
Livrée à ses échos
Sillonnée de passants
Entre les bras de la Seine
Bercée par ses remous
Bordée d’arbres de péniches
Et de mouettes des vents
C’est une Allée des Cygnes
D’où les Cygnes sont absents
Passant plus que fugace
Je songe pas à pas
Au long de l’Allée des Cygnes
D’où les Cygnes sont absents
Au pont Mirabeau si proche
Qu’Apollinaire perpétua.
Le matin le brouillard cache
La vague endormie
Qui se réveille avec
Un bâillement de bateau
Un courant furtif
Entoure d’un clapotis
La barque attachée à la berge
Et ma Seine m’entraîne
En rêve jusqu’à la mer
Elle ceinture une robe
Bariolée de champs vastes
Et de jardins petits
De villes et de villages
Elle étrangle
Des îlots de verdure
Glisse sous les ponts
Ses anneaux
Secoués de convulsions
Et avale la lente navigation
De lourdes péniches
Qu’elle digère mal.