Petit nuage est bien triste,
Toute sa famille s’en est allée,
Cumulus égoïstes,
Nimbus étourdis,
Tous l’ont abandonné,
Le laissant seul,
Tout nu dans la nue.
Il se morfond
Et sent venir la dépression …
Allez, petit nuage,
Ne t’en fais pas, on est là
Et surtout je t’en prie,
Ne pleure pas,
Je n’ai pas pris mon parapluie.
(Guy Meunier)
Recueil: On fait comme on a dit
Editions: Lavillatte
Je rêve d’un beau soir au bord d’un étang vert
Où la verdeur des joncs s’irise de sarcelles.
L’azur y baignera ses arrière-étincelles
Comme des souvenirs dans l’onde découverts.
Les flots auront des fleurs d’écumes et d’éclairs.
Mon coeur, qu’auront repris les ultimes parcelles
D’une offrande oubliée au creux de la nacelle,
Sentira le frôler le Songe enfui dans l’air.
Sur les verts espaliers où pend le crépuscule,
Mes doigts fins s’en iront, au bout des nénuphars,
Cueillir le vert phosphorescent des libellules.
Mais j’y verrai bientôt, sous le cri des canards,
La lune éparpiller, en harmonie inerte,
Ses sanglots bleus d’argent au cil des moires vertes.
Entre vos mains, ma gente dame,
je remets cet esprit qui se meurt :
il s’en va si dolent qu’Amour le regarde
avec pitié quand il le congédie.
Vous l’avez lié à sa domination
si bien qu’il n’a plus aucune force
pour l’invoquer sinon pour dire : « Seigneur,
tout ce que tu veux de moi, je le veux. »
Je sais que tout tort vous déplaît :
aussi la mort, que je n’ai pas méritée,
entre bien plus amère en mon coeur.
Ma douce dame, tant que je suis en vie,
afin que je meure en paix et consolé,
pour mes yeux daignez ne pas être avare.
***
Ne le man vostre, gentil donna mia,
raccomando lo spirito che more :
e’ se ne va si dolente ch’Amore
lo mira con pietà, che ‘l manda via.
Voi lo legaste a la sua signoria,
sí che non ebbe poi alcun valore
di poter lui chiamar se non : « Signore,
qualunque vuoi di me, quel vo’ che sia. »
Io so che a voi ogni torto dispiace :
però la morte, che non ho servita,
molto più m’entra ne lo core amara.
Gentil mia donna, mentre ho de la vita,
per tal ch’io mora consolato in pace,
vi piaccia agli occhi miei non esser cara.
La fille, pour son plaisir,
Choisit le matelot.
L’eau voulut des navires
Pour voguer à son eau.
L’homme choisit la guerre
Pour jouer au soldat
Et partit pour la faire
Sur l’air de « Ca ira ».
Bref, chacun possédait
Ce qu’il avait souhaité.
Moi, je voulais un homme
Ni trop laid, ni trop beau,
Qui promènerait l’amour
Sur les coins de ma peau,
Un homme qui, au petit matin,
Me prendrait par la main
Pour m’emmener croquer
Un rayon de soleil.
Moi, je voulais un homme.
A chacun sa merveille
Et la vie, en passant
Un jour, me l’amena.
Puis, la fille prit des coups
Par son beau matelot.
La guerre, en plein mois d’août,
Nous faucha le soldat.
Le navire qui passait
Juste à ce moment-là,
Le navire qui passait
Prit l’eau et puis coula.
Bref, on ne sait pourquoi
Mais tout se renversa.
Moi, je pris en plein coeur
Un éclat de son rire
Quand il jeta mon bonheur
Dans la fosse aux souvenirs.
Je le vis s’en aller,
Emportent mon soleil,
Emportant mes étés.
J’avais voulu un homme.
J’aurais dû me méfier :
Cette garce de vie,
Un jour, me le reprit.
Qu’importe si la vie
Nous donne et nous reprend
Puisqu’ici-bas, tout n’est
Que recommencement.
La fille, pour son plaisir,
Reprendra des matelots.
On refera des navires
Pour le ventre de l’eau.
Y aura toujours des guerres
Pour jouer aux soldats
Qui s’en iront les faire
Sur l’air de « Ca ira ».
Eh ben moi, je reprendrai un homme.
Pas de mal à ça,
Un homme.
Les hommes, j’aime ça.
Un homme, un homme, un homme…
Mon amour, était-ce toi ou mon seul élan,
le nom que ma parole a donné à son désir.
As-tu existé, toi l’autre? Était-il véritable,
sous de larges pommiers entre les pignons,
ce long corps étendu tant d’années?
L’azur a-t-il été un vrai morceau du temps?
N’ai-je pas imaginé une vacance dans l’opaque?
Étais-tu venue, toi qui t’en es allée?
Ai-je été ce feu qui s’aviva, disparut?
Tout est si loin. L’absence brûle comme la glace.
Les ramures de mémoire ont charbonné.
Je suis arrêté pour jusqu’à la fin ici,
avec un souvenir arrêté qui n’a plus de figure.
Si c’est un rêve qu’éternel amour,
qu’importe j’y tiens.
J’y suis tenu ou je m’y trouve abandonné.
Désert irrémédiable et la creuse fierté.
Quand tu reviendras avec un autre visage,
je ne te reconnais pas, je ne sais plus voir, tout n’est rien.
Hier fut. Il était mêlé de bleu et frémissait,
ordonnancé par un regard qui change.
Une chevelure brillait, violemment dénouée,
recomposée autour de moi, je le croyais.
Le temps remuait parmi l’herbe souterraine.
Éclairés de colère et de rire, les jours battaient.
Hier fut.
Avant que tout ne s’ébranlât un amour a duré,
verbe qui fut vivant, humain amour mortel.
Mon amour qui tremblait par la nuit incertaine.
Mon amour cautionné dans l’oeil de la tempête
et qui s’est renversé.
(André Frénaud)
Recueil: Il n’y a pas de paradis
Traduction:
Editions: Gallimard
Les secondes, pas à pas inaccessibles —
Les minutes se pressaient, toujours trop longues —
Les heures, l’une après l’autre mal aimées —
L’an neuf, en allé sans remplir les vœux —
Le jour accompli, le coeur tourne encore —
Le sommeil, au matin miroir interdit —
L’instant n’a pas lui où nous aurions pu —
Notre vie, infranchissable, recluse —
(André Frénaud)
Recueil: Il n’y a pas de paradis
Traduction:
Editions: Gallimard
À chaque fois qu’on se dit au revoir
ça me semble être un prolongement
du Hindenburg :
ce grand dirigeable de 1937 qui explosa
en flammes médiévales tel un château incendié
au-dessus du New Jersey.
Quand tu t’en vas, l’ombre
du Hindenburg entre dans la maison
pour prendre ta place.
***
Your Departure Versus the Hindenburg
Every time we say good-bye
I see it as an extension of
the Hindenburg.
that great 1937 airship exploding
in medieval flames like a burning castle
above New Jersey.
When you leave the house, the
shadow of the Hindenburg enters
to take your place.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral