Les enfants de la liberté
ne s’habillent pas en Petit Bateau.
Leur peau s’habitue vite à une étoffe rêche.
Les enfants de la liberté
ont des vêtements usés
et des chaussures trop grandes pour leurs pieds.
Souvent ils enfilent l’air nu ou la terre.
Les enfants de la liberté
ne connaissent pas le goût de la banane
ni de la fraise.
Ils mangent du pain sec
trempé dans l’eau de la patience.
Le soir,
les enfants de la liberté
ne prennent pas de bain,
ils ne soufflent pas dans des bulles de savon.
Ils jouent avec des pneus, des cailloux
et les débris
des bombes.
Avant de dormir,
les enfants de la liberté ne se brossent pas les dents.
Ils n’attendent pas les histoires magiques
de prince et de princesse.
Ils écoutent le bruit de la peur et du froid.
Sur les trottoirs de la rue,
devant les portes de leur maison détruite,
dans les camps des pays voisins ou
dans les tombes.
Les enfants de la liberté
attendent comme
tous les enfants du monde
le retour de leur mère.
(Maram al-Masri)
Recueil: Elle va nue la liberté
Editions: Bruno Doucey
Tout-à-coup la porte s’ouvrit comme d’elle-même à deux
battants,
et l’on vit paraître la Fée.
Les fleurs tombèrent à ses genoux en versant des larmes,
mais elle les releva avec bonté.
—Entrez, leur dit-elle, pauvres enfants,
venez reprendre auprès de moi la place que vous n’auriez jamais dû quitter.
Pas une qui ne revît avec délice, les lieux où elle était née,
pas une qui ne se rappelât avec une terreur mêlée de honte,
les heures qu’elle avait passées sur la terre.
La Pensée maudissait les hommes qui, à l’envi les uns des autres,
semblaient se faire un plaisir de la repousser.
L’Aubépine frissonnait en pensant au sécateur.
La Tulipe se demandait comment elle avait pu s’habituer aux ennuis du sérail.
L’Églantine tremblait intérieurement, qu’en punition de son escapade,
la Fée ne la forcit à lire les livres qu’elle avait composés
du temps qu’elle figurait parmi les bas-bleus.
Mes filles, [dit la Fée], je pourrais vous faire de la morale, mais je m’en dispense.
Je lis au fond de votre coeur et je vois qu’il vous adresse lui-même une semonce
que toutes les miennes ne vaudraient peut-être pas.
Vous vous contenterez désormais d’être fleurs, j’en suis certaine,
si cependant quelqu’une d’entre vous voulait devenir femme tout-à-fait,
elle n’a qu’à le dire.
Je donne ma parole de Fée que son souhait sera exaucé à l’instant.
Un silence universel accueillit cette proposition.
Maintenant, reprit la Fée, allez vous reposer.
Demain commenceront les fêtes par lesquelles je veux célébrer votre retour.
Les fleurs crièrent: Vive la Fée!
et défilèrent devant elle.
Il y eut un baise-main général.
Ils s’assemblent souvent, pour lutter
contre des souvenirs très tenaces.
Chacun dans un fauteuil prend place
et ils se mettent à raconter.
Les accidents paraissent les premiers
puis l’amour, puis les sordides regrets
enfin les espérances mal éteintes.
Toutes ces images sont peintes
au mur, entre les fleurs du papier.
Ils pensent ainsi s’habituer
aux poisons que leur mémoire transporte.
– Moi cependant, derrière la porte,
je vois le PRESENT fuir avec ses secrets.
Et puis
Je crois qu’on s’aimait vraiment
Et puis
Tout était grave et charmant
Et puis
J’allais chez toi chaque nuit
Et puis
Tu m’appelais en dormant
Alors, le matin nous reprenait
Alors, nous allions nous promener
Alors, c’était une autre journée
Et puis
Le soleil ou bien la pluie
Et ces jours heureux je te les dois
Je peux les compter sur mes doigts
Peut-être moins d’une semaine à peine à peine
Un train s’en allait et je l’ai pris
Et je ne t’ai jamais écrit
Comme j’en avais fait promesse promesse de Paris
Et puis
Je ne sais plus qui tu es
Et puis
Je me suis habitué
Et puis
Je ne sais plus où je suis
Et puis
Je vais chez toi chaque nuit
Et puis
Et puis
Et puis.
La rouille mord
à même un fer de lance
des chevaux demeurent silencieux
cependant qu’on poursuit
un seul homme
qui court par des dédales
et des ruines
car il n’a jamais pu
s’habituer à ce temps.
Ce matin l’herbe est noire et nue
Le vent s’allume, s’éteint
L’air s’ouvre à la pluie d’étain
Les pierres, la terre s’habituent
Ce matin le talus jaunit
Les corbeaux luisent sur le pré
L’agneau saigne à la boucherie
La terre s’y fait
Ce matin la neige est tombée
Le troupeau tousse dans la buée
Un triste coq crie au vent blanc
La terre s’y tait comme avant
Matin de cendre et de bitume
Le gel a mordu dans nos plaies
Des larmes coulent dans la haie
La grasse terre s’accoutume
Matin de ciel et de jais
Si le soleil revenait
L’air a son odeur nocturne
L’aube rougeoie derrière l’averse
La lumière est une herse
Entre maintenant et jamais
Un merle rit du chant qu’il tresse
La terre s’y fait