Au fond de la nuit, les fermes sommeillent,
Cadenas tirés sur la fleur du vin,
Mais la fleur du feu y fermente et veille
Comme le soleil au creux des moulins.
Aux ruisseaux gelés la pierre est à fendre
Par temps de froidure, il n’est plus de fous,
L’heure de minuit, cette heure où l’on chante
Piquera mon cœur bien mieux que le houx.
J’avais des amours, des amis sans nombre
Des rires tressés au ciel de l’été,
Lors, me voici seul, tisonnant des ombres
Le charroi d’hiver a tout emporté.
Pourquoi ce Noël, pourquoi ces lumières,
Il n’est rien venu d’autre que les pleurs,
Je ne mordrai plus dans l’orange amère
Et ton souvenir m’arrache le cœur.
Un rêve de plaisir navigue dans mon crâne :
Une fille dansant sur un vieil air profane
Qui, langoureuse, enlève un par un ses habits
Avec des gestes lents, voluptueux et habi-
Les : d’abord, les boutons de nacre du corsage
Qui, en s’ouvrant, révèle un corps encore sage
Mais qui s’offre déjà dans l’éclat de sa chair
Alors que pointe un bout de sein du plus beau clair.
L’agrafe, qui retient la robe courte, comme
Une ancre de frégate à la voile bien blanche
S’ouvre pour montrer la courbe d’une hanche.
Je voguerai vers elle… et nous croquons la pomme,
Enlacés au milieu d’un immense verger.
Alors que je croyais sommeiller sur la grève
Et vivre sur le sable un si merveilleux rêve :
Tu étais ma fermière et j’étais ton berger.
C’est encore lui
L’oeil mort
La bouche pleine
Le nez au vent
L’oreille dressée
Les mains croisées
Les pieds plats
Le cheveu plat
L’air abruti
C’est lui
vous l’avez reconnu
n’est-ce pas
très facilement
Ne dites ni son nom
ni son prénom
ni son surnom
nous le savons
vous et moi
nous le reconnaissons
chaque fois
que nous le croisons
très souvent
matin et soir
C’est lui
n’est-ce pas
vous l’avez vu et revu
soir et matin
quand il s’endort
quand il s’éveille
ou qu’il sommeille
C’est lui
n’est-ce pas
(Philippe Soupault)
Recueil: Poèmes et poésies
Traduction:
Editions: Grasset
Si les eaux de la mer, un matin, se retirent,
Nous dévisagerons tous les siècles éteints.
Le temps sera fini des larmes et du rire.
Si les eaux de la mer se retirent, un matin,
Nous irons ramasser des rames de galère
Pour y sculpter la forme exacte d’un violon
Qui chantera pour nous les hymnes de naguère
Comme les galériens vers les quatre horizons…
Les étoiles de mer fleuriront à miracle
En d’étranges jardins que nul n’a jamais vus.
L’océan garde en lui la magie du spectacle
Que les plus vieux poissons des grands fonds ont connu.
Jardins du fond des mers, où les noyés reposent
Avec leurs yeux ouverts qui ne pourront plus voir,
Regards éteints tournés vers le secret des choses,
Inconnus sommeillant sur un lit d’algues noires.
Les étoiles de mer sont vivantes et cruelles,
Qu’elles se ferment donc en silence sur eux,
Que la tête et le coeur nourrissent les plus belles:
Aucun matin du monde a-t-il désiré mieux?
Laisse le Printemps rire en sa gaîne de pierre
Et l’Hiver qui sanglote au socle où il est pris
Jusqu’au torse, et l’Été, grave en ses noeuds fleuris,
Près de l’Automne nu qui s’empampre et s’enlierre;
Laisse la rose double et la rose trémière
Et l’allée à dessins de sable jaune et gris
Et l’écho qui répond au rire que tu ris,
Et viens te regarder dans une eau singulière.
Elle occupe un bassin ovale et circonspecte;
Nulle plume d’oiseau et nulle aile d’insecte
Ne raie en le frôlant l’ébène du miroir,
Et, de sa transparence où sommeillent des ors,
Tu verrais émerger d’entre son cristal noir
Le Silence à mi-voix et l’Amour à mi-corps!