Aux becs de gaz éteints, la nuit, en la maison,
Ils prolongent souvent des plaintes éternelles;
Et sans que nous puissions dans leurs glauques prunelles
En sonder la sinistre et mystique raison.
Parfois, leur dos aussi secoue un long frisson;
Leur poil vif se hérisse à des jets d’étincelles
Vers les minuits affreux d’horloges solennelles
Qu’il écoutent sonner de bizarre façon.
(Émile Nelligan)
Recueil: le chat en cent poèmes
Traduction:
Editions: Omnibus
Je suis aveugle, et ne sais où aller :
De mon bâton, pour ne pas m’écarter,
Je vais sondant mon chemin çà et là;
Quelle pitié que je sois forcé d’être
L’homme égaré qui ne sait où il va…
***
Aveugle suy, ne sçay ou aler doye :
De mon baston, affin que ne forvoye,
Je vois tastant mon chemin ça et la;
C’est grant pitié qu’il convient que je soye
L’omme esgaré qui ne scet ou il va.
Il est des peines que nul ne connait.
Il est des profondeurs que le soleil
jamais ne sonde. Des monts de silence entourent les lèvres.
Et tous les témoins se taisent. Les yeux ne disent pas.
Il n’est point d’escalier si profond
qui descende là où s’agite
l’être de l’homme. Si le silence parlait,
s’il soufflait, s’il éclatait – il déracinerait tous les arbres du monde.
Entre les lignes entre les vitrines
Entre les strates entre les pages
Entre les règnes entre les révoltes
Entre les migrations les installations
Entre chien et loup entre singe et homme
Entre ville et campagne entre empire et horde
Entre esquisse et ruine entre fugue et foyer
Entre Gaule et France entre mur et crépi
Entre l’arbre et l’écorce entre muscle et peau
Un scalpel de plus un navire en partance
Pour sonder la nuit la veille et l’oubli
(sur une chorégraphie de Brigitte Chataignier)
je ne sais pas
j’ouvre
les yeux
sur le monde
je ne sais pas
ne sais pas
dans la nuit
dans le noir
les mots
apparaissent
les mots
résonnent
le mot danse
apparaît
j’aimerais tant
oh oui
avec
tout mon corps
avec
toute ma voix
m’incarner
complètement
absolument
j’aimerais
j’aimerais
oui
j’aimerais tant
je ne sais pas
j’ouvre les yeux
sur chaque moment
le regard
l’infini
le regard
l’infini
j’écoute
j’écoute de toutes mes forces
et le mot terre apparaît
je respecte la terre
le son de la terre
je sonde la terre
le corps de la terre
les éléments se tiennent
par la main
tous les éléments
je descends dans la terre
les manteaux
qui me recouvrent
tombent les uns après les autres
je passe
de l’autre côté de la tombe
de l’autre côté des cendres
j’expire
je vais au bout du corps
au bout de la terre
au bout de la femme
j’inspire
Un jour, quand l’homme sera sage,
Lorsqu’on n’instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l’enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.