Le vieux Jean-Louis, il n’a rien qu’un oeil,
on le dirait pas,
le vieux Jean-Louis sait marquer le pas
comme personne dans les danses.
Son accordéon est comme pas un,
avec un soufflet d’un mètre de long
et tout nickelé
et un souffle à faire danser
à la fois deux ou trois villages.
Çа fait des accords, ça siffle, ça ronfle,
avec des sonnettes et des trémolos,
qu’on entend de loin sur le pont de danse.
Il faut voir les doigts du vieux Jean-Louis,
quand il est parti,
courir sur les touches
et les yeux qu’il fait, sa tête qui penche, et
qui se balance
en mesure, tant il a plaisir.
(Charles-Ferdinand Ramuz)
Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite
On commence à danser, les filles rient,
les gros souliers vont battant la mesure,
et l’accordéon assis sur la table presse
et distend tour à tour ses soufflets aigres.
C’est l’heure où le soleil se couche,
la lune est ronde, l’air est bleu;
on dirait qu’une poussière d’étoiles
monte des champs avec 1a nuit.
Les cloches du dimanche ont sonné ce matin,
les cloches se sont tues,
mais il y a comme un souvenir qui reste d’elles
dans le balancement des arbres du jardin;
et les gens sur le seuil de leurs maisons regardent,
heureux de voir grandir la lune
à la cime des peupliers.
(Charles-Ferdinand Ramuz)
Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite
Ce fer amour que je forge deux fois,
Va le jeter dans l’extase liquide.
Entends siffler le métal rouge orange
Devenu bleu par morsure de l’eau.
Comme un poumon ce soufflet qui s’anime
Et porte l’air au coeur du brasier.
Un autre fer pour un même cheval
Qui tirera le soc sur les labours.
Un autre, un autre encore pour l’image
De quatre fers, quatre points cardinaux
Qui jailliront comme des étincelles
Pour situer ta présence en ces lieux.
Coups sur l’enclume, un village s’éveille.
Coups sur le fer, une forme apparaît.
Le forgeron sous son cuir a des ailes
Et sur son front des perles de rosée.
Qui les dira ses prouesses cosmiques
Mariant l’air et la terre et le feu ?
Le bras se lève et retombe en cadence
Et le fer chante et chante le marteau.
L’adolescent qui regarde la flamme
Forge sa vie et contemple ce bras
Si musculeux, si noueux qu’il évoque
De vieux exploits enfouis dans l’Histoire.
Et cette odeur de charbon, de matière,
De fer à blanc, de sueur sur la chair
Grise l’instant. Des chapelets de fers
Sur le mur noir attendent leur voyage.
Frères du jour revenons à ces forges
Où fut un homme au visage de feu
Que je revois, présence salvatrice,
Quand le présent m’assaille de sa nuit
(Robert Sabatier)
Recueil: Oeuvres poétiques complètes
Editions: Albin Michel
La Joue splendide émerge des mousselines d’aubépine.
— Charitable Epanoui manifesté par uniment ceci
de rose, te serai-je, au cours de ta ronde quotidienne,
te serai-je, par mon faire indigne ou par mon faire
sage, te serai-je une caresse ou te serai-je le soufflet,
Soleil, et t’attarderas-tu devant mon menu geste-à-baisers
de Josué charmant ou bien acculerai-je ta pudeur
derrière les immenses nénuphars du ciel jusqu’à l’heure
de saigner sur les coquilles exileuses de la mer ?
La Joue splendide émerge des mousselines d’aubépine.
Les chats trempent leur langue rose
Au bord des soucoupes de lait ;
Les yeux fixés sur le soufflet,
Le chien bâille en songeant, morose.
Et tandis qu’il songe et repose
Près de la flamme au chaud reflet,
Les chats trempent leur langue rose
Au bord des soucoupes de lait.
Dans le salon, seul le feu glose ;
Mère-grand dit son chapelet,
Suzanne dort sur un ourlet,
Et dans le lait, paupière close,
Les chats trempent leur langue rose.
Le ciel et la terre sont indifférents
aux passions humaines.
Pour eux,
les vivants
ne sont que chiens de paille.
Ephémères.
Le Sage n’a pas d’affection.
Pour lui aussi,
les hommes
ne sont que chiens de paille.
Entre le ciel et la terre,
l’espace est
comme un soufflet de forge.
Il est vide
mais pas épuisé.
Soit qu’il s’enfle,
soit qu’il s’abaisse,
il est toujours prêt à servir,
toujours inépuisable.
L’homme qui veut saisir l’espace
n’étreint que le vide.
Mieux vaut se fondre dans ce vide,
dans ce vide immense,
dans ce vide merveilleux.
C’est le vide sublime,
c’est le Tao.
Au moment qu’on a fait la fleur
De tout notre amour plongé en elle
Quand la fatigue tout à coup la fane entre nos doigts
Quand la fatigue tout à coup surgit alentour
Et s’avance sur nous comme un cercle qui se referme
L’ennemie qu’on n’attendait pas s’avance
Et commence par effacer le monde hors de nous
Efface le monde en s’approchant,
Vient effacer la fleur entre nos mains
Où notre amour était plongé et fleurissait
Notre amour alors dépossédé rentre en nous
Reflue en nous et nous prend au dépourvu
Nous gonfle d’un flot trop lourd
Nous abat d’un vertige inattendu
Et nous sommes épouvantés
Et comme désarmés devant cette parole
Devant la tristesse de la parole de la chair
Qu’on n’attendait pas et qui nous frappe
comme un soufflet au visage.
Dans la cheminée aux parois
Couvertes d’épaisses couches de suie
Pend à la crémaillère
L’énorme marmite toute noire
Où cuit la soupe au lard
Et aux pommes de terre
Dont l’odeur chatouille le ciel gris
Et mes narines
Je « ramoucelle » les tisons (1)
Et avec le soufflet
Fais jaillir de la cendre
Des étoiles de feu.