Tu me grondes
parce que j’ai les doigts
de toutes les couleurs
noir-polar
ou jaune-sable des squares
parfois blanc-banquise
ou rouge-révolution
et même bleu-contusion
Tu me grondes
et tu te trompes
mes doigts je les ai trempés
dans l’amitié
des mains
des enfants
du quartier
des enfants
du monde entier
(Joël Sadeler)
Recueil: La cour couleurs Anthologie de poèmes contre le racisme
Traduction:
Editions: Rue du monde
chère enfance,
avec toi je ne gagnerai pas d’argent
je veux juste le bord du trottoir
le ciment esquinté
jointure un peu poudreuse
dessins mal faits à la craie sur le goudron
riens qu’on a laissés
que le ciel use
cires suies le square est doux
ses quelques arbres parlent
Sacré-Coeur !
je te vois
Ô Biberon
avec ta grosse tétine en forme de croix
Sacré-Coeur !
mais vous êtes sept biberons !
je vous aperçois très bien du bas de la pente
square Saint-Pierre
trois petits biberons
trois moyens biberons
et un gros
C’est le soir
la gloire du ciel s’écarte
pour que les anges viennent téter
trois petits biberons
trois moyens biberons
Mais toi
gros biberon
tu es pour l’Enfant Jésus
ah !
puisse-t-il ne pas se blesser les lèvres
sur ta tétine en forme de croix
(Jacques Roubaud)
Recueil: Je suis un crabe ponctuel
Traduction:
Editions: Gallimard
Pour qui, combien, quand et pourquoi ?
Contre qui ? Comment ? Contre quoi ?
C’en est assez de vos violences
D’où venez-vous ?
Où allez-vous ?
Qui êtes-vous ?
Qui priez-vous ?
Je vous prie de faire le silence,
Pour qui, comment, quand et pourquoi ?
S’il faut absolument qu’on soit
Contre quelqu’un ou quelque chose,
Je suis pour le soleil couchant
En haut des collines désertes
Je suis pour des forêts profondes,
Car un enfant qui pleure,
Qu’il soit de n’importe où,
Est un enfant qui pleure,
Car un enfant qui meurt
Au bout de vos fusils,
Est un enfant qui meurt
Que c’est abominable d’avoir à choisir
Entre deux innocences !
Que c’est abominable d’avoir pour ennemis
Les rires de l’enfance !
Pour qui, comment, quand et combien ?
Contre qui ? Comment et combien ?
À en perdre le goût de vivre,
Le goût de l’eau, le goût du pain
Et celui du Perlimpinpin
Dans le square des Batignolles !
Mais pour rien, mais pour presque rien,
Pour être avec vous et c’est bien !
Et pour une rose entrouverte,
Et pour une respiration,
Et pour un souffle d’abandon,
Et pour ce jardin qui frissonne !
Rien avoir, mais passionnément,
Ne rien se dire éperdument,
Ne rien savoir avec ivresse
Et riche de dépossession,
N’avoir que sa vérité,
Posséder toutes les richesses,
Ne pas parler de poésie,
Ne pas parler de poésie
En écrasant les fleurs sauvages
Et voir jouer la transparence
Au fond d’une cour au murs gris
Où l’aube n’a jamais sa chance
Contre qui, ou bien contre quoi ?
Pour qui, comment, quand et pourquoi ?
Pour retrouver le goût de vivre,
Le goût de l’eau, le goût du pain
Et celui du Perlimpinpin
Dans le square des Batignolles,
Et contre rien et contre personne,
Contre personne et contre rien,
Et pour une rose entrouverte,
Pour l’accordéon qui soupire
Et pour un souffle d’abandon
Et pour un jardin qui frissonne !
Et vivre, vivre passionnément,
Et ne combattre seulement
Qu’avec les feux de la tendresse
Et riche de dépossession,
N’avoir que sa vérité,
Posséder toutes les richesses,
Ne plus parler de poésie,
Ne plus parler de poésie
Mais laisser vivre les fleurs sauvages
Et faire jouer la transparence
Au fond d’une cour aux murs gris
Où l’aube aurait enfin sa chance.
Nous sommes nés de la douceur. Notre pays
N’appelle pas la mort du chant de ses oiseaux.
Même le sable était tranquille sur les allées,
Comme nous parcourions les roseraies, le long de la rivière.
Le soleil caressait nos cheveux et les feuilles.
Quelle ombre a visité le jour du chêne, quel automne
A jeté sur le dallage ces chevauchées de feuilles cramoisies ?
Souviens-toi, semble dire
La source qui reproche faiblement. Souviens-toi, dit encore
Caché dans la nuit d’arbre, le rossignol de l’ancienne folie
Qui a brisé l’ordonnance du monde et divisé ton coeur.
Tu n’aimeras qu’au prix de douleurs infinies. Tes mains
Se fermeront vainement sur les objets du monde,
Sur l’eau qui t’abandonne, le jour qui t’aimait
Sera comme une nuit.
En vain l’enfant du square pousse un cerceau d’or,
Jason
(Philippe Delaveau)
Recueil: Le Veilleur amoureux précédé d’Eucharis
Traduction:
Editions: Gallimard
tu m’avais dit de venir:il pleuvait un peu
et c’était le printemps;une lumière maladroite
trébuchait à merveille au-dessus du square,
se tortillaient de petits têtards amoureux
battus de gouttes bégayantes,
tremblotaient les feuilles
au-devant du parfum gigotant du nouveau
—et puis. Mes doigts fous ont aimé ta robe
…ton baiser,ton baiser fut une fragile fleur
distincte, et la chair croustillante a mis
à cran ma dent d’amour.
***
you asked me to come:it was raining a little,
and the spring;a clumsy brightness of air
wonderfully stumbled above the square,
little amorous-tadpole people wiggled
battered by stuttering pearl,
leaves jiggled
to the jigging fragrance of newness
—and then. My crazy fingers liked your dress
….your kiss,your kiss was a distinct brittle
flower, and the flesh crisp set
my love-tooth on edge.
(Edward Estlin Cummings)
Recueil: Erotiques
Traduction: Jacques Demarcq
Editions: Seghers