Partant de Paumanok à forme de poisson, où je suis né
Même bien né, élevé par les soins d’une mère parfaite,
Après avoir couru de nombreuses cités en amoureux des pavés populaires,
En habitant de ma cité de Manhattan, des savanes du sud,
Ou en soldat de campement, porteur d’un sac à dos et d’un fusil, ou en mineur californien,
Ou en homme rude dans ma maison des bois du Dakota, régime carné et eau de source,
Ou retiré pour musarder ou méditer dans quelque endroit secret,
Loin du cliquettement des foules passant par intervalles, ravies, heureuses,
Ayant la connaissance du frais, du libre bienfaiteur qu’est le fleuve Missouri, du puissant Niagara,
Des troupeaux de bisons paissant les plaines, du taureau au poitrail imposant et velu,
De la terre, des rochers, des fleurs du cinquième mois, des étoiles, de la pluie, de la neige, mon émerveillement,
M’étant instruit des notes de l’oiseau qui se moque et du vol du faucon des montagnes,
Puis ayant entendu l’incomparable à l’aube, la grive ermite des cèdres du marais,
Solitaire, chantant dans l’Ouest, j’affronte un Nouveau Monde
***
Starting from Paumanok
Starting from fish-shape Paumanok where I was born,
Well-begotten, and rais’d by a perfect mother,
After roaming many lands, lover of populous pavements,
Dweller in Mannahatta my city, or on southern savannas,
Or a soldier camp’d or carrying my knapsack and gun, or a miner in California,
Or rude in my home in Dakota’s woods, my diet meat, my drink from the spring,
Or withdrawn to muse and meditate in some deep recess,
Far from the clank of crowds intervals passing rapt and happy,
Aware of the fresh free giver the flowing Missouri, aware of mighty Niagara,
Aware of the buffalo herds grazing the plains, the hirsute and strong-breasted bull,
Of earth, rocks, Fifth-month flowers experienced, stars, rain, snow, my amaze,
Having studied the mocking-bird’s tones and the flight of the mountain-hawk,
And heard at dawn the unrivall’d one, the hermit thrush from the swamp-cedars,
Solitary, singing in the West, I strike up for a New World.
(Walt Whitman)
Traduction de Marie Etienne
Recueil: Poésies du Monde
Traduction:
Editions: Seghers
Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,
Dans l’air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et, s’enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L’araignée au dos jaune et les singes farouches.
C’est là que le tueur de boeufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l’écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu’il bossue;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d’une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l’herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil
II s’affaisse, allongé sur quelque roche plate;
D’un large coup de langue il se lustre la patte;
Il cligne ses yeux d’or hébétés de sommeil;
Et, dans l’illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rave qu’au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d’un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.
Une pierre
deux maisons
trois ruines
quatre fossoyeurs
un jardin
des fleurs
un raton laveur
une douzaine d’huîtres un citron un pain
un rayon de soleil
une lame de fond
six musiciens
une porte avec son paillasson
un monsieur décoré de la légion d’honneur
un autre raton laveur
un sculpteur qui sculpte des Napoléon
la fleur qu’on appelle souci
deux amoureux sur un grand lit
un receveur des contributions une chaise trois dindons
un ecclésiastique un furoncle
une guêpe
un rein flottant
une écurie de courses
un fils indigne deux frères dominicains trois sauterelles un strapontin
deux filles de joie un oncle Cyprien
une Mater dolorosa trois papas gâteau deux chèvres de Monsieur Seguin
un talon Louis XV
un fauteuil Louis XVI
un buffet Henri II deux buffets Henri III trois buffets Henri IV
un tiroir dépareillé
une pelote de ficelle deux épingles de sûreté un monsieur âgé
une Victoire de Samothrace un comptable deux aides-comptables
un homme du monde deux chirurgiens trois végétariens
un cannibale
une expédition coloniale un cheval entier une demi-pinte de bon
sang une mouche tsé-tsé
un homard à l’américaine un jardin à la française
deux pommes à l’anglaise
un face-à-main un valet de pied un orphelin un poumon d’acier
un jour de gloire
une semaine de bonté
un mois de Marie
une année terrible
une minute de silence
une seconde d’inattention
et …
cinq ou six ratons laveurs
un petit garçon qui entre à l’école en pleurant
un petit garçon qui sort de l’école en riant
une fourmi
deux pierres à briquet
dix-sept éléphants un juge d’instruction en vacances assis sur un pliant
un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans
une vache
un taureau
deux belles amours trois grandes orgues un veau marengo
un soleil d’Austerlitz
un siphon d’eau de Seltz
un vin blanc citron
un Petit Poucet un grand pardon un calvaire de pierre une échelle de corde
deux soeurs latines trois dimensions douze apôtres mille et une nuits
trente-deux positions six parties du monde cinq points cardinaux
dix ans de bons et loyaux services sept péchés capitaux deux doigts
de la main dix gouttes avant chaque repas trente jours de prison
dont quinze de cellule cinq minutes d’entr’acte
Taureau et femme
pluie et feu
statue de sel
colosse de fumée
enfant bâtard dans son puits de lumière
zodiaque murmurant
qui marche dans le ciel
le pinceau ne les peint pas
il les console.
Assurances en tous genres, je garantis le vent,
les cornes du taureau et vos âmes paisibles.
Je garde la brise de devenir tempête
et la folie d’emplir de ses lunes les yeux des femmes.
Je maintiens les héritages, vous défends
contre la grivèlerie de l’étranger
aux détours pernicieux,
les retours d’amour fou,
et ce déboulé de frénésie, la justice.
La prime vous plaira: je ne prends que les songes.
(André Frénaud)
Viens, toi, chanson d’amour,
Du coeur des éléments,
Sur l’aile de l’orage,
Dans le hurlement des cyclones.
Viens des abîmes de la nuit,
A cheval sur les tourbillons,
Avec le bouillonnement des eaux profondes,
Que t’amènent les pâtres de l’air
En troupeaux d’étoiles
Aboyées par le tonnerre.
Viens,
Tourbillon de démons,
Chair des nuages
Fouettée par l’éclair,
Brisée sur l’échine des ténèbres.
Viens, taureau du crépuscule
Déchiré par la dent-faucille de la lune
Apparue aux gencives du ciel.
Viens,
Frémissement de l’aube,
Avec, sur la tête, la javelle d’or du soleil,
Réveille
Le nénuphar sur le lac,
La tourterelle dans son nid
La voix de
l’usine dans sa poitrine de métal,
La jeune fille dans les bras du sommeil,
Les ivrognes dans la lie du vin,
L’amoureuse dans
sa chair enlacée,
Les abeilles dans la chaleur de la ruche.
Viens sur mille sentiers,
Neige fondue,
Pluie mêlée au soleil,
Herbe folle écartelant la terre,
Feuille tombée,
Raisins au pressoir,
Balbutiement du moût dans les tonneaux,
Cristallise-toi d’un coup
Dans les mots murmurés par l’homme
A l’oreille de la bien-aimée,
Enveloppés dans un baiser,
A peine compris,
Frêles et chauds :
Je suis près de toi.
La nuit aux senteurs d’animal aux aguets
– tantôt proie tantôt chasseresse –
la nuit subtilise nos corps
pour mieux illuminer nos rêves.
La nuit au front de taureau,
aux mille banderilles scintillantes,
déploie sa cape aveugle devant nos yeux
pour mieux y planter la dague
des sommeils sans retours.
Dans mon rêve,
à la fois rêveuse et rêvée,
contenu et contenant,
je me transporte toute entière
dans un paysage sans ombre ni soleil.
L’enfant lit l’almanach près de son panier d’oeufs.
Et, en dehors des Saints et du temps qu’il fera,
elle peut contempler les beaux signes des cieux :
Chèvre, Taureau, Bélier, Poisson, et coetera.
Ainsi, peut-elle croire, petite paysanne,
qu’au-dessus d’elle, dans les constellations,
il y a des marchés, pareils avec des ânes,
des taureaux, des béliers, des chèvres, des poissons.
C’est le marché du Ciel sans doute qu’elle lit.
Et, quand la page tourne au signe des Balances,
elle se dit qu’au Ciel comme à l’épicerie
on pèse le café, le sel, et les consciences.