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Poésie

Posts Tagged ‘terreur’

Un homme couvert de poussière (Maram al-Masri)

Posted by arbrealettres sur 30 mai 2023




    
Un homme couvert de poussière
assis sur un trottoir
regarde au loin.
Sur ses genoux
un bébé d’une pâleur lumineuse
remue ses bras, ses mains,
en buvant
un biberon que l’homme porte à sa bouche.

Derrière eux
un jeune garçon
serre contre sa poitrine
un sac de pain
en regardant lui aussi au loin.

Dans un autre coin de la scène
deux silhouettes:
un enfant assis contre la porte
d’une maison détruite.
Une femme agenouillée devant lui,
essaie de calmer sa terreur.

Ce n’est pa une scène de western:
c’est une famille
en Syrie aujourd’hui.

(Maram al-Masri)

Recueil: Elle va nue la liberté
Editions: Bruno Doucey

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AU TEMPS PRÉSENT (Henrique Huaco)

Posted by arbrealettres sur 23 avril 2023




    
AU TEMPS PRÉSENT

Au crépuscule je me lève et m’envole
dans ma grande chemise d’ange
au-dessus de la terre ;
je vole sur les fleuves et les arbres,
je vole sur le bois tendre et fragile
des paliers de ce monde.

Mais mes yeux restent fermés.
Ma bouche à peine montre la tristesse,
pour les humbles jours de terreur qui m’attendent
derrière et devant moi,
comme un grand pont.

Penché sur le bord de ce fleuve à Paris
appelé la «Seine»,
celui qui va aux marchés
les matinées du Samedi
transportant la cendre et la lumière d’autres temps,
je me suis retourné pour me deviner
plus clairement dans l’eau.

Peut-être je me suis perdu,
comme disent les bonnes gens.
Peut-être je me suis perdu
en bougeant la tête,
en secouant la manche de chemise,
en retournant la chaussure
multipliant mon ombre
sur la terre
à chaque geste, chaque mot,
avec la voix qui s’éloigne
et la voix qui revient
sur ce miroir d’eaux.

Nous imaginons des anges et des voix,
nous imaginons des bois et des visages
au travers de l’obscurité
sans personne qui grandit,
au travers du linceul
que jours et nuits nous imposent
avec leurs quatre saisons,
leurs jours, leurs mois,
leurs heures.

Mais où est la grâce ?
En regardant dans quelle direction
au-dessus ou au-dessous de moi ?
Mais où est la grâce ?

Je suis suspendu
sans ombre entre les doigts,
sans ombre aux semelles,
espérant qu’ils m’empoignent
pour entendre.

***

EN EL TIEMPO PRESENTE

Al anochecer me levanto y vuelo
en mi gran camisón de ángel
sobre la tierra;
vuelo sobre los ríos y los árboles,
vuelo sobre la madera tierna y fácil
de los pisos de este mundo.

Pero mis ojos permanecen cerrados.
Mi boca apenas muestra la tristeza,
po los días humildes de terror que me aguardan,
detrás y delante de mí,
como un gran puente.

Reclinado al borde de ese río en París,
llamado «La Seine »,
aquel que va a los mercados
en las mañanas del sábado
trayendo la ceniza y luz de otros tiempos,
me he volteado para adivinarme
más claramente sobre las aguas.

Acaso me he perdido,
como dicen las buenas gentes.
Acaso me he perdido
moviendo la cabeza,
sacudiendo la manga de la camisa,
doblando el zapato,
multiplicando mi sombra
sobre la tierra
con cada gesto, cada palabra,
con la voz que se aleja
y la voz que regresa
sobre este espejo de aguas.

Imagínamos ángeles y voces,
imaginamos bosques y rostros
a través de la oscuridad
sin gente que crece,
a través de la mortaja
que los días y las noches nos imponen
con sus cuatro estaciones,
sus días y sus meses,
sus horas.

Pero dónde está la gracia ?
Y mirando hacia qué lado,
encima o debajo de mí?
Pero dónde está la gracia ?

Estoy suspendido
sin sombra entre los dedos,
sin sombra en las suelas,
esperando que me empujen
para oír.

(Henrique Huaco)

Recueil: La peau du temps
Traduction: Anne-Marie Vindras
Editions: des Crépuscules

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« LE PENSEUR » DE RODIN (Gabriela Mistral)

Posted by arbrealettres sur 26 février 2023



Illustration: Auguste Rodin
    
« LE PENSEUR » DE RODIN

Son menton sur sa main rude,
le Penseur se souvient qu’il est chair vouée à la fosse,
chair de fatalité, nue en face du destin,
chair qui hait la mort, qui a frémi de beauté,
frémi d’amour, tout le long de son ardent printemps
et maintenant, à son automne, sent l’envahir le flot de la vérité et de la tristesse.
Sur son front passe le « il faut mourir »
du bronze, lorsque la nuit tombe.

L’angoisse sillonne ses muscles tendus,
chaque creux de sa chair s’emplit de terreur;
il se fend, telle feuille d’automne, à la voix du Seigneur
qui l’appelle dans le bronze… Et il n’y a pas d’arbre tordu,
sur la plaine au feu du soleil, pas de lion blessé,
crispés comme cet homme qui médite sur la mort.

(Gabriela Mistral)

Recueil: Poèmes choisis Prix Nobel de littérature 1945
Editions: Rombaldi

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Faire contrepoids à la terreur (Bandar Abd al-Hamid)

Posted by arbrealettres sur 18 janvier 2023




    
Faire contrepoids à la terreur

Depuis de longues années
nous vivons une vie stable
dans cette grande bergerie
nous chantons en silence
nous dansons dans l’obscurité

***

(Bandar Abd al-Hamid)

 

Recueil: Poésie Syrienne contemporaine
Traduction:de l’Arabe par Saleh Diab
Editions: Le Castor Astral

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Au marché un fermier a sorti une poule vivante (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 30 novembre 2022



Au marché un fermier a sorti une poule vivante
pour l’échanger contre de l’argent.
La poule a poussé des cris de terreur
comme si elle devinait que la transaction entre le fermier et le client
avait pour but prochain son sang versé et sa chair dévorée.
Ces cris ont duré de longues minutes.
Ils étaient si manifestement inspirés par la vision de la mort
qu’ils en devenaient humains et que j’ai pressé le pas pour ne plus les entendre,
me frayant un chemin parmi les badauds avec, au coeur,
le sentiment d’abandonner à ses bourreaux celle qui n’avait plus comme ressource
que d’appeler à son aide un ciel impassiblement bleu.

(Christian Bobin)

 

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Terre des songes (Andrée Chedid)

Posted by arbrealettres sur 23 septembre 2022



Terre des songes

J’ai ravi l’enfant-roi qui croyait aux voyages.

Sur les toits blêmes, j’ai jeté notre manteau d’oubli.
Nous nous sommes absentés
Laissant l’ombre déchirée du grand chêne sur les marches.
Le cri des terreurs,
L’angle qui rive nos murailles.
Sur mon épaule droite, j’ai pris l’enfant-roi.
Nos traces, le long des terres déteintes,
Avaient la chaleur des gorges d’oiseaux.

L’oeil de l’enfant est né dans le soleil;
Son jardin, où résident les silences,
N’a plus de solitude autour d’un arbre-mort.

Parce que rien n’est simple, j’ai ravi l’enfant-roi.

Et nous voici ensemble:
Ses printemps
Mes automnes
Nos magies
Et mon pas.

(Andrée Chedid)

Illustration

 

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TROP DE MORTS ET DE MAL (Pierre Morhange)

Posted by arbrealettres sur 24 mars 2022



TROP DE MORTS ET DE MAL

C’est un parc aux pigeons
Et vous le croyez doux
Pensez donc!

C’est la grille d’enfer
Pour votre serviteur
songez-y!

Le parc ne lui fait peur
Mais quelques souvenirs
A haïr

Ainsi sommes-nous
Des deux côtés de cette grille
De belle herbe fraîche
Et d’arbres aérés

Vous dites que c’est doux
Que n’y suis-je!
Tandis que j’y frémis
Ah ! Dieu oui !
Car moi je ne m’en tire
Que rompu et roussi

Trop de morts et de mal
Et une nuit trop longue
Pour trop de cruauté
Et nos coeurs trop longtemps serrés
Et presque sans souffler
Trop de notre vie passé dans la terreur et dans la guerre

Jusqu’à nous avoir changés de nature
Et accablés de notre péché la fatigue
Comment décharger nos mémoires
Et les laver des fours et des gibets et de l’outrage ?

Comment revivre ?
Comment des graines dans la cendre
Dans notre âme mortelle nourrie de sable
Trop longtemps bue par le désert ?
Comment revivre ?
Comment des branches vertes
Dans le charbon des arbres calcinés ?
Il faudrait un printemps plus fort
Pour nous reprendre tout à fait
I1 faudrait nous refaire
Au lieu de ces ravines de ces fentes
Dont nous sommes en nous
Tout blanchis et ouverts

Désarmée
Attardée
En tendresse
En détresse
O ma soeur profonde
Que je te reconnais
Nous portons même cendre
Dans un pauvre sachet
Nous avons même soif
Humble et très en peine
De rejaillir et de trembler
De toutes ces fleurs du soleil
Où nos yeux ont recommencé

Vent de la vie au crin puissant
Viens attaquer
Pour en tirer
Les accents et les cris d’une pleine musique
Ces deux violons penchés
Bons pêcheurs ces filets
Allez les replonger
Dans les eaux ruisselantes

(Pierre Morhange)

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SIRÈNES (Marguerite Yourcenar)

Posted by arbrealettres sur 11 mars 2022



Illustration: Victor-Louis Mottez
    
SIRÈNES

Avec des rires sourds et de grondants sanglots,
Les filles de la mer se battent ou s’étreignent,
Et leurs cheveux luisants que dans l’ombre elles peignent
Traînent, fourrure sombre, au pied des noirs îlots.

L’anguille voyageuse et les vifs cachalots,
L’ourson couleur de neige à leur côté se baignent;
Et les feux de leurs yeux s’allument et s’éteignent,
Fanal de naufrageur qui tremble sous les flots

Leurs corps d’ambre et de lait ont la forme des vagues;
Les regrets, les terreurs, l’espoir, les désirs vagues,
Se condensent la nuit dans le brouillard amer.

Et, bercés mollement sur la gorge où tout sombre,
Les morts, coulés à pic, vont savourer dans l’ombre
Tout l’amour contenu dans la mort et la mer.

(Marguerite Yourcenar)

Recueil: Les charités d’Alcippe
Traduction:
Editions: Gallimard

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Les temps vécus… (Gérard Berréby)

Posted by arbrealettres sur 16 mars 2021



    

Les temps vécus…

les temps vécus n’étaient pas ceux d’aujourd’hui
après avoir distillé
la discorde à tous les étages
nous voilà bardés
d’incertitudes majeures
apeurés et perdus
le bruit de l’impuissance
les gens meurent et d’autres parlent
trop beaucoup trop
il n’y a plus de place dans les cimetières
l’espace se rétrécit
le temps se dilate
les heures se confondent
et les jours s’éloignent
la maladie d’un monde malade
peur angoisse terreur
suintent sous le masque tragique
des apparences

(Gérard Berréby)

Découvert ici: https://schabrieres.wordpress.com/

Recueil: Le Silence des mots
Traduction:
Editions: Allia

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Musiciens (Henrik Ibsen)

Posted by arbrealettres sur 10 décembre 2020



Illustration: Christian Girault
    
Musiciens

Chaque nuit de l’été
vers elle allaient mes pensées ;
mais le chemin menait au fleuve
par le fourré plein de rosée.

Hé ! connais-tu la terreur et les chants,
sais-tu ensorceler le coeur de la belle,
de sorte qu’elle pense t’introduire dans
de grandes églises et salles !

J’ai suscité le malheur dans l’abîme ; il
m’a détourné de Dieu en jouant ; mais
lorsque je fus devenu son maître, elle
était la fiancée de mon frère.

Dans de grandes églises et salles
c’est moi que j’ai introduit par mon jeu, et
la terreur et les chants de la cascade de
mon coeur jamais ne se sont détournés.

(Henrik Ibsen)

 

Recueil: Poèmes
Traduction: Régis Boyer
Editions: Les Belles Lettres

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