Je pensais à toi très fort
en montant dans le bus
j’ai payé 30 cents et
demandé deux tickets
au conducteur
avant de comprendre que
j’étais tout seul.
***
30 Cents, Two Transfers, Love
Thinking hard about you
I got onto the bus and
paid 30 cents car fare
and asked the driver for
two transfers
before discovering that I
was alone.
(Richard Brautigan)
Recueil: C’est tout ce que j’ai à déclarer Oeuvres poétiques complètes
Traduction: Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard
Editions: Le Castor Astral
J’ai écrit ces textes dans des carnets, des cahiers,
sur des pages volantes, des agendas, des tickets, des listes,
des enveloppes, des marque-pages ou dans mon téléphone ;
je les ai écrits dans les gares, les trains, les hôtels,
les cafés, chez moi, dans le métro, en ville et en d’autres lieux.
La poésie demeure pour moi comme une apparition, une attention portée à l’infime,
comme le surgissement d’un éclat fugace au coeur de nos vies.
L’éclosion d’invisibles soleils.
Peut-être, à cet instant-là, les mots peuvent-ils saisir quelque chose de ce jaillissement.
Elle est le regard nu, débarrassé de ce qui pèse, de ce qui encombre,
elle est le retour à la source, la lumière qui s’at-tarde sur un mur,
le frémissement qui parcourt un visage, la chaleur d’un corps aimé,
elle est le mot que l’on attend et qui nous sauvera peut-être.
J’ai eu envie de vous offrir aujourd’hui
cette moisson de mots cueillis jour après jour,
qu’ils aient été d’orage ou d’allégresse.
Mais vivants.
Vivants, oui, et vibrants, toujours.
(Gaëlle Josse)
Recueil: et recoudre le soleil
Traduction:
Editions:NOTAB/LIA
On prend le ticket, les pneus crissent
La hauteur du plafond interroge
On se demande à quoi pouvait
Servir Bach
Avant
L’invention des parkings souterrains
Dans les rues à minuit ne coule aucun ruisseau
il ne naît qu’avec l’aube et le bon balayeur
qui lui ouvre la porte et dirige ses pas
pousse dans son eau claire ordures, feuilles mortes
les tickets de métro les cendriers vidés
tout et n’importe quoi file vers cette bouche
qui avale le ru pour le rendre à l’égout
Il renaît à l’azur lorsque sorti du noir
il laissera sa lie aux terrains d’épandage
Alors plus pur plus libre il s’en va vers l’aval
retrouver loin des ports le trésor des possibles
Ici
on cherche toujours quelque chose
dans les cafés, les églises, les places
et jusque dans les poubelles
on cherche en l’autre, en soi
dans la cohue des trottoirs
l’accalmie des ponts
dans l’eau stagnante des fontaines
et sur les bancs indiscrets
on cherche en bas, en haut, devant soi
un ticket de métro
une terre ou une femme perdus
un livre qu’on lira
sur un lit d’hôpital ou en prison
une chanson sans titre
un ouvre-boîtes solide
un oiseau qui ne chante que de nuit
On cherche
un regard qui fera basculer votre vie
un graffiti à vous seul adressé
un heurtoir arabe sur une porte italienne
une carte postale que vous avez envoyée il y a vingt ans
et que le destinataire a revendue
votre date de mort inscrite
A quoi bon parler? A quoi bon trop d’explications?
Quand tu marches d’un pas pressé pour rejoindre
tes amis qui t’attendent pour une affaire
très importante et qui te concerne, toi, quelques-uns et d’autres encore,
voici que tu t’arrêtes subitement au milieu du chemin pour observer
l’oiseau qui trottine paisiblement sur l’asphalte,
sa tête redressée, extatique, mieux instruite de ce qui l’entoure,
tenant un ticket d’autobus dans son long bec.
L’amour est comme l’oiseau de Twitter
On est bleu de lui, seulement pour 48 heures
D’abord on s’affilie, ensuite on se follow
On en devient fêlé, et on finit solo
Prends garde à toi
Et à tous ceux qui vous like
Les sourires en plastique sont souvent des coups d’hashtag
Prends garde à toi
Ah les amis, les potes ou les followers
Vous faites erreur, vous avez juste la cote
Prends garde à toi
Si tu t’aimes
Garde à moi
Si je m’aime
Garde à nous, garde à eux, garde à vous
Et puis chacun pour soi
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça, consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça, consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça consomme, somme, somme, somme, somme
L’amour est enfant de la consommation
Il voudra toujours toujours toujours plus de choix
Voulez voulez-vous des sentiments tombés du camion ?
L’offre et la demande pour unique et seule loi
Prends garde à toi
« Mais j’en connais déjà les dangers, moi
J’ai gardé mon ticket et, s’il le faut, j’vais l’échanger, moi
Prends garde à toi
Et, s’il le faut, j’irai m’venger moi
Cet oiseau d’malheur, j’le mets en cage
J’le fais chanter, moi »
Prends garde à toi
Si tu t’aimes
Garde à moi
Si je m’aime
Garde à nous, garde à eux, garde à vous
Et puis chacun pour soi
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça, consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça, consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça consomme, somme, somme, somme, somme
Et c’est comme ça qu’on s’aime, s’aime, s’aime, s’aime
Comme ça consomme, somme, somme, somme, somme
Un jour t’achètes, un jour tu aimes
Un jour tu jettes, mais un jour tu payes
Un jour tu verras, on s’aimera
Mais avant on crèvera tous, comme des rats