moi
je ne l’ai pas invitée
à me rendre visite
elle tourne autour de moi
je la chasse
mais
telle une mouche noire
telle une mouche noire et laide
elle vole ici et là
et se pose au fond de mon coeur
la mélancolie
est une vache idiote
qui rumine
l’herbe et la paille de ma joie
(Maram al-Masri)
Recueil: Cerise rouge sur carrelage blanc
Editions: Bruno Doucey
J’ai vécu sans le savoir,
Comme l’herbe pousse…
Le matin, le jour, le soir
Tournaient sur la mousse.
Les ans ont fui sous mes yeux
Comme, à tire-d’ailes,
D’un bout à l’autre des cieux
Fuient les hirondelles…
Mais voici que j’ai soudain
Une fleur éclose.
J’ai peur des doigts qui demain
Cueilleront ma rose,
Demain, demain, quand l’Amour
Au brusque visage
S’abattra comme un vautour
Sur mon cœur sauvage.
Dans l’Amour si grand, si grand,
Je me perdrai toute,
Comme un agnelet errant
Dans un bois sans route.
Dans l’Amour, comme un cheveu
Dans la flamme active,
Comme une noix dans le feu,
Je brûlerai vive.
Dans l’Amour, courant amer,
Las ! comme une goutte,
Une larme dans la mer,
Je me noierai toute.
Mon cœur libre, ô mon seul bien,
Au fond de ce gouffre,
Que serai-je ? Un petit rien
Qui souffre, qui souffre !
Quand deux êtres, mal ou bien,
S’y fondront ensemble,
Que serai-je ? Une petit rien
Qui tremble, qui tremble !
J’ai peur de demain, j’ai peur
Du vent qui me ploie,
Mais j’ai plus peur du bonheur,
Plus peur de la joie
Qui surprend à pas de loup,
Si douce, si forte
Qu’à la sentir tout d’un coup
Je tomberai morte,
Demain, demain, quand l’Amour
Au brusque visage
S’abattra comme un vautour
Sur mon cœur sauvage…
………………
Quand mes veines l’entendront
Sur la route gaie,
Je me cacherai le front
Derrière une haie.
Quand mes cheveux sentiront
Accourir sa fièvre,
Je fuirai d’un saut plus prompt
Que le bond d’un lièvre.
Quand ses prunelles, ô dieux !
Fixeront mon âme,
Je fuirai, fermant les yeux,
Sans voir feu ni flamme.
Quand me suivront ses aveux
Comme des abeilles,
Je fuirai, de mes cheveux
Cachant mes oreilles.
Quand m’atteindra son baiser
Plus qu’à demi-morte,
J’irai sans me reposer
N’importe où, n’importe
Où s’ouvriront des chemins
Béants au passage,
Eperdue et de mes mains
Couvrant mon visage.
Et, quand d’un geste vainqueur,
Toute il m’aura prise,
Me débattant sur son cœur,
Farouche, insoumise,
Je ferai, dans mon effroi
D’une heure nouvelle,
D’un obscur je ne sais quoi,
Je ferai, rebelle,
Quand il croira me tenir
A lui tout entière,
Pour retarder l’avenir,
Vingt pas en arrière !…
S’il allait ne pas venir !…
(Marie Noël)
Recueil: Quelqu’un plus tard se souviendra de nous
Traduction: Lauraine Jungelson
Editions: Gallimard
Cette terre a l’écorce de ses vieux sycomores,
La rudesse de ses pins, la douceur des lavandes,
Le parfum tourmenté des roseaux sur la lande,
Et dans son sang chrétien le fantôme des Mores.
Les oliviers crochus s’y tordent infiniment,
Cloués à des collines qui n’en finissent pas,
Et crucifiés d’ardeur sur leur brun Golgotha,
Ils languissent la pluie en verts tressaillements.
Quand le soir décadent incendie les remparts,
A l’heure où la montagne tourne fantomatique,
On peut voir indécise, sereine et famélique,
Quelque chèvre accrochée aux rochers du hasard.
Cette terre porte ses villes comme autant de diadèmes,
Cordoba la gitane et Séville la mauresque,
Et Granada la rouge et Cadiz l’arabesque,
Cette terre bâtit ses villes comme autant de poèmes.
Partout sont les mosquées et les blanches cathédrales,
Les minarets de fièvre et les clochers d’orgueil,
Les villages andalous assoupis sur le seuil,
Et la lourde torpeur de la mer orientale.
Ce pays est un rêve, un délire céramique,
Une harmonie bleutée de soleil et de mer,
Avec dans son âme le reproche doux-amer
D’une guitare flamenco sanglotant sa musique.
Tourne la vie des gens sur le périphérique
Il faut remonter souvent ces souris mécaniques
Heureusement qu’ils nous passent
Clic un peu d’musique une chanson d’Jonasz
C’est comme un pansement sur le coeur qu’on a
Cet homme qui pleure sa vie on s’dit tiens y’a pas qu’moi
C’est l’âme à l’âme qui colle
Ces Jonasz paroles
Y’a l’monde à changer mais par où commencer
Y’a Flore qui pleure et Rose qui voudrait s’en aller
Y’a les yeux d’la terre qui piquent
Dans cette Jonasz musique
Funky blues Rimbaud
Tout c’qu’y dit c’est beau
Dans l’coeur ce grand vent
Tellement émouvant
Quelle chanson fiévreuse
Dit cette face de lune chanteuse
Tourne la vie des gens
Y faut remonter souvent
Heureusement qu’ils nous passent
Une chanson d’Jonasz
Chanson d’Jonasz
(Alain Souchon)(Laurent Voulzy)
Recueil: Des chansons pour le dire Une anthologie de la chanson qui trouble et qui dérange (Baptiste Vignol)
Editions: La Mascara TOURNON
Peut-être qu’il n’est pas suffisant,
de manger, de boire,
de danser, et de voyager,
et de faire attention aux bouteilles
au rôti, aux danseuses brochées,
et aux reflets de la mer ―
ni de combiner, de s’efforcer de de multiplier
ces fruits terrestres.
Peut-être est-ce œuvre vaine et dont
Jamais je ne serai satisfait.
Je n’en retirerai que de nouvelles corbeilles
qu’une abondance de récolte,
et l’appétit alors me manquera
et je n’aurai que la satisfaction de
les jeter aux autres en faisant quant
à moi le dégouté ―
Peut-être faut-il tourner le dos à la vie
et contempler les révélations,
les révélations anciennes qui renaissent
dans mon cœur ―
(Alain Rascle)
Recueil: Le livre d’or de la poésie française contemporaine
Editions: Marabout
Nous vivions englués au plafond
Suffoqués par les vapeurs rances exhalées de la vie quotidienne
Nous vivions rivés aux plus basses profondeurs de la nuit
Nos peaux séchées par la fumée des passions
Nous tournions autour du pôle lucide de l’insomnie
Jumelés par l’angoisse séparés par l’extase
Vivant notre mort dans le goulot de la tombe
(Joyce Mansour)
Recueil: Le livre d’or de la poésie française contemporaine
Editions: Marabout
Je suis allé me promener
Au matin j’ai vu les tombeaux
A la terre noire mêlés
J’ai vu les corps délicats
Certains tristes, d’autres souriants
Couchés mystérieusement dans les tombes
Les veines vidées, le sang tari
j’ai vu les linceuls engloutis.
Des tombes pleines, démolies
Leurs maisons à tous sont en ruines
Je les ai vus libres de tout souci
j’en ai vu tant en piètre état.
Plus de pâture au pâturage
Et plus d’hiver à l’hivernage
Toutes rouillées, rendues muettes
J’ai vu les langues dans les bouches.
Les uns dans les plaisirs et la boisson
Certains dans la musique et dans la fête
Certains dans le malheur et la souffrance
J’ai vu les jours devenus hier.
Ces yeux noirs sont ternis
Ces visages de lune effacés
Dessous la terre noire
J’ai vu les mains qui ont cueilli des roses.
Les uns tête inclinée
Ont à la terre abandonné leur corps
Partis fâchés avec leur mère
Je les ai vus tourner la tête.
Certains pleurent en gémissant
Les démons marquent leur âme au fer
Leur tombeau est en flammes
J’ai vu s’élever la fumée.
Lorsque Younous a vu cela
Il est venu nous l’annoncer
Mon esprit s’émut, ma raison s’étonna
Lorsque j’ai vu tout cela.