Arbrealettres

Poésie

Posts Tagged ‘travailler’

En travaillant la terre (Grégory Rateau)

Posted by arbrealettres sur 18 février 2023



Illustration: Erich Heckel
    
En travaillant la terre

Le vieux est là
Muet comme une souche
Il attend que le nuage passe
Ses outils sont comme des promesses
Un supplément de force
Malgré les années
Chaque muscle est à sa place
Pour faucher
Bêcher
Ratisser

Je regarde ma main
Pas un pli
La finesse des doigts qui ne trompe pas
Elle n’a donc servi à rien
Le vieux ne me le dit pas
Trop brave
Sa poigne montre l’exemple
Mes pas deviennent les siens

Je suis vite à la traîne
Sans un mot
Le voilà qui porte deux fois plus que moi
J’ai vu la ville de près ses fulgurances
Ses éclats mystiques
Ses passions au rabais
Rastignac du pauvre
J’ai croisé le fer avec elle
Ne blessant que moi-même

Le vieux n’a rien vu lui
Aucune lutte
Une simple ligne d’horizon
Des remparts de forêts sous un ciel vide
Il ne goûtera jamais à l’ennui qui élève
Aux délices de la foule
Son champ sera sa seule ivresse
Et pourtant lui en a palpé de la terre
Sué pour la rendre fertile
Son nom restera une empreinte

Que laisserai-je dans le bitume ?
Des projets froissés
Des rêves léthargiques…
Au loin je vois des tours
Les murs se rapprochent
Que restera-t-il du vieux
Quand même les arbres alentour seront maigres comme mes dix doigts ?

(Grégory Rateau)

 

Recueil: Conspiration du réel
Traduction:
Editions: Unicité

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

La Carmagnole (Anonyme)

Posted by arbrealettres sur 6 février 2023




    
La Carmagnole

Madam’Veto avait promis
Madam’Veto avait promis
De faire égorger tout Paris
De faire égorger tout Paris
Mais son coup a manqué
Grâce à nos canonniers

Refrain
Dansons la carmagnole
Vive le son, vive le son
Dansons la carmagnole
Vive le son du canon!

Monsieur Veto avais promis
Monsieur Veto avais promis
D’être fidèle à son pays
D’être fidèle à son pays
Mais il y a manqué
Ne faisons plus quartier

Amis restons toujours unis
Amis restons toujours unis
Ne craignons pas nos ennemis
Ne craignons pas nos ennemis
S’ils viennent nous attaquer
Nous les ferons sauter.

Antoinette avait résolu
Antoinette avait résolu
De nous faire tomber sur le cul
De nous faire tomber sur le cul
Mais son coup a manqué
Elle a le nez cassé

Son mari se croyant vainqueur
Son mari se croyant vainqueur
Connaissait peu notre valeur
Connaissait peu notre valeur
Va, Louis, gros paour
Du temple dans la tour

Les Suisses avaient promis
Les Suisses avaient promis
Qu’ils feraient feu sur nos amis
Qu’ils feraient feu sur nos amis
Mais comme ils ont sauté
Comme ils ont tous dansé !

Quand Antoinette vit la tour
Quand Antoinette vit la tour
Elle voulut faire demi-tour
Elle voulut faire demi-tour
Elle avait mal au coeur
De se voir sans honneur.

Lorsque Louis vit fossoyer
Lorsque Louis vit fossoyer
A ceux qu’il voyait travailler
A ceux qu’il voyait travailler
Il disait que pour peu
Il était dans ce lieu.

Le patriote a pour amis
Le patriote a pour amis
Tout les bonnes gens du pays
Tout les bonnes gens du pays
Mais ils se soutiendront
Tous au son du canon.

L’aristocrate a pour amis
L’aristocrate a pour amis
Tous les royalistes de Paris
Tous les royalistes de Paris
Ils vous le soutiendront
Tout comme de vrais poltrons!

La gendarmerie avait promis
La gendarmerie avait promis
Qu’elle soutiendrait la patrie.
Qu’elle soutiendrait la patrie.
Mais ils n’ont pas manqué
Au son du canonnier

Oui je suis sans-culotte, moi
Oui je suis sans-culotte, moi
En dépit des amis du roi
En dépit des amis du roi
Vivent les Marseillois
Les bretons et nos lois !

Oui nous nous souviendrons toujours
Oui nous nous souviendrons toujours
Des sans-culottes des faubourgs
Des sans-culottes des faubourgs
A leur santé buvons
Vive ces francs lurons!

(Anonyme)

 

Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

La boulangère a des écus qui ne lui coûtent guère (Anonyme)

Posted by arbrealettres sur 6 février 2023




    
La boulangère a des écus
Qui ne lui coûtent guère.
La boulangère a des écus
Qui ne lui coûtent guère.
Elle en a, je les ai vus,
J’ai vu la boulangère aux écus
J’ai vu la boulangère.

Et d’où viennent tous ces écus,
Charmante boulangère?
Et d’où viennent tous ces écus,
Charmante boulangère?
Ils me viennent d’un gros Crésus
Dont je fais bien l’affaire, vois-tu,
Dont je fais bien l’affaire.

À mon four aussi sont venus
De galants militaires.
À mon four aussi sont venus
De galants militaires.
Moi je préfère les Crésus
À tous les gens de guerre, vois-tu,
À tous les gens de guerre.

Des petits maîtres sont venus
En me disant: Ma chère,
Des petits maîtres sont venus
En me disant: Ma chère
Vous êtes plus belle que Vénus.
Je n’les écoutai guère, vois-tu,
Je n’les écoutai guère.

Des abbés coquets sont venus
Ils m’offraient pour me plaire
Des abbés coquets sont venus
Ils m’offraient pour me plaire
Des fleurettes au lieu d’écus.
Je les envoyai faire, vois-tu
Je les envoyai faire.

Moi, je ne suis pas un Crésus,
Abbé ou militaire.
Moi, je ne suis pas un Crésus,
Abbé ou militaire.
Mais mes talents sont bien connus
Boulanger de Cythère, vois-tu
Boulanger de Cythère.

Je pétrirai le jour venu
Notre pâte légère.
Je pétrirai le jour venu
Notre pâte légère.
Et la nuit, au four, assidu
J’enfournerai, ma chère, vois-tu
J’enfournerai, ma chère

Eh bien! épouse ma vertu,
Travaille de bonne manière.
Eh bien! épouse ma vertu,
Travaille de bonne manière.
Et tu ne seras pas déçu
Avec moi boulangère, aux écus!
Avec moi boulangère.
La boulangère a des écus
Qui ne lui coûtent guère.

(Anonyme)

 

Recueil: Les plus belles chansons du temps passé
Traduction:
Editions: Hachette

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Le nom des arbres (Corinne Albaut)

Posted by arbrealettres sur 29 janvier 2023



Illustration: Catherine Fichaux  
    
Le nom des arbres

Le chêne n’est pas enchaîné,
Le bouleau ne sait pas travailler,
Le peuplier ne peut pas se plier,
Pourtant le tremble est tout tremblant
Et le charme très charmant.

(Corinne Albaut)

Recueil: Comptines des secrets de la Forêt
Traduction:
Editions: Actes Sud Junior

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

On peut très bien faire une chose (Christian Bobin)

Posted by arbrealettres sur 26 novembre 2022



On peut très bien faire une chose sans y être.
On peut même passer le clair de sa vie,
parler, travailler, aimer, sans y être jamais.

(Christian Bobin)

 

 

Posted in méditations | Tagué: , , , , , , , , | Leave a Comment »

J’ai vécu (mais pas de ma plume!) (Michel Besnier)

Posted by arbrealettres sur 25 août 2022



Illustration: Henri Galeron
    
J’ai vécu
(mais pas de ma plume!)
j’ai pondu
j’ai couvé
j’ai gratté
sans ergoter
j’ai chanté
Kot kot kot
coûte que coûte
j’ai pris des
coups dans l’aile
et travaillé du jabot

Toute une vie
doux gésier!
pour finir en
cocotte

(Michel Besnier)

 

Recueil: Mes poules parlent
Traduction:
Editions : Møtus

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Le Petit Chat (Edmond Rostand)

Posted by arbrealettres sur 2 avril 2022




Illustration: ArbreaPhotos
    
Le Petit Chat

C’est un petit chat noir effronté comme un page,
Je le laisse jouer sur ma table souvent.
Quelquefois il s’assied sans faire de tapage,
On dirait un joli presse-papier vivant.

Rien en lui, pas un poil de son velours ne bouge ;
Longtemps, il reste là, noir sur un feuillet blanc,
A ces minets tirant leur langue de drap rouge,
Qu’on fait pour essuyer les plumes, ressemblant.

Quand il s’amuse, il est extrêmement comique,
Pataud et gracieux, tel un ourson drôlet.
Souvent je m’accroupis pour suivre sa mimique
Quand on met devant lui la soucoupe de lait.

Tout d’abord de son nez délicat il le flaire,
La frôle, puis, à coups de langue très petits,
Il le happe ; et dès lors il est à son affaire
Et l’on entend, pendant qu’il boit, un clapotis.

Il boit, bougeant la queue et sans faire une pause,
Et ne relève enfin son joli museau plat
Que lorsqu’il a passé sa langue rêche et rose
Partout, bien proprement débarbouillé le plat.

Alors il se pourlèche un moment les moustaches,
Avec l’air étonné d’avoir déjà fini.
Et comme il s’aperçoit qu’il s’est fait quelques taches,
Il se lisse à nouveau, lustre son poil terni.

Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates ;
Il les ferme à demi, parfois, en reniflant,
Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes,
Avec des airs de tigre étendu sur le flanc.

Mais le voilà qui sort de cette nonchalance,
Et, faisant le gros dos, il a l’air d’un manchon ;
Alors, pour l’intriguer un peu, je lui balance,
Au bout d’une ficelle invisible, un bouchon.

Il fuit en galopant et la mine effrayée,
Puis revient au bouchon, le regarde, et d’abord
Tient suspendue en l’air sa patte repliée,
Puis l’abat, et saisit le bouchon, et le mord.

Je tire la ficelle, alors, sans qu’il le voie,
Et le bouchon s’éloigne, et le chat noir le suit,
Faisant des ronds avec sa patte qu’il envoie,
Puis saute de côté, puis revient, puis refuit.

Mais dès que je lui dis : « Il faut que je travaille,
Venez vous asseoir là, sans faire le méchant ! »
Il s’assied… Et j’entends, pendant que j’écrivaille,
Le petit bruit mouillé qu’il fait en se léchant.

(Edmond Rostand)

Recueil: Les Musardises
Traduction:
Editions:

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Finalement tout semblait superflu (Nilavronill Shoovro)

Posted by arbrealettres sur 17 mars 2022



Illustration: Nicole Senlis    
    
Poem in French, English, Spanish, Dutch and in Albanian, Arabic, Armenian, Bangla, Bosnian, Catalan, Chinese, Farsi, Filipino, German, Greek, Hebrew, Hindi, Icelandic, Indonesian, Irish (Gaelic), Italian, Japanese, Kiswahili, Kurdish, Macedonian, Malay, Polish, Portuguese, Romanian, Russian, Sardinian, Serbian, Sicilian, Swedish, Tamil

Painting by Nicole Senlis, France

Poem of the Week Ithaca 718,

NILAVRONILL SHOOVRO, L’Inde, India

– All translations are made in collaboration with Germain Droogenbroodt –

***

Finalement tout semblait superflu,
nos caprices, nos soucis,
nos mots de tous les jours
virevoltant entre
les quatre coins de toute affaire statutaire.

Finalement tout était
aussi prévisible que le dénouement
d’un drame bien travaillé,
si bien que nos mots restaient muets
comme le désert fatigué
après le plus long jour de l’année.

Finalement tout nous chassait
vers la frange des mots,
échangés entre nos débats,
nos plans secrets,
nos mensonges à travers l’histoire
de guerre et de paix que déploie le temps.

(Nilavronill Shoovro)

Inde
Traduction Germain Droogenbroodt – Elisabeth Gerlache

***

In the end everything seemed
to be superfluous,
our whims, our worries,
our everyday words
whirling in between
the four corners of any statutory affairs

in the end everything was
so predictable like the unfolding
of any well-rehearsed drama
that our words became silent
like the tired desert
after the longest day of the year

in the end everything pushed
us to the edge of the words,
we exchanged in between our debates,
our secret plans,
our lies along the history
of war and peace unfolding the time

NILAVRONILL SHOOVRO, India

***

Al final todo parecía
ser superfluo,
nuestros caprichos, nuestras preocupaciones,
nuestras palabras cotidianas
que se arremolinan entre
las cuatro esquinas de cualquier asunto estatutario

Al final todo era
tan predecible como el desarrollo
de cualquier drama bien ensayado
que nuestras palabras se callaron
como el/un desierto cansado
después del día más largo del año

Al final todo nos empujó
hasta el borde de las palabras
que intercambiamos entre nuestros debates,
nuestros planes secretos,
nuestras mentiras a lo largo de la historia
de la guerra y la paz desplegando el tiempo

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Traducción Germain Droogenbroodt – Rafael Carcelén

***

Uiteindelijk leek alles
overbodig te zijn,
onze grillen, onze zorgen,
onze alledaagse woorden
wervelend tussen
de vier hoeken van alle statutaire zaken

Uiteindelijk was alles
zo voorspelbaar als de ontknoping
van een goed ingestudeerd drama,
zodat onze woorden verstomden
als de vermoeide woestijn
na de langste dag van het jaar

Uiteindelijk stootte alles
ons naar de rand van de woorden,
die we uitwisselden tussen onze debatten,
onze geheime plannen,
onze leugens doorheen de geschiedenis
van oorlog en vrede die de tijd ontvouwt.

NILAVRONILL SHOOVRO, Indië
Vertaling Germain Droogenbroodt

***

FJALËT

Në fund gjithçka dukej
që ishte e tepërt,
tekat, shqetësimet tona,
fjalët tona të përditshme
që shtjelloheshin mes
katër qosheve të çdo çështjeje statutore

në fund gjithçka ishte
aq e parashikueshme si shpalosja
e një drame të përgatitur mirë
sa fjalët tona u bënë të heshtura
si shkretëtira e lodhur
pas ditës më të gjatë të vitit

në fund çdo gjë na shtyu
deri në cep të fjalëve,
që shkëmbyem midis debateve,
planeve sekrete,
gënjeshtrave tona përgjatë historisë
së luftës dhe paqes në një kohë pa limit

NILAVRONILL SHOOVRO, Indi
Përktheu: Irma Kurti
Translated into Albanian: Irma Kurti

***

فِي النِّهَايَةِ يَبْدُو كُلَّ شَيْءٍ غَيرُ ضَرُورِي
نَزَوَاتِنَا، هُمُومِنا ، كَلِمَاتِنَا اليَومِيَّةِ
تَدُورُ حَولَ مُمَارَسَاتِ سُلُطَاتِنَا القَانُونِية

فِي النِّهَايَةِ كَانَ كُلُ شَيْءٍ مُتَوقَعًا جِدًا
مِثْلَ عَرْضِ حَلَقَاتِ دَرَامَا تَمَّ التَّدَرُبُ عَلِيهَا جَيدًا
لِدَرَجَةِ أَنَّ كَلِمَاتِنَا أَصْبَحَتْ صَامِتَةً مِثْلَ الصَّحَراَءِ المتْعَبَةِ
بَعْدَ أَطْولِ يَوْمِ فِي السَّنَة.

فِي النِّهَايَة دَفَعْنَا كُلَ شَيءٍ إِلَى حَافَّةِ الكَلِمَاتِ
تَبَادَلْنَا مُنَاقَشَاتِنَا وَخُطَطُنَا السِّرِيَّة وَأَكَاذِيبِنَا
عَلَى امْتِدَادِ تَارِيخِ الحَرْبِ وَالسَّلاَمِ
الذِي بَدَأَ فِي ذَلِك الوَقْت.

نيلا فرونيل شوفرو (NilavroNillShoovro)، الهند
ترجمة للعربية: عبد القادر كشيدة
Translated into Arab by Mesaoud Abdelkader

***

Վերջում ամեն բան թվում է ավելորդ.
մեր քմահաճույքները, անհանգստությունները
ամենօրյա խոսքերը, որ պտտվում են
մեր օրինական գործերի
չորս անկյունների միջև
վերջում ամեն բան այնքան կանխատեսելի էր,

ինչպես լավ փորձված դրամայի բացահայտումը
և մեր խոսքերը դարձան լռություն
ինչպես հոգնած անապատը
տարվա ամենաերկար օրվանից հետո
վերջում ամեն ինչ հրում է մեզ դեպի բառերի եզրը,
մենք մանրացանք մեր բանավեճերի,

գաղտնի ծրագրերի, մեր ստերի միջև,
որ բացահայտում է ժամանակը
պատերազմի և խաղաղության
պատմության ընթացքում:
:
Նիլավրոնիլ Շուվրո, Հնդկաստան
Հայերեն թարգմանությունը Արմենուհի Սիսյանի
Translated into Armenian by Armenuhi Sisyan

***

সবশেষে মনে হল সবকিছুই
যেন বাহুল্য পূর্ণ,
আমাদের আকস্মিক খেয়াল, আমাদের ভাবনা,
আমাদের প্রতিদিনের শব্দমালা
ঘূর্ণমান যেকোনো
সংবিধিবদ্ধ নিয়মের চার কোন এর মাঝে

অবশেষে সবকিছুই ছিল
তো অনুমেয় যেন প্রসারিত
যে কোন নাটকের উচ্চ -মহড়ার মত
যে আমাদের শব্দমালা হয়ে গেল নিরব
অবসন্ন মরুভূমির মতো
বছরের দীর্ঘতম বড় দিনের পর

উপসংহারে সবকিছুই প্রেরণা দেয়
আমাদের শব্দমালার প্রান্তসীমায়,
আমাদের বিতর্ক এর মধ্য দিয়ে আমরা বিনিময় করি,
আমাদের নিগূঢ় অভিসন্ধি,
ইতিহাসের পাশাপাশি আমাদের অসত্য গুলি
যুদ্ধ আর শান্তির ভাঁজ আরও প্রকাশ করে সময়

নীলাভ্রনীল শুভ্র, ভারত
Bangla Translation: Tabassum Tahmina Shagufta Hussein

***

Na kraju je sve izgledalo
biti suvišan,
naši hirovi, naše brige,
naše svakodnevne reči
vrteći se između
četiri ugla bilo kojih statutarnih poslova

na kraju je sve bilo
tako predvidljiv poput raspleta
bilo koje dobro uvježbane drame
da su naše reči utihnule
kao umorna pustinja
nakon najdužeg dana u godini

na kraju je sve gurnulo
nas do ruba riječi,
razmenjivali smo se između naših debata,
naši tajni planovi,
naše laži duž istorije
rata i mira koji se odvija u vremenu

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Translation in Bosnian: Mait Corbic

***

Al final tot semblava
ser superflu,
els nostres capritxos, les nostres preocupacions,
les nostres paraules quotidianes
girant entremig
dels quatre racons de qualsevol assumpte estatutari

al final tot va ser
tan previsible com el desenvolupament
de qualsevol drama ben assajat
fins al punt que les nostres paraules es van silenciar
com el desert cansat
després del dia més llarg de l’any

al final tot ens empeny
al límit de les paraules,
vam intercanviar entretant els nostres debats,
els nostres plans secrets,
les nostres mentides al llarg de la història
de la guerra i la pau desplegant el temps

NILAVRONILL SHOOVRO, Índia
Traducció al català: Natalia Fernández Díaz-Cabal

***

最后一切似乎
都是多余的,
我们的妙想,我们的担忧,
我们的日常用语
旋转在任何法定
事务的四个角落之间

最后一切都是那么
的意料之中就像正在展演的
任何排练好的戏剧
我们的话语就像疲惫的
沙漠在一年中最长的一天
之后变得沉默

最后一切都促使
我们到达了文字的边缘,
我们在辩论之间交换意见,
我们的秘密计划,
我们正展现时代的
和平与战争的历史中的谎言

原作:印度 尼拉夫诺· 尼俄·胥夫诺
汉译:中国 周道模 2022-2-5
Translated into Chinese by Willam Zhou

***

آخر هرچیزی
اطناب آمیز است،
کلمات هر روزه‌ی مان
چرخیدن در بین
چهارگوشه‌ی امور قانونی
و در آخر هرچیزی
قابل پیش‌بینی بود مانند انجام
یک نماشی به خوبی اجرا شده
که کلماتمان به سکوت تبدیل شد
چون کویری خسته
بعد از طولانی‌ترین روز سال
در پایان همه چیز ما را
به لبه‌ی کلمات راند
ما نقشه‌های محرمانه‌مان را
بین کلمات رد و بدل کردیم
دروغ‌هایمان در طول تاریخ
جنگ و صلح زمان را آشکار می‌کند.

نیلاورونیل شوورو، هندوستان
ترجمه از سپیده زمانی
Translated into Farsi by Sepideh Zamani

***

Sa katapos-tapusan ang lahat ay tila
sobrang kalabisan,
ang ating mga kapritso, mga alalahanin,
ang ating mga kataga bawat araw
ng umiikot sa pagitan
ng apat na sulok ng anumang gawaing ayon sa batas

Sa huli ang lahat ay ay
madaling malaman tulad ng paglalahad
ng anumang dramang mahusay ang pagkakaensayo
na ang ating mga pananalita ay naging tahimik
tulad ng pagod na disyerto
pagkatapos ng pinakamahabang araw ng taon

sa huli ang lahat ay itinulak
tayo sa hangganan ng mga salita,
nagpalitan tayo sa gitna ng ating pagtatalo
ng ating mga lihim na plano,
mga kasinungalingan ng nagdaang kasaysayan
patungkol sa digmaan at kapayapaang nilahad ng panahon.

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Translation into Filipino Language by Eden Soriano Trinidad

***

Am Ende schien alles
überflüssig zu sein,
unsere Launen, unsere Sorgen,
unsere alltäglichen Worte
schwirrend zwischen
den vier Ecken der gesetzlichen Vorschriften

Am Ende war alles
so vorhersehbar wie die Entfaltung
eines gut geprobten Dramas
dass unsere Worte verstummten
wie die müde Wüste
nach dem längsten Tag des Jahres

Am Ende drängte alles
uns bis an den Rand der Worte,
die wir zwischen unseren Debatten austauschten,
unsere geheimen Pläne,
unsere Lügen entlang der Geschichte
von Krieg und Frieden, die die Zeit entfaltet.

NILAVRONILL SHOOVRO, Indien
Übersetzung Germain Droogenbroodt – Wolfgang Klinck

***

Τελικά όλα μοιάζουν
να `ναι περιττά.
Τα κέφια μας, οι ανησυχίες
τα καθημερινά μας λόγια
που στριφογυρίζουν ανάμεσα
στις τέσσερις γωνίες στατικότητας

τελικά όλα ήταν
τόσο προβλεπόμενα
όσο η εξέλιξη ενός
καλογραμμένου δράματος που
τα λόγια μας αποσιωπήθηκαν
σαν κουρασμένη έρημος
τη μεγαλύτερη μέρα του χρόνου

τελικά όλα μας έσπρωξαν
στις άκρες των λέξεων
διαφωνίες που ανταλλάξαμε
τα μυστικά μας σχέδια
τα ψέμματα μας στην ιστορία
πολέμου και ειρήνης που εξελίσσεται
μέσα στο χρόνο στο χρόνο

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Μετάφραση Μανώλη Αλυγιζάκη
Translated into Greek by Manolis Aligizakis

***

בַּסּוֹף הַכֹּל נִרְאֶה
מְיֻתָּר,
גַּחֲמוֹתֵינוּ, דַּאֲגוֹתֵינוּ,
מִלּוֹת הַיּוֹמְיוֹם שֶׁלָּנוּ
מִסְתַּחְרְרוֹת בֵּין
אַרְבַּע הַפִּנּוֹת שֶׁל פַּרְשִׁיָּה חֻקָּתִית כָּלְשֶׁהִי

בַּסּוֹף הַכֹּל הָיָה
כָּל כָּךְ צָפוּי כְּמוֹ הִתְרַחֲשׁוּתָהּ
שֶׁל דְּרָמָה מְתֻרְגֶּלֶת הֵיטֵב
שֶׁהַמִּלִּים שֶׁלָּנוּ הָפְכוּ דּוֹמְמוֹת
כְּמוֹ הַמִּדְבָּר הֶעָיֵף
אַחֲרֵי הַיּוֹם הָאָרֹךְ בְּיוֹתֵר בַּשָּׁנָה

בַּסּוֹף הַכֹּל דָּחַף
אוֹתָנוּ לִקְצֵה הַמִּלִּים,
הֶחֱלַפְנוּ בֵּין הַדִּיּוּנִים שֶׁלָּנוּ,
תָּכְנִיּוֹתֵינוּ הַסּוֹדִיּוֹת,
הַשְּׁקָרִים שֶׁלָּנוּ לְאֹרֶךְ הַהִסְטוֹרְיָה
שֶׁל מִלְחָמָה וְשָׁלוֹם שֶׁפּוֹרְשִׂים אֶת הַזְּמַן

NILAVRONILL SHOOVRO

תרגום מאנגלית לעברית: דורית ויסמן
הציור של: Nicole Senlis, France
תרגום מאנגלית לעברית: דורית ויסמן
Translated into Hebrew by Dorit Weisman

***

अंत में सब कुछ बेमानी लग रहा था,
हमारी सनक, हमारी चिंताएं,
हमारे रोजमर्रा के शब्द के
बीच में घूमना
किसी भी वैधानिक मामलों के चार कोने

अंत में सब कुछ था
खुलासा की तरह इतना अनुमानित
किसी भी अच्छी तरह से रिहर्सल
किए गए नाटक के,
कि हमारे शब्द खामोश हो गए
थके हुए रेगिस्तान की तरह
साल के सबसे लंबे दिन के बाद

अंत में सब कुछ धकेल दिया है
हमें शब्दों के किनारे तक,
जिसे हमने अपनी बहसों के बीच
आदान-प्रदान किया,
हमारी गुप्त योजनाएँ,
इतिहास के साथ हमारा झूठ
युद्ध और शांति का
जो समय के साथ सामने आ रहा था l

निलवरोनिल शूवरो, भारत
ज्योतिर्मय ठाकुर द्वारा हिंदी अनुवाद l
Hindi translation by Jyotirmaya Thakur.

***

Að lokum virtist öllu ofaukið,
dyntum okkar, áhyggjunum,
hvunndagsorðunum
sem þyrlast inn á milli
fjögurra horna dómsmálanna

að lokum var allt
svo fyrirsjáanlegt eins og flétta
í vel æfðu leikriti
að orð okkar urðu þögul
eins og örþreytt eyðimörk
eftir lengsta dag ársins

að lokum ýtti allt
okkur að ystu mörkum orðanna,
sem við skiptumst á milli deilna,
leynilegra áforma,
lyganna í rás sögunnar
um stríð og frið sem leiðir tímann fram

NILAVRONILL SHOOVRO, Indlandi
Þór Stefánsson þýddi
Translated into Icelandic by Thor Stefansson

***

Pada akhirnya semua tampak
menjadi berlebihan,
keinginan kita, kecemasan kita,
setiap hari ujaran-ujaran
saling berkelindan
empat sudut dari setiap urusan tertentu

akhirnya segala sesuatu
dapat ditebak seperti hal yang sedang berlangsung
dari setiap drama yang dilatih dengan baik
bahwa ujaran-ujaran kita menjadi senyap
seperti gurun yang lelah
setelah hari terpanjang dalam tahun ini

akhirnya semua mendesak
kita ke ujung kata,
kita bertukar antara perdebatan,
rencana rahasia kita,
terbentang sepanjang sejarah
perang dan perdamaian dengan berlangsungnya waktu

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Translated into Indonesian by Lily Siti Multatuliana

***

Sa deireadh
bhí gach rud ar nós cuma liom,
ár spadhair, ár mbuaireamh,
ár mbriathra díchéillí
ag síobadh ina chuaifeach
ó thor go tom.

Sa deireadh bhí an saol
mar a bheadh seanscéal caite,
dráma gan iontas,
léiriú gan spleodar,
fásach focal,
leadrán síoraí.

Sa deireadh díbríodh sinn
go himeall na brí,
turas in aisce,
stair gan toradh,
sinn ag siúl go bacadh
ó ní go neamhní

NILAVRONILL SHOOVRO, an India
Aistrithe go Gaeilge ag Rua Breathnach
Translated into Irish (Gaelic) by Rua Breathnach

***

Alla fine ogni cosa sembra
essere superflua,
i nostri capricci, le preoccupazioni,
le parole di ogni giorno
che girano vorticose
fra i quattro angoli di ogni questione legale

alla fine ogni cosa era
così prevedibile come lo svolgimento
di un drama ben preparato
così che le nostre parole divennero silenzio
come un deserto stanco
alla fine del giorno più lungo dell’anno

alla fine ogni cosa ci ha spinto
al margine delle parole,
che ci siamo scambiati in mezzo ai dibattiti,
fra i nostri piani segreti,
le bugie lungo tutta la storia
di guerre e pace per svelare il tempo

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Traduzione di Luca Benassi

***

最後にはすべてのものが余分に思えた
気まぐれも、心配事も
法律の四隅の間で渦巻く
毎日の言葉

最後にはすべてのものが予測できるように思えた
念入りに準備された芝居のように
長い一日の後の疲れた砂漠のように
私たちは言葉を失い、沈黙する

最後には
すべては私たちを言葉のふちに押しやる
討論、秘密の計画、
戦争と平和の歴史にある嘘が
時を開く

ニラブロニル・シューブロ(インド)
Translated into Japanese by Manabu Kitawaki

***

Mwishowe kila kitu kilionekana kuwa cha ziada,
matakwa yetu, wasiwasi wetu, maneno yetu ya kila siku kuzunguka kati ya pembe nne za mambo yoyote ya kisheria.

Mwishowe kila kitu kilikuwa kinatabirika kama kutokeza kwa mchezo wa kuigiza uliozoeleka vizuri, kwamba maneno yetu yakawa kimya kama jangwa lenye uchovu baada ya siku ndefu zaidi ya mwaka.

Mwishowe kila kitu kilitusukuma kwenye ukingo wa maneno,
tuliyobadilishana kati ya mijadala yetu,
mipango yetu ya siri,
na uongo wetu pamoja na historia ya vita na amani inayojitokeza wakati.

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Mtafsiri Bob Mwangi Kihara
Translated into Kiswahili by Bob Mwangi Kihara

***

Li dawyê aşkerbû
ku hemî zêdebû;
mêdên me, xemên me,
peyvên me yên rojanî
di nav çar quncên bendên
qanonanî de belavbûne.

Li dawyê hemî
weha çawa hatibû dîtin
dinimîne mîna dramayeke rind hojandî
ku peyvên me lal bûn
wek şeketiya biyabanê
piştî roja tevî dirêj di salê de

Li dawyê gitiştî
em bi keviya peyvan de têvedan
ewên me di nav gengeşên xwe de bikardanîn;
planên me yên vepenî,
derewên me bi dirêjahiya mêjûyê
ji ceng û aştiyê, ew demê dinimîne.

NILAVRONILL SHOOVRO, Hidistan
Translation into Kurdish by Hussein Habasch

***

На крајот сѐ се чинeше
излишно,
нашите каприци, нашите грижи,
нашите секојдневни зборови
кои се вртат во вителот
меѓу четирите агли на која било законска работа

на крајот сѐ беше
толку предвидливо како расплетот
на секоја добро извежбана драма
затоа нашите зборови замолкнаа
како изморена пустина
по најдолгиот ден од годината

на крајот сѐ не истурка
до работ на зборовите,
кои си ги разменувавме во дебатите,
нашите тајни планови,
нашите лаги низ историјата
на војната и мирот го расплетуваат времето

NILAVRONILL SHOOVRO, India
НИЛАВРОНИЛ ШУВРО, Индија
Превод од англиски на македонски: Даниела Андоновска-Трајковска
Translated from English into Macedonian: Daniela Andonovska-Trajkovska

***

Di akhirnya semua kelihatan
melebihi
kehendak kita, kebimbangan kita,
kata-kata kita
setiap empat sudut sebarang ehwal kebiasaan

di akhirnya semua dapat diagak
bak drama terbuka dan cukup terlatih
membuat kata-kata kita menjadi sunyi
seperti padang pasir yang keletihan
selepas hari terpanjang tahun itu

di akhirnya semua menolak kita
ke hujung kata-kata,
yang kita bertukaran di antara debat-debat kita,
rancangan-rancangan rahsia kita,
pembohongan kita
di sepanjang sejarah perang dan damai
membuka lipatan masa.

NILAVRONILL SHOOVRO
Malayan translation by Dr. Irwan Abu Bakar

***

Na koniec wszystko wydało się
zbyteczne
nasze zachcianki, nasze zmartwienia,
nasze codzienne słowa
wirujące pomiędzy
czterema kątami wszelkich przepisowych spraw

na koniec wszystko było
tak przewidywalne jak rozwój akcji
w każdym dobrze przećwiczonym dramacie
że nasze słowa milkły
jak umęczona pustynia
po najdłuższym dniu roku

na koniec wszystko zepchnęło nas
na krawędź słów,
które wymienialiśmy pośród dyskusji,
naszych tajemnych planów,
naszych kłamstw, gdy historia
wojny i pokoju rozwijała swój czas

NILAVRONILL SHOOVRO, Indie
Translated to Polish: Mirosław Grudzień – Anna Maria Stępień

***

No final tudo parecia
ser supérfluo,
os nossos caprichos, as nossas preocupações,
as nossas palavras de todos os dias
que giravam pelos
quatro cantos de qualquer assunto regulamentar

no final tudo era
de tal forma predizível como o desenrolar
de qualquer drama bem ensaiado
que as nossas palavras se calaram
como o deserto cansado
depois do dia mais longo do ano

no final tudo nos empurrou
para o limite das palavras
que trocámos por entre as nossas disputas,
os nossos planos secretos,
as nossas mentiras ao longo da história
de guerra e paz que ia desdobrando o tempo

NILAVRONILL SHOOVRO, Índia
Tradução portuguesa: Maria do Sameiro Barroso

***

În final, ne pare totul
fără importanță,
ale noastre toane, griji
și cuvinte uzuale,
bâzâit în patru colțuri
prins între norme legale

În final, toate au fost
previzibile ca urzeala
unei drame exersate
amuțind vorbele noastre
în pustiul obosit, după ziua
cea mai lungă a acestui an

În final, se îngrămădesc toate acestea
către malul replicilor noastre
cele ades vehiculate prin dezbateri,
planuri în secret țesute
și minciuni căzute în lungul devenirii noastre
sub război și pace, revelate sub lumina timpului.

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Traducere: Gabriela Căluțiu Sonnenberg
Translated into Romanian by Gabriela Căluțiu Sonnenberg

***

В конце концов
все оказалось неважным,
наши капризы, наши заботы,
наши ежедневные слова,
кружащие между
четырьмя углами любых дел.
В конце концов
все оказалось таким предсказуемым,
как развязка хорошо отрепетированной пьесы,
а наши слова утихли,
как измученная пустыня
после самого длинного дня в году.
В конце концов
все подтолкнуло нас к краю слов,
которыми мы обменивались в спорах,
в наших тайных планах,
в наших обманах сквозь историю
войны и мира, разворачивающихся во времени.
НИЛАВРОНИЛЛ ШУВРО, Индия
Перевод Гермайна Дрогенбродта
Перевод на русский язык Дарьи Мишуевой
Translated into Russian by Daria Mishueva

***

Na kraju sve se čini
suvišnim,
naši hirovi, brige,
svakodnevne reči
koje se vrzmaju oko državnih poslova…

Na kraju sve je
predvidljivo kao odvijanje
dobro uvežbane drame
i naš glas zanemi
kao umorna pustinja
posle najdužeg dana godine…

Na kraju sve nas
gurne u „nemam reči“
posle razmene mišljenja,
naših tajnih planova,
naše laži kroz istoriju
o ratu i miru koji upravljaju vremenom

NILAVRONILL SHOOVRO, Indija
Sa engleskog prevela S. Piksiades
Translated into Serbian by S. Piksiades

***

A s’acabada totu paressiat
esser in pius,
sos cuaddos nostos, sos pessamentos nostos,
chi s’arremolinant intra de bator arrencones
de calesisiat asunto istatutàriu

A s’acabada totu fiat
gasi simpli che a su desarròlliu
de calesisiat drama insajadu bene
chi sas peràgulas nostas se amudeint
che a isse/ unu desertu cansadu
a pustis de sa die pius manna de s’annu

A s’acabada totu nois ispingheit
fintzas a s’oru de sas peràgulas
che amus intercambiadu in sas debatas nostas,
sos planos sarchetos nostos,
sas fàulas nostasatesu de s’istòria
de sa gherra e sa paghe desarrolliande su tempus.

NILAVRONILL SHOOVRO
Translation Gianni Mascia

***

A la fini tuttu pari
Superfluu,
I nostri capricci, li nostri prioccupazioni,
Li palori di ogni jornu
Ca furrianu ntra li quattru cantuneri
di li nostri affari ordinarii

A la fini tuttu era
Prevedibbili comu lu sviluppu
di qualisiasi cumeddia
Mparata a mimoria
Ca li nostri palori diventaru muti
Comu lu disertu stancu
Doppu la la jurnata chiù longa di l’annu

A la fini tuttu nni mmutta
Versu l’orru di li palori
Ca scanciammu ntra li dibattiti,
I notri piani segreti,
I nostri minzogni a latu di la storia
Di guerra e paci ca sghiommara lu tempu

Traduzioni in sicilianu di Gaetano Cipolla

***

Að lokum virtist öllu ofaukið,
dyntum okkar, áhyggjunum,
hvunndagorðunum
sem þyrlast inn á milli
fjögurra horna dómsmálanna
að lokum var allt

svo fyrirsjáanlegt eins og flétta
í vel æfðu leikriti
að orð okkar urðu þögul
eins og örþerytt eyðimörk
eftir lengsta dag ársins

að lokum ýtti allt
okkur að ystu mörkum orðanna,
sem við skiptumst á milli deilna,
leynilegra áforma,
lyganna í rás sögunnar
um stríð og frið sem leiðir tímann fram

NILAVRONILL SHOOVRO, Indlandi
Translation: Per Josefsson

***

இறுதியில்
இறுதியில் எல்லாமே
அதிகமெனத் தோன்றுகிறது.
நமது திடீர் ஆர்வம்,, நமது கவலைகள்,
நமது ஒவ்வொருநாள் பேச்சுக்கள்
சட்டத்தின் நான்கு மூலைகளுக்குள்

சுற்றிச் சுழல்வது
இறுதியில் ஒவ்வொன்றுமே
நன்கு ஒத்திகை செய்யப்பட்ட
நாடகம் போல இறுதியில்
எதிர்பார்க்கப்பட்டது போன்று!
நமது சொற்கள் அமைதியடைந்தன
களைத்த பாலைவனமாக.
ஆண்டின் நீளமான நாள்
வார்த்தைகளின் விளிம்பிற்கு தள்ளப்பட்டது.
நமது வாதங்களுக்கு இடையே,
நமது இரகசிய திட்டஙளுக்கு இடையே
போர்- அமைதி சரித்திரங்களின் பொய்கள்
காலத்தைக் கட்டவிழ்த்து விட்டது!
ஆக்கம்

NILAVRONILL SHOOVRO, India
Translated into Tamil by DR. N V Subbaraman

***

Recueil: ITHACA 718
Editions: POINT
Site: http://www.point-editions.com/en/

FRIENDS ITHACA
Holland: https://boekenplan.nl
Poland: http://www.poetrybridges.com.pl
France: https://arbrealettres.wordpress.com
Poland: http://www.poetrybridges.com.pl
Romania: http://www.logossiagape.ro; http://la-gamba.net/ro; http://climate.literare.ro; http://www.curteadelaarges.ro.; https://cetatealuibucur.wordpress.com
Spain: https://www.point-editions.com; https://www.luzcultural.com
India: https://nvsr.wordpress.com; https://ourpoetryarchive.blogspot.com>
USA-Romania: http://www.iwj-magazine.com/journal02

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Jean-Daniel (Charles-Ferdinand Ramuz)

Posted by arbrealettres sur 6 mars 2022



Illustration: Marfa Indoukaeva
    
Jean-Daniel

I

Ce jour-là, quand je t’ai vue,
j’étais comme quand on regarde le soleil;
j’avais un grand feu dans la tête,
je ne savais plus ce que je faisais,
j’allais tout de travers comme un qui a trop bu,
et mes mains tremblaient.

Je suis allé tout seul par le sentier des bois,
je croyais te voir marcher devant moi,
et je te parlais,
mais tu ne me répondais pas.

J’avais peur de te voir, j’avais peur de t’entendre,
j’avais peur du bruit de tes pieds dans l’herbe,
j’avais peur de ton rire dans les branches;
Et je me disais: «Tu es fou,
ah! si on te voyait, comme on se moquerait de toi! »
Ça ne servait à rien du tout.

Et, quand je suis rentré, c’était minuit passé,
mais je n’ai pas pu m’endormir.
Et le lendemain, en soignant mes bêtes,
je répétais ton nom, je disais: « Marianne… »
Les bêtes tournaient la tête pour entendre;
je me fâchais, je leur criais: « Ça vous regarde?
allons, tranquilles, eh! Comtesse, eh! la Rousse… »
et je les prenais par les cornes.

Ça a duré ainsi trois jours
et puis je n’ai plus eu la force.
Il a fallu que je la revoie.
Elle est venue, elle a passé,
elle n’a pas pris garde à moi.

II

Les amoureux, c’est pour les filles
comme un écureuil dans un arbre;
elles s’amusent à le voir grimper:
sitôt qu’il est loin, il est oublié.
Elles ne pensent qu’à des bagues,
à des chapeaux, à des colliers;
qu’est-ce que çа leur fait qu’on souffre?
sitôt qu’on est loin, on est oublié.

C’est des miroirs à alouettes,
ça brille à distance, mais, quand on est près,
ça n’est plus rien que des morceaux de verre.
Il faut être bien fou pour leur courir après.

Ces filles, c’est comme des poupées
faites avec des ficelles et du carton;
ça a des joues en porcelaine,
ça a le ventre plein de son.

Mais on a beau dire et beau faire,
on n’y peut rien:
quand on est pris, c’est qu’on l’est bien.

III

Je lui demandé pardon dans mes pensées
de l’avoir ainsi méprisée.
Je sais qu’elle est douce et qu’elle a bon coeur.

Je sais qu’elle ne me connaît pas
et qu’il serait bien étonnant
qu’elle eût fait attention à moi
puisqu’elle ne me connaît pas.

Seulement il est dur d’être seul quand on aime.
On est comme fou, on se met en colère,
on pleure, on rit, sans savoir pourquoi.
On n’est pas juste quelquefois,
tant on a mal au coeur qui aime.

Mon coeur a mal, et moi je suis
comme un oiseau qui s’est envolé
et qui ne peut plus se poser,
et qui se sent bien fatigué
loin de son nid.

IV

Elle vit avec sa mère qui est vieille.
Elle l’aide à tenir le ménage.
Elle lave la vaisselle,
elle fait le dîner et les savonnages,
elle travaille du matin au soir:
il n’y a pas beaucoup de filles
qui font comme elle leur devoir.

Quand elle coud, ses doigts vont vite
comme au jeu de pigeon vole,
sa tête se penche sous la lampe,
sous la lampe sa tête se penche,
elle est appliquée et vaillante.

Elle laisse passer les jours
sans regret du temps qui s’en va,
ayant bien employé ses heures.
Le temps s’en va, elle demeure;
et sa vie est comme un ruisseau
qui coule d’un cours bien régulier,
sous les frênes et les noisetiers,
avec les oiseaux qui viennent y boire
et l’ombre errante vers le soir
des arbres noirs sur le ciel rose.

Et les mois et les mois viendront:
quand sera-t-elle comme elle est,
bonne et gaie, à coudre et à faire la cuisine,
dans une maison qui serait à nous,
dans une maison qui serait notre maison?

V

Car, moi, je suis pauvre et sa mère est riche.
Elle a une ferme et des champs,
elle a de l’argent
tout plein son armoire.

Elle a des chevaux, des boeufs et des vaches,
deux domestiques toute l’année,
des ouvriers quand l’ouvrage est pressant;
sa grange est pleine, ses étames de même;
et elle veut un gendre qui soit riche comme elle.

Il faudrait sans doute qu’on vienne
et qu’on lui dise: «Donnez-moi
votre fille, j’ai du bien
autant que vous;
j’ai comme vous des prés, des vaches et des bois,
alors c’est à égalité, n’est-ce pas ? »
Mais qu’on aime sa fille, elle n’y pense même pas.

Elle aura pour gendre un coureur d’auberges,
une espèce de beau parleur
qui fait briller ses écus
pour qu’on sache qu’il a de quoi…
Et je n’ai que mon amour, moi.

Seulement aussi amenez-m’en un
qui travaille davantage,
qui boude moins à l’ouvrage,
qui se lève de plus grand matin.

Je dis que des bons bras, c’est de l’argent comptant;
et je porterais des montagnes,
si on me disait: C’est pour Marianne.

VI

Quand le jour est mort, une lampe brille.
C’est la lampe, la petite lampe
que tu as à ta fenêtre,
Marianne, par les temps noirs,
pour les pauvres gens qui sont sur les routes.

On n’a plus peur; on voit de loin la lampe, on dit:
« C’est la lampe de Marianne,
elle est à coudre dans sa chambre avec sa mère »;
et on va vers la lumière,
parce qu’on sait que la porte s’ouvrira.

C’est comme une étoile, celle
qui guidait les bergers dans la nuit de Noël
et ils ont été amenés par elle
dans l’étable chaude où était la crèche
entre le boeuf et l’âne.

Là où la lampe brille, là aussi il fait chaud.
Celui qui vient pousse la porte et dit bonsoir.
On ne voit pas ses yeux sous son grand chapeau.
Sa moustache est givrée, il se fait déjà tard,
et il tient à la main un gros bâton d’épine.

Moi, je suis comme un papillon de nuit
qui tourne autour de la lumière.
Je me glisse le long des murs comme un voleur
pour te voir par la fenêtre.

Je n’ose pas entrer; je n’ose pas heurter;
je regarde de loin
le linge que tu tiens.
Je reste ainsi longtemps sans bouger de mon coin,
les yeux tendus vers toi,
mais c’est mon coeur qui va pour moi.

Il va vers toi, il se tient bien tranquille;
il est dans l’ombre de tes rideaux
il est dans l’aiguille qui brille,
il est dans le fil que tu casses
de temps en temps entre tes dents.

A quoi songes-tu? Sais-tu que je suis là?
Quand je te vois rêver, je pense que c’est à moi;
je ris ensuite de ma sottise.
Mais j’attends quand même
et sans savoir quoi,
jusqu’à ce que ta lampe s’éteigne.

VII

Le dimanche matin, elle va à l’église.
Le clocher a l’air d’un peu se pencher
pour mieux voir les fleurs dans les prés
comme ferait une petite fille
qui cueille un bouquet en chantant;
et la cloche dans le clocher
sonne d’abord un long moment.

Les femmes passent deux par deux;
elles sont en noir par respect pour le bon Dieu,
elles ont leur psautier dans la main.

Les hommes attendent qu’elles soient entrées
devant le porche en causant du beau temps,
du prix du bétail, des travaux des champs;
et il y a tant d’oiseaux dans les haies
que les branches se balancent
comme quand il fait du vent.

Alors, elle aussi, elle vient, elle a des gants blancs,
une robe bleue, un chapeau de paille;
elle traverse la place,
elle entre, je ne la vois plus.

La cloche se tait, le sonneur descend,
ses gros souliers dans l’escalier
font un bruit comme quand on bat en grange;
les gens dans l’église attendent en silence;
le pasteur, avec sa robe noire,
son chapeau de soie et son rabat blanc,
approche d’un air grave dans l’ombre des arbres.
Et je me sens si seul que je voudrais pleurer…

Je serais sur le banc, assis à côté d’elle;
quand elle chanterait, j’écouterais sa voix
et elle pencherait la tête pour prier.

VIII

Comme tu es jolie sur le petit sentier,
où tu vas, portant ton panier
avec le pain et le café
pour les quatre-heures.
L’ombre des cerisiers glisse sur tes épaules,
il fait chaud, les gens se reposent,
assis dans l’herbe, tout en causant,
et, te voyant venir, ils disent:

« Voilà Marianne avec son panier. »
Ils sont contents, parce qu’ils ont faim,
ayant travaillé qu’ils n’en peuvent plus
et le foin qui sèche sent fort au soleil.

Ils te disent: «Vous avez fait
la paresseuse! »
Tu dis: « Mais non, il n’est pas quatre heures. »
Un des ouvriers regarde à sa montre,
il dit: « Que si! il est quatre heures et cinq! »
Et tout le monde
éclate de rire sans savoir pourquoi.

C’est peut-être que le café
est meilleur quand tu le verses.
Tu fais plaisir à regarder
avec ton gros jupon d’indienne;
tu fais plaisir avec cette façon que tu as
de sourire en tendant la miche
et d’avoir soin qu’on soit toujours servi.

IX

Elle est venue un soir pour la première fois.
Il faisait nuit, elle est venue sans bruit.
Je regardais partout, je ne voyais personne
et j’entendais mon coeur battre dans le silence.
Mais, quand je l’ai vue, j’ai eu presque peur
et j’aurais voulu me sauver.

Elle venait entre les saules,
elle allait lentement, est-ce qu’elle avait peur aussi ?
Ou bien est-ce que c’était de l’ombre ?

Je suis allé vers elle, je lui ai dit bonjour.
« Alors, comme ça, ça va bien? »
« Oui, merci. » Nous n’avons plus su que dire.
Il y avait un arbre, l’étang était tout près,
le vent a passé dans les roseaux
et j’ai senti sa main trembler.
« Écoute, est-ce qu’on fait un petit tour? »
« On nous verrait, non, j’aime mieux… »
« On pourrait s’asseoir. » « Ce n’est pas la peine. »
J’ai voulu parler, mais je n’ai pas pu
et elle était déjà partie.

X

Elle m’a dit: «J’ai bien senti
tout de suite
que tu serais mon bon ami
N’est-ce pas? la première fois
qu’on se voit,
on ne s’aime pas,
pour bien dire, encore,
mais çа vient tout tranquillement
avec le temps.
Parce que, tu sais, ma mère est bien bonne
et je l’aime bien aussi,
mais ce n’est pas tout dans la vie.
On peut travailler du matin au soir
et être bien sage, çа n’empêche pas
qu’on pense parfois à des choses.

On se dit: «Il y en a qui ont des enfants,
il y en a qui se sont fait
des trousseaux d’une beauté
qu’on ne peut pas s’imaginer,
et on rêve à se marier
quand même. »

Elle m’a dit: «Je t’aime tellement
qu’il me faudrait bien venir à cent ans
pour t’aimer jusqu’au bout
et que je ne sais pas si j’y arriverais. »
Elle m’a dit: «Et toi, est-ce que tu m’aimes autant? »
« Ah! lui ai-je dit, qu’est-ce que tu penses? »
Et je lui ai serré la main
tellement fort qu’elle a crié.

XI

J’ai été au soleil et je pensais à toi.
Tu es toujours avec moi,
comme avant, mais avec un sourire,
à présent que je sais que, moi aussi, je vais
à tes côtés dans ta pensée.

Des oiseaux tombaient des branches,
l’herbe était fleurie, les foins mûrissaient;
j’avais ma faux, j’ai fauché,
ma faux allait toute seule.

Je suis revenu chercher la charrette,
j’ai chargé mon herbe; la roue grinçait
comme quand tu chantes pour le plaisir
ou pour te tenir compagnie.

Et puis le soir venu, j’ai pensé : « Que fait-elle? »
Je m’étais assis sur un banc,
j’avais mis mes mains dans mes poches;
je fumais ma pipe, je te voyais venir;
et tu étais dans la fumée
comme un de ces anges avec des ailes bleues
qui sont dans les livres.

XII

Je ne sais pas pourquoi
d’autres fois je suis triste
et je n’ai de coeur à rien faire.
Il faudrait faucher, il faudrait semer,
mais je dis: «Tant pis!» qu’il pleuve ou qu’il grêle,
ça m’est bien égal.
C’est ainsi quelquefois sans raison,
à cause d’une manière qu’elle a eue de me parler,
à cause d’un air qu’elle a eu de me regarder,
à cause de son rire,
à cause de sa voix qui était changée et de ses yeux
qui se sont baissés devant les miens,
comme si elle me cachait quelque chose.

Et pourtant je suis heureux quand même.
Je l’accuse à tort parce que je l’aime.
C’est pour me faire mal, et puis je me repens.
J’ai honte de moi, je me dis: «Tout va bien»;
et le bonheur me revient
comme quand la lune sort
de derrière un gros nuage.

XIII

Si ta mère savait pourtant que nous nous aimons,
et que le soir je viens t’accompagner
jusque tout près de la maison,
si elle savait que nous nous fréquentons
et que, cette fois, c’est pour de bon,
que dirait-elle ?

Elle qui a un front ridé,
des mains noires toutes tremblantes,
elle qui ne se souvient plus
de sa jeunesse;
elle qui a oublié le temps où elle allait danser,
et qui ne sait plus ce que c’est
tout le bonheur qu’on a d’aimer,
ta mère, qu’est-ce qu’elle penserait?

Nous ne parlons pas de ces choses
pour ne pas gâter notre bonheur;
nous nous regardons seulement
pour nous redonner du courage.
Car nous ne faisons rien de mal,
n’est-ce pas? il est naturel
d’être amoureux comme nous sommes;
ils ont tous été comme nous.
Et je dis: «Vois-tu, il faudra s’aimer d’autant plus,
d’autant plus fort, d’autant plus doux;
alors peut-être que ta mère aura pitié,
et elle nous laissera nous aimer. »

XIV

Marianne a pleuré, il faisait du soleil,
la cuisine était rose.
Ses larmes coulaient sur ses joues.
Elle a pris son mouchoir, elle a pleuré dedans,
elle s’est assise, n’ayant plus de force.

«Est-ce que c’est vrai que tu l’aimes tant? »
Marianne n’a rien répondu.
«J’aurais voulu pour toi quelqu’un d’autre. »

Marianne a secoué la tête.
«J’ai la raison que tu n’as pas,
j’ai connu la vie, je suis vieille.
Il n’y a pas que l’amour,
l’amour est beau, mais l’amour passe,
tandis que l’argent, ça dure une vie
et qu’on en laisse à ses enfants.»

Marianne a pleuré si fort
qu’on l’entendait depuis dehors.

« Mais maintenant que je t’ai dit ce que je pensais,
je ne voudrais pas te faire de la peine.
Prends ton amoureux si tu l’aimes… »

Marianne a levé la tête
et elle a cessé de pleurer.
« Je crois que c’est un bon garçon,
il aura soin de la maison,
il ne boit pas, il est sérieux,
eh bien, puisque tu le veux,
mariez-vous et soyez heureux. »

Elle a embrassé sa mère sur le front,
elle l’a prise par le cou:
«Tu permettras que je te l’amène?…
Tu verras que j’avais raison. »

XV

Le jour de notre noce, j’y pense tout le temps,
il fera un soleil comme on n’a jamais vu;
il fera bon aller en char
à cause du vent frais qui vous souffle au visage,
quand la bonne jument va trottant sur la route
et qu’on claque du fouet pour qu’elle aille plus fort.
On lui donnera de l’avoine,
en veux-tu, en voilà;
on l’étrillera bien qu’elle ait l’air d’un cheval
comme ceux de la ville;
et trotte! et tu auras ton voile qui s’envole,

et tu souriras au travers
parce qu’il aura l’air
de faire signe aux arbres
comme quand on agite un mouchoir au départ.

On se regardera, on dira: « On s’en va,
on commence le grand voyage;
heureusement qu’il n’y a pas
des océans à traverser. »
Et quand nous serons arrivés,
la cloche sonnera, la porte s’ouvrira,
l’orgue se mettra à jouer;
tu diras oui, je dirai oui;
et nos voix trembleront un peu
et hésiteront à cause du monde
et parce qu’on n’aime à se dire ces choses
que tout doucement à l’oreille.

XVI

Notre maison est blanche, elle est sous les noyers,
ta mère tricote près de la fenêtre;
iI fait chaud, on va moissonner,
mais, comme les foins sont rentrés,
on a un moment pour se reposer.

Tu mets les verres sur la table pour le dîner.
Du rucher, je te vois passer dans la cuisine,
et ta chanson me vient parmi
le bourdonnement des abeilles.

Ta mère s’est levée, elle a mis son tricot
et ses aiguilles dans la corbeille;
elle a l’air heureux de vivre avec nous,
nous sommes heureux de vivre avec elle.

Ne sommes-nous pas heureux de nous aimer,
d’être ensemble, de travailler,
de voir mûrir les foins, les moissons se dorer,
et, plus tard, vers l’automne,
les arbres plus lourds du poids de leurs fruits
jusqu’à terre se pencher?

Tu vas dans la maison, faisant un petit bruit,
et, du matin au soir, c’est toi qui veilles à tout;
pendant que, moi, je vais faucher
et que les chars rentrent grinçants,
hauts et carrés,
comme des petites maisons roulantes.

VII

Un jour je te verrai venir un peu plus lasse
et lourde d’un fardeau que tu n’as pas connu,
tandis que s’épaissit ta taille,
marchant dans le jardin où les roses fleurissent
et je t’aimerai encore un peu plus.

Je songe que tu portes deux vies
et qu’il me faut donc t’aimer doublement
pour toi-même et puis pour celui
qui va naître de tes souffrances.

Je sens que j’ai grandi vers de nouveaux aspects
d’où le monde paraît avec des tristesses,
mais missi avec des joies accrues en nombre;

et, quand je sens ta main s’appuyer sur mon bras,
et l’ombre de ton front se poser sur ma joue,
il me semble avancer sûrement avec toi
vers la réalisation d’une promesse.

XVIII

L’enfant que nous aurons ne nous quittera pas.
Il grandira dans la campagne.
Il sera paysan comme nous.
Il portera la blouse comme son père a fait,
et, comme son père, il traira les vaches;
il fera les moissons, il fera les regains,
il fauchera les foins;
il étendra peu à peu son domaine;
et, lorsque nous serons trop vieux,
quand l’heure du repos sera pour nous venue,
il nous remplacera, maître de la maison.

Il aimera comme nous avons aimé;
les jeux de nos petits-enfants
entoureront notre vieillesse.

Ce sera une après-midi de beau temps;
je serai assis au soleil,
j’aurai joint les mains sur ma canne,
il fera clair sur la campagne;
et toi, utile encore avec tes vieilles mains,
tu iras et viendras, tout près, dans le jardin,
nous acheminant ainsi ensemble
vers l’autre repos, qui est sans fin.

Nos derniers jours seront paisibles,
nous aurons fait ce que nous devions faire;
il y a une tranquillité qui vient,
une grande paix descend sur la terre.

Nous nous parlerons du passé:
te souviens-tu du jour où tu avais pleuré,
te souviens-tu du jour de nos noces?
on avait sonné les deux cloches
qu’on voyait bouger en haut du clocher.

Te souviens-tu du temps des cerises
et on se faisait avec des boucles d’oreilles,
et du vieux prunier qu’on secouait
pour en faire tomber les prunes?

Le cadet des garçons arrive alors et dit:
«Grand’mère, la poule chante,
elle a fait l’oeuf. »
«Va voir dans la paille, mon ami.»
Et nous sourions de le voir qui court
tant qu’il peut, à travers la cour,
sur ses grosses jambes trop courtes.

(Charles-Ferdinand Ramuz)

Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

Portrait de Jean-Daniel (Charles-Ferdinand Ramuz)

Posted by arbrealettres sur 1 mars 2022



Illustration: Marfa Indoukaeva
    
Portrait de Jean-Daniel

Il est court et fort, il n’a la semaine
pour pouvoir travailler à l’aise que sa
chemise et un pantalon de grisette,
mais le dimanche il met un habit noir.

Il a de larges épaules, un visage
osseux qui a la couleur du soleil, des
moustaches jaunes qui sentent le vin
et de petits yeux vifs et pâles.

Son parler est lent et chantant
comme ses gestes et comme quand il marche
à pas égaux, tranquillement,
en regardant le ciel au-dessus de lui
pour voir le temps qu’il va faire,
les champs déserts où le blé germe,
la terre qu’il aime, parce qu’il en vit.

Et il va à l’auberge le soir
jouer aux quilles
ou danser avec les filles,
parce que çа fait du bien des fois de s’oublier
après qu’on a bien travaillé,
parce que rien ne vaut de sentir dans sa main
la main de sa bonne amie,
parce que le vin est frais dans les verres,
après une pipe, dans les grandes chaleurs.

(Charles-Ferdinand Ramuz)

 

Recueil: Le Petit Village
Traduction:
Editions: Héros-Limite

Posted in poésie | Tagué: , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Leave a Comment »

 
%d blogueurs aiment cette page :