Ici les amandiers sont en fleurs
un enchantement pour l’œil
qui aime la beauté
bientôt les orangers aussi
répandront leur parfum envoûtant
mais autre part la guerre fait rage
et le regard ne perçoit que ravage
et souffrance humaine
là ne fleurit aucun bourgeon
étouffés qu’ils sont dans la fumée
d’une violence barbare.
*
DESPOTE
La nuit a assailli l’aurore
et détourné de la paix
la précieuse lumière.
Le silence se tait
couvert par les détonations, le fracas des canons
et le hurlement des sirènes.
Impassible face à la douleur
─ même celle de son propre peuple
le despote russe.
*
COLOMBE DE LA PAIX
Il pleut.
il pleut de la tristesse
pour les victimes innocentes
pour la destruction d’un pays
pour l’ampleur de la violence meurtrière
affamée la tourterelle quitte
la protection de son arbre
un lacet semblable
à l’anneau noir autour de son cou.
Une brise aiguise les aiguilles de pin
Monte la tristesse profonde et lointaine
La lune roule sur les vagues de mon coeur
Dans mon esprit un cristal de silence
Écoute et regard, reflets d’un miroir
Je flâne en pinçant les cordes de mon coeur
Là où l’écho s’évanouit, s’épanouit la méditation
Coeur apaisé, cendres éteintes
(Chingak)
Recueil: Les mille monts de lune Poèmes de Corée
Traduction: Sunmi Kim
Editions: Albin Michel
Oh, que l’amour, au déclin de la vie,
Se fait plus tendre et sensible aux présages…
Brille, brille, lumière à l’agonie
Du dernier amour, du couchant de notre âge !
Le ciel est à demi recouvert par la nuit,
Seule erre une lueur là-bas vers l’occident,
Ralentis, ralentis, ô soir de notre vie,
Demeure, demeure encore, enchantement.
Le sang peut bien couler dans nos veines plus froid,
Dans nos coeurs brûle encore la tendresse…
Toi, le dernier amour, tu es à la fois
Suprême bonheur et suprême tristesse.
(Fiodor Tiouttchev)
Recueil: POÈMES
Traduction: traduit du russe par Sophie Benech
Editions: Interférences
Petite fille au visage lisse,
Le temps, semble-t-il, sur toi, glisse :
Tu n’as encore ni rides, ni sillons,
Ni vallées, ni vallons…
Et pourtant, tu vas changer :
Insensiblement,
Tu vas perdre ce visage innocent,
Pour prendre un regard plus ardent.
La vie, passant,
Va laisser ses traces :
Tu les verras dans la glace…
Ton visage,
Livre ouvert,
Dont les pages
Tous sentiments offerts,
Diront tes luttes et tes batailles,
Tes défaites et tes victoires,
Tes rages et tes semailles…
Heures de tristesse ou bien de gloire,
Et tout ce que tu auras récolté…
Tel un Jack Sparrow, je remonte mes manches
J’assure pas, j’assure plus, sans mon verre sur la planche
Tel un Jack de trop, du dimanche au dimanche
J’assume pas, non j’assume plus, je ne suis plus étanche
C’est pas la mer à boire tu sais, juste un peu d’eau salée
Solo, et soûlé, sur mon îlot isolé
J’ai des idées noires tu sais, une mouche dans un verre de lait
Même si je perds la mémoire, je bois pour oublier
Et j’entends les sirènes
Résonner au loin
Elles vont, elles viennent
Chercher les marins
Et j’entends les sirènes
Dans la tempête au loin
Avec la vie que je mène
Elles viendront pour moi demain
Tel un Jack Sparrow, je remonte les marches
Je les servais les mecs comme moi tu sais, dans ma chemise blanche
À trinquer un peu trop, perroquet sur la planche
Mon rein a coulé comme un radeau qui prend l’eau, et qui flanche
C’est pas la mer à boire tu sais, juste un peu d’eau salée
Sous l’eau, et soûlé, sur mon îlot isolé
J’ai des idées noires tu sais, une mouche dans un verre de lait
Même si je perds la mémoire, je bois pour oublier
Et j’entends les sirènes
Résonner au loin
Elles vont, elles viennent
Chercher les marins
Et j’entends les sirènes
Dans la tempête au loin
Avec la vie que je mène
Elles viendront pour moi demain
J’entends les sirènes
J’ai plongé profond
Ma tristesse est comme la mer
Elle n’a pas de fond
Ah ! Si nous étions, mon amour, de blancs oiseaux sur l’écume de la mer !
Nous sommes las de la flamme du météore, qui va pâlir et disparaître ;
Et la flamme de l’étoile bleue du crépuscule si basse à la frange du ciel
A fait naître en nos coeurs, mon amour, une tristesse qui peut durer toujours.
Une langueur nous vient de ces rêveurs, perlés de rosée, le lys et la rose ;
Ah ! Chasse-les de tes rêves, mon amour; la flamme du météore qui passe
Ou la flamme de l’étoile bleue qui s’attarde à l’horizon quand tombe la rosée ;
Car je voudrais que nous soyons changés en oiseaux blancs sur l’écume vagabonde, toi et moi !
Mon esprit est hanté d’îles innombrables et de maints rivages Danéens
Où le temps sûrement nous oublierait, où le chagrin ne nous toucherait plus ;
Nous serions vite loin de la rose et du lys et de la turbulence des flammes,
Si nous n’étions que de blancs oiseaux, mon amour, portés sur l’écume de la mer !
***
THE WHITE BIRDS
I would that we were, my beloved, white birds on the foam of the sea!
We tire of the flame of the meteor, before it can fade and flee;
And the flame of the blue star of twilight, hung low on the rim of the sky,
Has awaked in our hearts, my beloved, a sadness that may not die.
A weariness cornes from those dreamers, dew-dabbled, the lily and rose;
Ah, dream not of them, my beloved, the fame of the meteor that goes,
Or the fame of the blue star that lingers hung low in the fall of the dew:
For I would we were changed to white birds on the wandering foam: I and you!
I am haunted by numberless islands, and many a Danaan shore,
Where Time would surely forget us, and Sorrow corne near us no more;
Soon far from the rose and the lily and fret of the flames would we be,
Were we only white birds, my beloved, buoyed out on the foam of the sea!
(William Butler Yeats)
Recueil: La Rose et autres poèmes
Traduction: de l’anglais (Irlande) Jean Briat
Editions: POINTS
Faut-il que le piano soit lent
Faut-il que le jour
Tarde à mourir
Pour que le chat s’étire et baille
Pour que tes gestes s’alentissent
Que l’ombre glisse au long des murs
Faut-il que ce moment soit calme
Pour que tes cheveux se dénouent
Que ce livre s’échappe des mains
Et que le soleil s’efface
Faut-il que la paix soit complète
Pour que le temps s’arrête enfin
Que la tristesse soit légère
Que toute peine soit remise
Et que s’éloignent les nuages
Un homme voulait se faire ascète. Une belle nuit, il déclara :
« Le moment est venu pour moi d’abandonner ma demeure et de chercher Dieu.
Ah! qui donc m’a retenu si longtemps ici dans les trompeuses illusions? »
Dieu murmura : « Moi »; mais l’homme ne comprit pas.
Il dit : « Où es-tu, Toi qui t’es joué si longtemps de moi? »
A ses côtés sa femme était paisiblement étendue sur le lit, un bébé endormi sur son sein.
La voix reprit : «Dieu, il est là », mais l’homme n’entendit pas.
Le bébé pleura en rêve, se pelotonnant plus près de sa mère.
Dieu ordonna : « Arrête, insensé, ne quitte pas ta maison »
— mais il n’entendit pas encore.
Dieu soupira et dit avec tristesse :
« Pourquoi mon serviteur croit-il me chercher quand il s’éloigne de moi? »
(Rabindranath Tagore)
Recueil: Le jardinier d’amour La jeune Lune
Traduction: Mme Sturge Moore
Editions: Gallimard